L’AFRIQUE ET L'EMBARGO CONTRE CUBA
Le continent ne doit pas se cacher derrière son petit doigt ; il doit être en première ligne pour convaincre le régime cubain des avantages de la démocratie
Les Présidents Barack Obama des USA et Raul Castro de Cuba ont presque simultanément annoncé, à la surprise et à l’approbation générale, la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays, rompus depuis 1961. En vérité les deux Etats commencèrent d’abord par entretenir des relations relativement normales depuis que les USA rendirent à Cuba son indépendance en 1902. Les relations vont commencer à se détériorer avec l’arriver de Fidel Castro comme Premier ministre et sa décision de nationaliser unilatéralement, sans compensation juste et équitable, des entreprises américaines basées dans l’Ile.
A cet égard, l’embargo dans sa nature, a évolué en fonction de la politique économique appliquée par les révolutionnaires cubains. Ainsi le premier embargo fut décrété dés 1959 avec les premières nationalisations. Par la suite, l’échec du débarquement des exilés cubains dans la baies des cochons et, un peu plus tard, la crise des missiles de 1962, auront pour conséquence immédiate le blocus militaire qui va être immédiatement suivi par le blocus économique qui interdisait tout commerce avec Cuba.
L’Embargo qui fut d’abord une façon de réagir à une injustice économique va évoluer pour se fonder sur d’autres raisons. A partir de 1992, il a pris la forme d’une loi, le Cuban Democracy Act, qui stipulait que l’embargo serait maintenu tant que l’Ile ne respecterait pas la démocratie avant d’être aggravée par la loi Helms-Burton qui voulait interdire aux sociétés étrangères de faire du commerce avec Cuba.
Dans la même logique, le Président George W. Bush avait voulu lever les sanctions en conditionnant sa décision à la démocratisation de l’Île, ce que Cuba rejeta pour ingérence dans ses affaires. Cependant, il convient de noter que l’embargo n’a jamais été total et que la place de Cuba dans le commerce international des USA n’a cessé d’évoluer positivement. En effet, la politique commerciale des États-Unis à l’égard de Cuba semble avoir été soigneusement étudiée pour permettre aux Cubains d’accéder aux denrées alimentaires et aux secours humanitaires tout en limitant la capacité du Gouvernement de Cuba de pouvoir en tirer un quelconque avantage.
Par conséquent, la décision de Barak Obama de rétablir les relations diplomatiques entre son pays et Cuba est l’aboutissement d’un long processus ponctué par un bras de fer subtil opposant des dirigeants politiques qui, chacun de leur coté, sont convaincus de la justesse de la cause qu’ils défendent. En réalité ce combat entre le Libéralisme américain et le Communisme cubain, semblant opposé David et Goliath des temps modernes, n’avait plus rien de symbolique depuis bien longtemps. Il n’avait pas, non plus, atteint les effets escomptés.
En effet, on peut noter d’un coté que le communisme avait progressivement sombré dans l’oubli pendant que Cuba s’efforçait de s’adapter à la mondialisation alors que, par ailleurs, le capitalisme US n’était guère gêné dans ses relations économiques avec la Chine qui se veut gardien du temple communiste.
Cuba, malgré l’Embargo, est resté droit dans ses bottes et a préféré la liberté dans la pauvreté à l’opulence illusoire du dominé. Cuba s’est forgé progressivement une personnalité internationale remarquée en contribuant à la lutte contre les endémies, pour l’encadrement économique de certains pays notamment africains. A cet égard l’envoi en Angola en 1975 de milliers de militaires sans lesquels, pendant la guerre de l’indépendance, une partie du Pays serait tombée entre les mains des forces du pouvoir raciste de Pretoria en est une illustration. Récemment Cuba, malgré la faiblesse de ses moyens, a envoyé le plus important contingent de médecins et d’infirmiers pour lutter contre l’épidémie de l’Ebola qui sévit en Afrique de l’Ouest. En fin la société internationale mondialisée a rejeté l’Embargo qui est une forme de sanction d’un autre âge en ce qu’il prône la responsabilité collective, principe que n’accepte ni le système juridictionnel américain ni celui des autres pays réellement démocratiques.
En ce sens, l’ancien secrétaire d’Etat américain Ramsey Clark estimait que le gouvernement des États-Unis est seul, défiant la volonté des nations du monde, dans la mise en œuvre de ce crime contre l’humanité. La société civile américaine doit s’éloigner de la vision de certains de ses dirigeants qui continuent à penser que les sanctions économiques, en provoquant le désenchantement et le découragement de la population, pouvait provoquer la chute du régime cubain.
L’histoire nous apprend que la meilleure façon d’aider les pays à évoluer politiquement c’est de les aider à s’ouvrir au Monde extérieur. A cet égard, faut-il rappeler que l’Amérique qui prétendait lier les sanctions contre Cuba au non respect des droits de l’homme maintenait plus de dix pour cent de sa population en marge de la vie démocratique sans droit de vote que les Noirs n’acquerront qu’en 1964 ? Les derniers événements de Fergusson montrent que la question raciale est loin d’avoir été résolue aux USA.
Au niveau national, l’Amérique doit donner l’exemple dans la gestion de ses minorités, notamment celle d’origine africaine qui continue à être discriminer dans bien des endroits, une réalité que la seule élection d’un Président noir ne saurait cacher.
Au niveau international, la grille d’interprétation des initiatives américaines est plus que fissurée, du fait de l’application d’une diplomatie a géométrie variable et a double échelle qui a fini par dérouter ses plus grands partenaires dans le monde et a brouillé le sens et la signification des valeurs que l’Amérique porte en étendard. Or, si l’Amérique veut redevenir le leader du monde qu’elle fut, elle doit chercher l’adhésion de la communauté internationale.
Cet attachement des peuples du Monde à son égard a longtemps découlé de l’autorité née du respect des valeurs universellement reconnues et qu’elle a défendues dans tous les continents et non de la peur passagère qu’inspire la puissance de ses armes.
L’Amérique doit adapter sa politique intérieure et extérieure aux exigences de la Société internationale qui œuvre a une plus grande humanisation par le respect , la justice et la fraternité entre les hommes et entre les peuples. Dans cet esprit l’embargo américain contre Cuba ne devrait pas être rabaissé au niveau de la politique politicienne opposant Démocrates et Républicains aux USA.
La levée de l’embargo contre Cuba sera un grand événement historique un tournant dans les Relations internationales. C’est pourquoi la communauté internationale a le droit et le devoir de demander à l’Amérique de respecter le Principe de l’égalité souveraine des Etats qui fonde le système des Nations-Unies et garantit la stabilité relative des relations internationales contemporaines.
En ces circonstances l’Afrique ne doit pas se cacher derrière son petit doigt, elle doit être en première ligne pour convaincre le régime cubain à propos des avantages de la démocratie. L’Afrique doit se mobiliser pour la levée de l’embargo et pour rendre hommage a un petit pays par la superficie, par le nombre d’habitants, par la rareté de ses richesses naturelles mais qui, du fait de la vaillance de ses dirigeants qui ont cru en eux-mêmes et en leur Peuple, a pu tenir tête pendant plus d’un demi siècle à la plus grande puissance économique et militaire depuis l’Empire Romain.
Pr Benoit Ngom est le Président-Fondateur de l’Académie Diplomatique Africaine (ADA)