L’érosion côtière est un phénomène naturel et l’homme a multiplié son développement en faisant des aménagements contradictoires. On a accéléré le phénomène, c’est le même problème avec les inondations
AISSATOU SOPHIE GLADIMA SIBY, DIRECTRICE DE L’AGENCE NATIONALE DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE APPLIQUEE

Les 19, 20 et 21 mars 2013 ont vécu les premières journées dédiées aux sciences de la terre par l’Unesco. Au Sénégal, après l’ouverture à Dakar, Joal a vibré aux notes des géosciences. L’Agence nationale de la recherche scientifique appliquée (ANRSA) a initié les élèves, de 3 à 18 ans, issus des écoles préscolaires de Joal et des secondes S du Lycée Léopold Senghor, aux notions des sciences de la terre. Visite de la Falaise de Gazobil, du croco-parcs, projections de vidéos des sites géologiques du Sénégal, la terre n’a plus de secret pour ces potaches qui rêvent d’un destin scientifique, la tête farcie de projets en géologie. Aïssatou Sophie Gladima Siby, directrice de l’Anrsa, peut déjà afficher une mine radieuse et fière. Le but de sa mission d’introduire les sciences de la terre à l’école est atteint. La cinquantaine, rayonnante dans sa robe rayée à dominante verte, le regard scrutant le large de la lagune de Mbodiène, un « gorgol » (plante poussant sur des sols calcaires) à la main, Sophie Gladima revient sur l’historique des Journées des sciences de la terre. La géologue (auteure d’une thèse sur la nappe maestrichtienne du Sénégal) et politique, évoque les missions de l’Ansra, décline ses projets et ambitions. Entretien.
Quelle appréciation faites-vous des premières Journées des sciences de la terre, coïncidant avec votre arrivée ?
Mars est le mois de la femme et de la terre. Le 8 mars est célébrée la Journée de la femme, le 19 mars est Journée de la francophonie et de la terre et le 21, c’est la Journée des forêts. C’est une heureuse coïncidence parce que la femme a un rôle prépondérant dans la famille et dans lutte contre la pauvreté, elle est une pièce maîtresse dans le développement durable où les sciences de la terre veulent intervenir.
Qu’est ce qui a motivé l’initiation des Journées de la terre ?
Cette journée a été décrétée en 2011 par l’Unesco avec l’Association des femmes en géosciences, et l’Union internationale des géologues pour le retour des filles dans les filières scientifiques. L’Unesco a ciblé des pays comme le Sénégal, le Congo, l’Afrique du Sud et l’Algérie, pour lancer l’initiative après avoir constaté que les jeunes s’orientaient plus vers les finances et les langues vivantes. En plus de cela, l’Association des femmes géologues avait pensé qu’il fallait trouver une journée dédiée aux sciences de la terre, parce que l’aspect terre était non pris en compte dans le développement durable, alors que c’est sur la terre qu’on note des dégradations dues à l’action de l’homme.
Et pourquoi le choix de Joal, c’est parce que vous êtes native de la zone ?
Non, non, j’étais pour Dindifélo ! Joal est le choix du groupe international, qui, quand il effectuait la visite des sites pour la mise en place des géo-parcs en novembre 2012, est tombé sous son charme. Parce qu’à Joal, on retrouve toutes les entités des géo-parcs : il y a le tourisme, la plage, l’île aux coquillages, la falaise de Gazobil, la lagune, les réserves de Samba Dia et de la Somone. Autre fait marquant, Joal est aussi le village natal du premier président, Léopold Sédar Senghor. Et la journée du 19 mars coïncide avec celle de la francophonie. Donc après le lancement à Dakar, c’était moins coûteux de venir à Joal, qui nous permettait aussi de décentraliser nos activités et, surtout, d’initier les élèves aux sciences de la terre.
Vous avez intégré la petite enfance, pourquoi ?
Lors de la rentrée de l’académie des sciences, le président de la République, Macky Sall, avait demandé à ce que les élèves soient sensibilisées sur les sciences depuis la maternelle. Dès le bas-âge, si l’on est initié aux sciences de la terre, on a un autre regard sur l’environnement. Nous notons déjà l’impact puisque les enfants ont réagi positivement. C’est une bonne chose, parce que de plus en plus on assiste à une éducation environnementale des parents par les enfants. Les enfants, à travers la télé, voient le rôle de l’environnement sur leur bien-être et poussent les parents à changer de comportement.
C’est quoi la pertinence de l’ANSRA (Agence nationale de la recherche scientifique appliquée) vu qu’il y a déjà des structures comme l’ISRA, l’ITA, qui font de la recherche scientifique ?
Nous n’avons pas la même mission. Nous, nous appliquons ; eux, ils recherchent. C’est une chaîne, chacun joue sa partition. L’Isra et l’Ita font la recherche, l’Ansra fait dans l’application, la valorisation et la diffusion de ce que les autres ont trouvé. Vous savez, il y a deux types de recherches, à l’université : on fait de la recherche fondamentale et dans les institutions comme l’ISRA et l’ITA, on fait de la recherche pratique. Le rôle de l’ITA est de chercher un moyen de fixer la couleur du « bissap » et du « ditax » sans mettre trop d’adjuvant. Nous, nous créons des emplois en fixant les jeunes dans leur terroir, en leur permettant d’avoir des unités de transformation. Nous faisons la multiplication des semences et nous diffusons les résultats de la recherche. Par exemple, quand l’ISRA a découvert la réduction du cycle végétatif du « madd » qui mettait 7 ans avant de produire et a été ramené à 3 ans, nous avons informé les paysans pour qu’ils viennent s’alimenter dans les pépinières de l’ISRA et récolter au bout de 3 ans. Si les gens ne sont pas au courant de l‘existence des résultats de la recherche, ils ne pourront pas faire la demande. Donc, nous faisons de la valorisation. L’agence est transversale, elle intervient dans tous les domaines. Elle est l’interface entre les inventeurs et les groupes d’utilisateurs que nous accompagnons dans la phase d’investissement.
C’est un riche chantier, mais en avez-vous les moyens ?
(Hésitante), pour le moment non. Mais, nous pensons emprunter des chemins pour obtenir des moyens. L’Etat peut nous soutenir en mettant de l’argent. Aujourd’hui, il faut tendre vers l’emprunt pour soutenir l’agriculture, la recherche et le développement. L’Afrique du Sud le fait, le Maghreb aussi. Un pays sans recherche ne peut se développer. Nous devons avoir des équipements lourds pour la recherche scientifique, des laboratoires qui pourront nous permettre de générer des fonds. Le laboratoire d’oxygène 18 en Tunisie gagne 600 mille à deux millions par analyse, c’est une entrée d’argent. Donc, il nous faut un financement de base. Etant entendu que nous avons déjà une ressource humaine qualifiée mais sous-utilisée. A l’hôpital le Dantec, on a les meilleurs médecins, mais ils n’ont pas un plateau médical correct. L’Etat doit chercher de l’argent, aider les gens à s’équiper et à rembourser après.
Les autres chantiers, c’est la lutte contre l’érosion côtière, les inondations. Quelle est la stratégie de l’Anrsa ?
Dans les sciences de la terre tout est lié, depuis la gestion de l’érosion côtière jusqu’aux inondations. Les sciences de la terre, ce n’est pas simplement la géologie. C’est un cercle vicieux, quand on fait de l’aménagement on doit respecter les géographes, les mathématiciens, les agronomes, les climatologues... C’est depuis l’océan, la vapeur qui monte, la pluie de ruissellement amenant du sable qui s’entasse ailleurs, l’eau qui entre dans les nappes pour l’agriculture. L’érosion côtière est un phénomène naturel et l’homme doit s’adapter. L’érosion côtière est directement liée au tourisme : s’il n’y a plus de plage, il n’y aura plus de tourisme balnéaire. Les plages c’est tout un processus, c’est l’altération des roches et l’action des vagues ramenant le sable, qui fait qu’on a des plages. Si l’on s’amuse à l’habiter, on n’aura plus de plage. L’érosion est un phénomène naturel, c’est le principe de la nature. Rien ne se perd, tout se transforme.
Au Sénégal, l’érosion côtière est liée à la main de l’homme, on a utilisé le sable marin ?
L’érosion côtière est un phénomène naturel et l’homme a multiplié son développement en faisant des aménagements contradictoires. On a accéléré le phénomène, c’est comme les inondations. Il n’y a pas d’inondation au Sénégal, on a occupé des zones inondables imbibées d’eau et reconnues comme telles par la Convention de Hamsa. L’eau revenant prendre sa place, l’homme doit quitter ce lieu où la nature doit être ; ou alors l’on adapte les constructions dans ces zones-là.
Avez-vous ciblé des institutions en vue d’une coalition d’actions ?
Il y aura plusieurs partenaires. En géosciences, tout le monde est impliqué même les littéraires. L’aspect culturel doit être intégré, car il est temps qu’on remette les musées au niveau des collectivités locales, on doit pousser les gens à vendre la culture locale. En fonction des zones, on peut faire beaucoup de choses en utilisant les éléments de la nature, de la culture. Au Sénégal oriental, depuis la production du coton jusqu’au tissage, on peut pousser les femmes à créer des unités de production génératrices de revenus. La chance de l’agence, c’est qu’elle soit logée à la présidence. Et dans le conseil de surveillance composé de 23 membres, lieu où l’on discute de tout, on retrouve en plus de la Primature, différents ministères : ceux de l’Environnement, de la Jeunesse, de l’Agriculture, des Mines, du Commerce, de la Recherche scientifique, du Tourisme. C’est bien de parler d’écotourisme, mais il faut y adjoindre l’aspect terre, en prenant en compte le cadre physique. Il y a des terres à vocation agricole. Est-ce qu’on doit les prendre au profit de l’habitat ? L’agence devrait avoir une voix autorisée dans l’aménagement.
C’est quoi un géo-parc ?
Le géo-parc, c’est l’utilisation de la géologie pour le tourisme intégré. Un géo-parc vend la culture, les sciences (botanique, géologie), le cadre physique et les produits locaux. Je ne comprends pas pourquoi dans nos complexes touristiques, on ne propose pas nos plats locaux, ou des cakes au maïs. Avec les géo-parcs, on doit arriver à ce que quelqu’un empruntant la route Dakar - Joal, sache l’âge de cette zone, le phénomène qui a mis en place le horse de Diass, le volcanisme de Ndiack, de Popenguine ! Il y a l’aspect formation qui doit être pris en charge par notre partenariat avec l’université, les enseignants vont expliquer aux collectivités locales les sciences de la terre, la géologie. Avec la sensibilisation et la formation, on peut tendre vers la traduction des langues nationale, faire une interaction entre la tradition et la recherche, pourquoi ne pas prendre les étudiants géographes ou géologues qui chôment et leur trouver du travail ? Mais auparavant, nous comptons mettre en place le réseau des clubs des sciences de la terre avant d’arriver aux géo-parcs.
Sophie Gladima Siby, ministre des Télécommunications en 2007 à directrice d’agence en 2012, ce n’est pas dégradant, là ?
Non, c’est volontaire. J’ai demandé à Macky Sall de me mettre ailleurs. D’abord parce que les gens se bousculaient pour des postes de ministres, ensuite j’avais le devoir moral de finir ma thèse laissée en suspens depuis 2004. Donc, depuis 2000, je suis sur le terrain politique. J’ai été conseillère de Macky Sall à la Primature, j’ai été ministre (sous Hadjibou Soumaré). Nous avons porté plusieurs combats avec Macky, quand il a mis en place l’Apr, nous avons travaillé à l’élaboration du programme Yonnu yokkuté dont les fondements sont puisés dans l’hymne national : « Pincez tous vos koras » est notre devise de travail ; la dignité et la solidarité, c’est « épaule contre épaule ». La couleur marron, c’est la couleur terre ou le retour vers l’agriculture. Le cheval, c’est l’animal qui était au début et à la fin des travaux champêtres.
Etes-vous candidate à la mairie de Joal Fadiouth ?
Je souhaite que l’Apr gagne la commune de Joal Fadiouth. Pour l’instant, je ne suis pas candidate. La seule chose que je veux, c’est qu’on me donne des moyens pour l’agence.