L’ASSURANCE QUI MANQUE AUX LIONS
Au-delà de toutes les incapacités qui ont servi de lit aux désastres successifs que les «Lions» ont connus face à la Côte d’Ivoire, une statistique résume la cruelle évidence : 9 buts encaissés en trois matches, pour deux gardiens renvoyés à leurs études. Avec trois penalties dans le lot, certes, mais le reste fait déjà beaucoup et fait peur.
Il est vrai que les statistiques ne résument pas toujours la réalité. Dans leur sécheresse, elles ne servent qu’à donner un indicateur de référence, sans jamais exprimer toutes les dimensions qui interfèrent et interagissent.
Malgré tout, si le résultat d’un match relève d’une responsabilité collective, le tableau d’affichage renvoie souvent au gardien de but. Dans son extrême solitude et dans l’ultime espoir de rempart qu’il représente, il reste le point de fixation des grandeurs et des déchéances.
La faiblesse d’une équipe devient cruelle quand elle ne sait pas gagner par son gardien de but, quand elle n’a plus entre les poteaux et la transversale un faiseur de miracles, un as de l’impossible. Bouna Coundoul et Ousmane Mané, crucifiés trois fois pour le premier et six fois pour le second par les Ivoiriens, sont d’une dimension purement ordinaire.
Avoir un homme d’exception à ce poste aurait donné une valeur ajoutée aux espoirs de qualification en Coupe du monde, face aux Ivoiriens. Car autant le défi d’un 2-0 à remonter est à hauteur d’homme, autant la virginité qui conforte ce résultat derrière relève d’une dimension qui semble supérieure aux préposés à la tâche. On le sent dans le dossier publié hier par Khalifa Guèye (page 5).
Jusqu’à Tony Sylva, la cage aux «Lions» était habitée d’un capital confiance respectable. Sans être exceptionnel, ce dernier avait cette stature qui confère une présence rassurante. On la sentait dans sa capacité de réaction face à l’imprévu, à son sens alerte dans les situations compliquées, à son sens de l’anticipation et à ses reflexes devant des situations compromises.
Tout cela fait l’ordinaire du gardien de haut niveau. On le note chez Coundoul, mais il lui manque ce qui rend un portier exceptionnel et fit dire un jour à Pelé, au terme de Brésil-Angleterre du Mondial-70 (1-0) : «J’ai marqué un but, Banks l’a arrêté.»
Un bon gardien ne travaille pas sur les bases d’un match honnête. En lui dort un chef de gang, un voleur de victoires, un as du hold-up. Dans le temps, il avait le profil de l’emploi. Inspiré par Lev Yachine (premier et unique gardien de but Ballon d’Or en 1963), le goal était tout de noir vêtu. De la chaussure à la casquette. Comme sorti d’une bande de braqueurs de nuit, sa singularité vestimentaire était déjà un signe d’exception. Le plus souvent, il a eu une enfance de casse-cou. «Idiot» de ses pieds, il ne lui restait que son courage à payer de sa propre personne, à plonger tête première dans la mêlée, à rebondir sur le talus où il là où il n’y avait que 2 cm de sable, pour gagner la dernière place qui restait dans l’équipe, celle de gardien de but. C’est ainsi que petit à petit, on se mettait dans la peau du diable.
Il y a quelque chose de surnaturel qui force le respect chez un gardien de but. Une impression d’invincibilité qui fait passer l’équation de la victoire par ce facteur «numéro 1». Jouer contre le «Sily National» des années 1960 et 1970, c’était penser d’abord à Camara Morlaye puis à Bernard Sylla. Le Ghana du début des indépendances reposait aussi sur feu Robert Mensah. L’essor du Nigeria dans le football africain reposa sur un géant du nom d’Okala.
Côté maghrébin, des légendes ont été écrites par le Tunisien Attouga ou le Marocain Aziz. Mais c’est surtout l’école camerounaise qui a été fantastique avec la lignée des Nkono, Bell, Songo.
Au Sénégal, la faiblesse actuelle dans les buts n’est pas une tare congénitale. Les clubs ayant une grande histoire l’ont écrite avec des portiers de légende. Que ce soit Massata Diallo à Gorée, Toumani Diallo au Foyer, Amady Thiam à la Ja, Demba Mbaye au Jaraaf, Mansour Wade à la Police… Jusqu’à Cheikh Seck au Jaraaf, le terreau est demeuré fertile, pour donner à l’équipe nationale du Sénégal une assise permettant de fixer un indice de confiance tel que, dans un contexte comme celui du match du 16 novembre prochain, le souci serait moins derrière que devant.
Le besoin n’est pas uniquement d’avoir sur la ligne une machine à plonger. Il s’agit de disposer d’une intelligence et d’une autorité apte à assurer le commandement suprême. Sans compter le respect à imposer à l’adversaire.
Le fait de n’avoir plus eu un titulaire local en sélection nationale depuis 2002, voire un titulaire dont le vécu du haut niveau africain a été assez solide avant son expatriation, constitue un handicap sur lequel il faut s’interroger. A un poste où l’assise mentale et l’équilibre psychologique demeurent essentiels pour tuer la peur (comme on en a connu à Abidjan), il est fondamental de disposer d’un homme ayant grandi dans les «conditions de température et de pression» adaptées à l’Afrique.
On n’en a plus depuis longtemps en équipe nationale.
Peut-être que le poste se meurt parce que le gardien de but se vend mal sur le marché pro. A ce jour, seuls Cheikh Seck (Tunisie), Samba Fall (Egypte) et Oumar Diallo (Maroc) demeurent les gardiens de but à avoir embrassé une carrière professionnelle à partir de leurs acquis locaux. Tous en Afrique du Nord. Personne n’a pu traverser les océans pour s’imposer en Europe ou ailleurs.
Symptôme flagrant du mal : les produits de Diambars (centre de formation le plus abouti à l’heure qu’il est), qui ont percé dans le monde professionnel, sont tous défenseurs ou milieu de terrain.
Et pourtant, devant comme derrière, la science infuse à partager ne manque pas dans ce pays. Notamment chez les anciens…