L’ENTRE-DEUX DESTINS D’UN DELTA DE TOUS LES ENJEUX
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Sur la route de « Yetti yoon » en partant de Colonat, l’ancien périmètre rizier des années de bonheur du Delta, la piste latéritique serpente la savane sur de vastes étendues de terres gagnées par la salinité et s’avance dans ce périmètre en bordure de l’ancienne réserve.
Nous sommes à l’orée de Nder, capitale légendaire et cœur du Waalo historique sur l’axe des communautés rurales de Ngnith de Keur Momar Sarr.
Là-bas, sur la canalisation nouvellement installée, la nature reprend ses droits, l’inévitable typha commence à envahir le petit lac aménagé sur la zone et sur la surface que viennent rider de temps à autre les caresses du vent, s’étalait un tapis de nénuphar d’où se dégageait une floraison couleur carmel.
Ce qui augure déjà de la qualité de la gousse souterraine grosse de cette substance granulée appelée « jaxaar », succulente nourriture d’une gastronomie ignorée des jeunes générations et ressemblant, à s’y méprendre, à un de ces couscous malaxés de main de... mère.
La piste chaotique, jusqu’à très récemment, a pris un coup de neuf depuis que les engins du Projet Senhuile qui arpentent la zone vers sa base de « Buntu baat » l’ont retapée en attendant que le bitumage envisagée de la bretelle longue de 35 Km (Ngnith-Colonat-Richard Toll) sur le site puisse définitivement contribuer au désenclavement de la communauté rurale qui borde le versant ouest du Lac de Guiers.
Une route qui, nous susurre-t-on, devrait relier cette partie du Waalo à Louga par Keur Momar Sarr et permettre d’écouler toute la production agricole du département de Dagana vers Dakar en débouchant sur le Louga sans passer par la ville de Saint-Louis.
Ce qui devrait se traduire par un important gain d’énergie et de temps avec un raccourci d’environ 100 Km.
Ce décor significatif, à plusieurs égards, des transformations dans ce milieu considéré comme un écosystème fragile, est aussi et surtout une lucarne ouverte sur les mutations écologiques que connait le Delta du Fleuve Sénégal.
Il est également révélateur des enjeux de l’après barrage comme autant de lancinantes questions qui se posent avec acuité et dont l’occurrence est liée aux impacts considérables sur son environnement immédiat et global de cette infrastructure, ouvrage pharaonique s’il en est, qu’a été la construction en 1985 du barrage anti-sel de Diama sur le delta du fleuve Sénégal.
Laquelle aura contribué, avec la mise en service, deux ans plus tard, du barrage hydro-électrique et de régulation du débit fluvial de Manantali plus en amont, à certes améliorer les hauteurs d’eau et facilité l’irrigation. Mais aussi, à modifier profondément le fonctionnement hydrologique du lac et la qualité des eaux provoqué des perturbations environnementales comme la prolifération des plantes aquatiques envahissantes dans les zones peu profondes.
Après la mise en eau du Barrage de Diama, il y aura bientôt trente ans, les aménagements complémentaires de la Compagnie sucrière SÉNÉGALAISE (Css), de la Société d’aménagement et d’exploitation du delta (Saed) et des autres tenants de l’agro-business, ajoutés aux installations nouvelles de la Société des eaux du Sénégal (Sde), présente sur place depuis les années soixante-dix, l’importance du site du lac de Guiers et du Delta du fleuve Sénégal s’en trouve plus que jamais renforcée.
On y voit, chaque jour, converger des populations de plus en plus nombreuses et s’y développer, de façon anarchique, des activités économiques et sociales multiples mais très souvent concurrentes.
Autant de facteurs liés à un rush sur l’écosystème fragile qui, combinés à d’autres comme l’évaporation naturelle, l’installation irrationnelle, et les effets drastiques des changements climatiques, font peser une lourde hypothèque sur l’équilibre rendu plus précaire encore par une pression foncière incontrôlée.
Mais aussi par l’augmentation des prélèvements des eaux aux fins d’agriculture irriguée, l’option pour une alimentation en eau potable des grandes agglomérations urbaines et principalement de la capitale au détriment, (jusqu’à très récemment) de celles des communautés autochtones vivant autour du lac.