L’ART DU BIEN VIVRE AU CŒUR DE LA CITE
LES PAGES VERTES - HORTICULTURE, RENOUVEAU URBAIN ET DEVELOPPEMENT DURABLE
Au fond de la petite forêt urbaine de Cambérène, un petit paradis vert perdu au cœur d’un environnement dominé par l’eau et les typhas survit depuis plus d’une cinquantaine d’années dans l’anonymat. Pourtant même étant hors de votre vue, le Centre de Formation Professionnelle Horticole connu sous le sigle Cfph n’est pas un établissement ordinaire. Au milieu de ce bel espace laissé à lui-même depuis tous les changements de dénomination qui l’ont fait passer du Centre horticole de Cambèréne, exclusivement consacré à l’aménagement des espaces de verts de l’ancienne région du Cap vert, à l’établissement anonyme qu’il est devenu aujourd’hui avec ses élèves, tout n’a pas été noir dans son développement. Focus sur une terre de verdure et de jardinage au cœur de la capitale. 55 ans après sa fondation, le centre qui tient toujours debout malgré les oublis et la marginalisation dont il a souffert depuis le début des années 1990, survit avec un réel bonheur pour les jeunes pousses qui y font leurs classes…
Une petite porte banalisée, un intérieur ordinaire qui rappelle la cour des anciens établissements de la fin des années 1960, l’Ecole d’horticulture de Dakar n’est pas pour autant, un lieu quelconque dépourvu de charme. Presqu’inconnue de nombre de Dakarois, la voila au cœur du domaine paysager de Cambérène, résistant comme un vieux monument aux intempéries et à l’usure du temps. Pour arriver sur ces lieux, l’ancienne branche est de l’autoroute Dakar-Rufisque est la voie indiquée malgré la folle ambiance qui règne sur le rondpoint le plus encombré de Dakar : celui de Cambérène.
Des milliers de véhicules en tout genre (camion gros porteurs, petites voitures de villes, bus de voyageurs…), s’y retrouvent chaque jour, en cherchant à éviter l’autoroute à péage et ses contraintes financières liées au droit de passage. Certains usagers ne s’y habituent pas encore…Au milieu de ce vacarme qui met mal à l’aise le passager, s’active un agent de circulation muni d’un simple sifflet, avec pour mission, de mettre de l’ordre. L’ordre ! Quel sens donné à ce mot ici ? Presque un non sens, tellement, il y a de l’anarchie. C’est au cours de cette cacophonie qu’un centre essaie de faire de l’ordre et de l’aménagement des espaces, son crédo. En allant pourtant vers Cambérène et la banlieue, des milliers de Sénégalais à passent chaque jour, devant cette sorte de miroir vert, sans lui prêter la moindre attention.
Et pourtant, les fleuristes et autres jardiniers d’à côté qui exposent des pots de fleurs, des jarres décorées pour les grandes maisons de la ville profitent encore de la proximité de la Niaye de Pikine, de son humidité et de l’eau pour reverdir chaque jour plus cet espace encore épargné de la cité. Le cœur du domaine vert et floral de Dakar est ici ; plantes d’épices diverses, basilic aux branches mauves, basilic blanche et autres espèces parfumées comme la citronnelle, sont dans leur fief. Les belles fleurs qui « colorient » la voie, en allant de l’hibiscus aux rosiers, de la liane aurore, jusqu’aux cocotiers géants et le palmier bouteille, sont aussi une des inspirations de ces « experts » sans doute inspirés et influencés par les pratiques des sortants de ce centre.
Sans gros moyens. Mais, avec le seul génie de ses administrateurs et de ses jeunes élèves. Avec un effectif estimé à quelque 150 élèves, une quinzaine d’encadreurs et de professeurs qui sont dans les différents domaines du design et de l’ingénierie verts, c’est là, un endroit que tous les férus de plantes devraient être amenés à visiter. Pour les curieux comme pour les promoteurs de projets de développement territorial, tous sont les bienvenues. Au moment où se construit le Pôle urbain de Diamniadio, c’est aussi un véritable pilier sur lequel devrait s’appuyer les villes et leurs partenaires, pour mettre à l’épreuve l’expertise sénégalaise dans le domaine vert. Il semble qu’on en est loin pour le moment.
Quand on franchit le portail, rien de détonant. Un grand hangar vous ouvre ses portes. Il y a quelquies reliques de matériel d’un autre âge à l’intérieur. Poussez assez loin la promenade our aboutir au premier plan situé derrière ce grand bâtiment. Sur le sol, toutes ces aires de démonstration plantées ici là dans des plans dessinés à la pelle et à la houe, ces petits pots de terre dans lesquelles fleurissent toutes ces fleurs apaisent le décor. Un autre petit monde du rêve. Cachés du soleil, par une bache, et des filets, vous voici dans l’autre versant du domaine vert avec des jardins d’essai remplis de belles fleurs dans des pots. Des semis de tomates ou d’aubergine, de patates, de piment, d’arachide de contre saison qui sont beaux à voir les uns et les autres dans leur développement ceinturée de fruits et de légumes en maturation.
Images ordinaires pour les élèves qui passent tous les jours, leur temps à s’occuper des plantes ; leurs inventions aussi ; tant le métier qui touche à tout l’univers vert et à la vie, demande de l’imagination et de l’ingéniosité… Du génie pour dire ! Pour voir l’horticulture dans sa dimension réelle, le chemin n’est pourtant pas bien long à Dakar ; allez au Cfph. Laide dans son architecture, presque au bord de la vétusté à certains endroits, l’anonymat de cet établissement un peu à l’étroit au cœur de ce qui se fait de mieux en matière de jardinage à Dakar et même au Sénégal, est un paradoxe. Mais quelle histoire !
Surtout quand on se fait conter l’histoire de cette école qui garde encore en son sein, ses vieilles bâtisses du début, au milieu desquelles, sont initiés au karaté ou au judo de jeunes enfants, filles et garçons ; histoire de donner vie à un endroit parfois bien désolée. Dire que l’école résiste au temps, n’est pas un simple constat pour celui qui arrive ; car à côté des plants de légumes laissés aux élèves victimes de handicaps du Centre Aminata Mbaye (Cam) ( du côté de Grand-Yoff), le Centre fait aussi dans cet effort d’initiation aux métiers de l’horticulture. Il fait aussi, précise son actuel directeur, Alyou Sow, du social.
DANS L’ATTENTE D’UN FUTUR INSTITUT SUPERIEUR
en 1960, cette école qui a été baptisée comme le Centre horticole de Cambèréne, a connu beaucoup de soubresauts au gré de son balancement d’un ministère à un autre. 1960-1975, au bout de quinze années, la voila qui change d’appellation pour devenir, l’Ecole Nationale d’Horticulture (En). Et, jusqu’à la réforme de 1990, sa vocation était de former ces jeunes agents de la fonction publique travaillant dans les municipalités avec la mission de les accompagner dans leurs efforts de rendre plus attractive la ville. Il s’agissait également de développer leur expertise au niveau des parcs, jardins et autres Centres d’Initiation Horticole (Cih) qui existent encore à Mbao, Thiès, Diourbel Saint-Louis, Ziguinchor et Gandiaye.
Mais l’établissement ne sortira pas indemne de cette réforme car c’est à partir de cette date que tout change. Le recrutement dans la fonction n’étant plus obligatoire pour les sortants des écoles de formation en général, l’école changea alors d’appellation et pour devenir devient Centre de formation professionnelle horticole. Ses missions s’élargissent en intégrant les aspects d’entrepreneurs horticoles. Petit par la taille, le Centre de Camberène souhaite voir ses moyens s’élargir. Le temps est venu, pense-t-on du coté du centre, avec tous les projets initiés dans le privé et par le gouvernement de lui donner toute la place qui est la sienne.
Alyou Sow d’émettre le souhait de voir l’école prendre enfin son envol en affirmant, « Il nous faut aller vers l’érection du centre en institut de formation pour les métiers de l’horticulture. Parce qu’à l’heure où je vous parle, il n’existe pas d’école qui forme au Brevet de technicien supérieur en horticulture (Bts). Une seule fois, çà a été possible, et cela date de l’année 1979. Aujourd’hui, tous les cadres en horticulture que vous voyez ici ont été formés en Europe. »
DE L’AGE D’OR A LA PERIODE ACTUELLE : UN PETIT DOMAINE DE 5 HA DONNE DU SOUFFLE A LA CITE
Aujourd’hui, sous tutelle du Ministère de l’Agriculture, le Cfph est un véritable paradis vert qui ne dit pas son nom. Entre la connaissance des végétaux, la maitrise du machinisme, du sol, la gestion de la filière horticole, l’installation et l’entretien des jardins, le dessin et encore, la panoplie de cette école est vraiment non négligeable. Le mal de cet endroit est qu’il est adossé sur les Niayes, bloqué au sud et au nord par le développement de plantes envahissantes issues de l’Office de traitement des eaux usées de Cambèrène.
Mais, le directeur du centre, aujourd’hui, Alyou Sow, malgré toute sa volonté, sa science acquise de ses nombreux déplacements et sessions d’apprentissage dans le monde ne se suffit pas de cette expertise. Il veut plus pour son établissement avant son départ à la retraite. Formé à l’école au milieu des années 1980, le voilà qui va « voyager » entre services du département du ministère de l’agriculture jusqu’à son départ en France à Montpellier (Sup Agro) pour des études agronomiques. Son incorporation à la division des semences du ministère de l’Agriculture, comme contrôleur local de semence, le passage dans des Organisations non gouvernementales et le retour à l’école comme enseignant après un passage à Ecole normale supérieure d’enseignement technique pour une formation pédagogique ; et finalement un retour à l’école d’où il est parti.
Aujourd’hui, directeur, (les élèves l’appellent M. Le Directeur général), il est de retour chez lui. Logé au cœur de cet établissement, le voilà dans son jardin, où se mélangent passé et présent. A savoir les vieilles classes qui l’ont accueilli comme élèves à l’époque et les bureaux à la peinture ocre aménagés pour les élèves d’aujourd’hui. Le centre a changé. Des enseignants formés en Europe et au Sénégal, un espace digne des grands lycées français, un personnel soigné et discipliné, voilà l’image que lui laisse l’ancien centre que lui a connu. Mais, ce décor date du passé et c’était aussi comme l’âge d’or de cet établissement. Une époque au lendemain des indépendances très riche en promesses et en perspectives pour les sortants de ce lycée d’un autre genre, qui avaient souvent, pour destination professionnelle, l’administration. Pour les enseignants également, il y avait des spécialistes dotés de plus de moyens qu’aujourd’hui.
Autre époque, autre histoire. Le présent est moins reluisant. En ce lundi après midi, dans une forme d’agitation inhabituelle règne dans le centre à notre arrivée. La raison, explique l’un des élèves, est que « Nous récupérons nos nouveaux équipements de sports, des blousons en l’occurrence que nous nous sommes octroyés nous-mêmes grâce à une cotisation que nous avons faites pour mieux vendre l’image de l’établissement. » Un pantalon vert et un blouson que certains arborent immédiatement alors que les femmes sont en chemises Lacoste et pantalon vert. Bienvenue dans le domaine du vert ; de la verdure pourrait on écrire, parce que là, tout semble tirer vers cette couleur. Au milieu de ce bloc de bâtiment trône un arbre qui s’élève chaque jour plus : « l’arbre du voyageur », il s’appelle. Tout autour des fleurs sur le sol bien arrosé ; la preuve qu’il y en a qui s’en occupe. Dehors, des palmiers, des bananiers poussent et grandissent sur un sol récupérés de la vase laissée par l’eau salie de la Niaye.
Sur les 5 hectares affectés au départ à cette école d’excellence, les 2/3 ont été laissées aux mauvaises herbes et à la vase. Pour récupérer cet espace qui donne du souffle à la ville et permettre aux élèves horticulteurs de faire laisser jouer leur imagination et l’esprit de création, le directeur projette de déblayer et d’arracher les typhae par les moyens du bord, car révèle Alyou Sow, « Nous avons fait plusieurs notes à nos partenaires pour nous aider à enlever l’herbe de cet espace, mais pour le moment, nous n’avons pas de réponse. Déblayer par nos propres moyens serait possible, mais, il y a beaucoup de serpents à l’intérieur de cette marée et souvent les gardiens en tuent pendant leur ronde.»
Aujourd’hui encore, le centre ne peut se permettre de gros investissements...
« La raison, selon son directeur, est liée aux faibles moyens dont dispose l’école. » L’Usaid/Era accompagne le centre en termes d’équipements (mobiliers, bus, ordinateurs….) et de renforcement de capacités du personnel. Le Centre a noué aussi des partenariats avec des projets et certains programmes de l’Etat, mais aussi avec des privés comme Tropicasem, spécialisée dans la production et la vente de semences… Mais aussi avec d’autres structures comme la Société des cultures légumières et encore les Grands domaines du Sénégal situés dans la vallée du Fleuve Sénégal qui leur prend souvent, affirme le Directeur Sow, « des élèves stagiaires et même des sortants de l’école… »
L’expertise du centre se serait beaucoup améliorée également selon directeur, si le niveau de l’encadrement technique des élèves développait en même temps. Car, se désole M. Sow, « Ce dont nous manquons le plus ici, c’est de spécialistes capables de développer une expertise en gestion des espaces verts. Nous n’en disposons pas. Aujourd’hui, nous nous sommes attachés des services de techniciens spécialistes (vacataires) en aménagement des jardins et espaces verts pour combler ce vide. Mais ajoute Alyou Sow, Ma principale demande à l’Etat et aux partenaires, est de nous trouver des spécialistes en horticulture. »
FOCUS SUR... LE GENIE VERT ET L’ECOLE DU SAVOIR FAIRE
55 ans après sa création, les choses ont beaucoup changé pour cet établissement. Et, au moment où l’Etat se lance dans la création d’universités dans tout le pays, les métiers horticoles méritent une place dans cette volonté politique de faire du Sénégal, un pays émergent.
Mais, le premier défi à relever aujourd’hui est de reste de ce domaine vert. De 5 hectares au départ, la surface s’est beaucoup rétrécie au fil des ans. De part et d’autres, la zone d’application pratique a fait les frais de l’apport des eaux usées rejetées par l’Onas et le développement des typhas ; avec la conséquence immédiate qui est la mort des cocotiers plantés sur les lieux depuis les débuts. Tous ces arbres ont été emportés par la vase, mais aussi par le sel, autre problème à résoudre sur les lieux. Cela n’a pas pour autant, entamé la patience et l’obstination de l’actuel directeur qui pense que le centre devrait permettre de mieux camper la question de l’horticulture au centre des préoccupations du pays, en dépit de toutes ces contraintes.
Selon Alyou Sow, « Les Sénégalais ont toujours eu tendance à penser que l’horticulture tournait essentiellement autour du métier de fleuriste. Que non ! Vous y trouvez autre chose que çà. Le maraîchage, l’arboriculture fruitière les jardins et espaces font partie du domaine de l’horticulture. » Aller donc au-delà des préjugés est donc nécessaire. Et, parmi les 150 élèves qui sont inscrits dans l’établissement, on compte des boursiers de l’Etat, mais aussi des volontaires qui viennent pour apprendre le métier d’horticulteur. Si certains y accèdent après l’obtention du brevet élémentaire, d’autres y arrivent après avoir terminé leur classe de quatrième.
Les premiers sortent ainsi avec un Brevet de technicien horticole, les seconds qui y sont arrivés avec le niveau de la quatrième avec un Certificat d’aptitude professionnelle horticole. Mais, se réjouit le Directeur de cet établissement hors des normes, « Nous avons le privilège de recevoir parmi nos élèves, des bacheliers et quelques licenciés. Et, quand, je leur ai demandé ce qu’ils venaient faire ici, ils m’ont répondu que c’était pour apprendre un métier. Possibilité que leur offrait l’école et que l’université ne leur donnait pas. » Entre la science des sols, des végétaux, les enseignements sont de plusieurs ordres. Ici, la plupart des formateurs sont des ingénieurs agronomes. Pour le Directeur, « Il est aussi temps que l’école s’ouvre à d’autres spécialistes. »
A voir l’état du parc automobile, la modestie du cadre dans lequel se trouve le centre, l’on se pose la question de savoir si ce centre a réellement un avenir dans sa configuration actuelle. Ce qui fait dire au Directeur, « Nous ne pouvons pas aller à Kaolack dans l’enceinte de la future université agricole du Sine Saloum ; le terrain et le climat ne se prêtant pas trop à l’horticulture. Mais, il est intéressant de repenser notre existence au sein du bloc dans lequel nous sommes aujourd’hui », argumente Alyou Sow. Pour essayer de compléter les missions du centre, les élèves pratiquent de l’aviculture et disposent ainsi d’un poulailler pour mieux affiner leurs connaissances sur la question intégrée de l’horticulture, du maraîchage, de la culture des fruits, d’une part et de l’élevage, d’autre part.
C’est dans ce contexte, qu’annonce encore M. Alyou Sow,
« La réouverture prochaine d’un cycle destiné aux bacheliers et aux anciens diplômés de l’école en partenariat avec l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar qui permettrait à ces jeunes spécialistes, l’obtention d’une licence horticole. » Le Bts horticole devrait aider à changer la vie de cette école qui se développe dans une forme de morosité qu’elle ne mérite pas. Pendant ce temps, la collaboration se poursuit avec des espaces de démontration comme le Lycée Jean Mermoz de Dakar aménagés et entretenus par la seule science des sortants du Cfph.