L’HÉMICYCLE EN ÉBULLITION
MODIFICATION DU RÈGLEMENT INTÉRIEUR DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE
Le vote, aujourd’hui, de la proposition de loi portant modification du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, s’annonce explosif, au vu de ce qui s’est passé, vendredi dernier, lors de l’examen du document par la Commission des lois de l’institution susnommée.
Ça va chauffer, ce matin, à l’Assemblée nationale, à l’occasion du vote de la proposition de loi portant modification du règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Cette proposition de loi qui porte l’empreinte de 23 députés vise, entre autres, à abroger la loi Sada Ndiaye pour un retour au quinquennat, à empêcher à tout député démissionnaire de son groupe parlementaire d’adhérer à un autre groupe en cours de législature, à corser les dispositions pour mettre en place un groupe parlementaire (15 au lieu de 10 députés).
Son examen par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, vendredi dernier, a donné lieu à de chaudes empoignades, et n’augure rien de bon pour la coalition présidentielle, où l’on est loin de parler le même langage.
Pour Me Djibril War - qui s’exprimait, avant-hier, lors d’un «Ndogu» républicain - «il faut que les gens sachent qu’un groupe parlementaire n’est pas une association, et ceux qui ne sont pas sortis de la bonne école aient l’humilité d’aller regarder le Larousse pour avoir une notion du sens du groupe». «J’entends Barthélemy Dias dire que cette loi est une violation à la liberté d’association. On n’a pas besoin de faire l’université pour savoir qu’un groupe parlementaire n’est pas une association. Le groupe parlementaire est une structure purement facultative. Et en regardant le temps et l’espace, vous verrez que la matière quantitative n’a jamais été statique. Le groupe parlementaire n’est pas une structure obligatoire dans la vie parlementaire», a souligné le président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale.
Avant d’enfoncer le clou : «On devrait même aller plus loin en imposant qu’une fois un député sort d’un groupe constitué pour aller à un autre, qu’on le licencie de l’Assemblée nationale. Il y va même de l’assainissement de la vie publique et politique. Donc, il n’y a pas péril en la demeure».
Pour sa part, Abdoulaye Wilane, porte-parole du Parti socialiste (Ps), précise, d’emblée, que sa formation politique n’a aucune volonté de créer un groupe parlementaire.
Wilane du Ps : «Réduire ou conditionner la liberté des députés n’est pas une bonne chose»
Et il soutient : «A l’heure où je vous parle, aucune instance du Ps n’a été réunie pour connaître de cette question. C’est par voie de presse qu’on a entendu des députés dire des choses qui semblaient révéler une divergence profonde. Nous avons aussi appris au niveau du groupe parlementaire ‘Bby’, que des réunions avaient été organisées pour partager sur les tenants et les aboutissants de cette proposition de loi».
Selon le maire de Kaffrine, cette proposition de loi est la première dans cette Législature. «Cela veut dire que c’est une proposition de loi qui, sans aucun doute, va impacter l’image de notre régime et du Parlement. Dans une démocratie qui se respecte, c’est la liberté qui doit prévaloir à l’Assemblée nationale. Même si les députés sont investis par les partis politiques, une fois élus, ils sont des députés de la nation, c’est des députés du peuple», indique-t-il.
Sur les informations selon lesquelles une partie de cette proposition de loi vise les socialistes, M. Wilane déclare : «Le Ps a bon dos. Le Ps n’a pas de problème, ni avec l’Apr ni avec l’Afp, encore moins avec ‘Bby’. C’est des oiseaux de mauvais augure qui nous souhaitent des divergences. C’est des gens qui manquent d’arguments qui orientent le débat du genre ‘le Ps est un parti mort, couché, réhabilité et nourri».
«Nous sommes expérimentés, bien rôdés, pour gérer nos contradictions, parce que, ce qui nous réunit au Ps, est plus important, plus significatif, plus déterminant, que ce qui peut nous diviser. Tous ceux qui pensent que les socialistes envisagent de créer un groupe parlementaire, c’est des gens qui racontent des contrevérités. Il y a des députés qui font de la surenchère, qui dénoncent le procédé et même quelques aspects du contenu de cette proposition de loi», affirme Abdoulaye Wilane.
A l’en croire, le dialogue politique doit être la règle à l’Assemblée nationale. «Je pense que réduire ou conditionner la liberté des députés n’est pas une bonne chose», conclut-il.
Zator Mbaye de l’Afp : «C’est une loi qui trahit la trahison parlementaire»
De son côté, Zator Mbaye, député de l’Alliance des forces de progrès (Afp), est d’avis que cette proposition de loi vient corriger une incorrection parlementaire.
«Jamais à l’Assemblée nationale, on a vu une proposition de loi qui a été signée par autant de parlementaires. C’est 23 signataires émanant de différents partis politiques, dont l’Afp, la Ld, Le Pit, le Ps et l’Apr. Le nombre de dix est venu par accident à l’Assemblée nationale. Cette loi va rétablir le quinquennat du président de l’Assemblée nationale. C’est une loi qui est conforme aux conclusions des Assises nationales et aux recommandations de la Cnri. C’est une loi qui trahit la trahison parlementaire», assène-t-il.
Selon lui, cette loi pourrait amoindrir les charges aux contribuables sénégalais. «Un groupe parlementaire, c’est des charges pour le contribuable Sénégalais. Un président et un Vice-président de groupe parlementaire, un président de Commission, ont des émoluments à la hauteur d’un ministre. On ne peut pas se permettre de dire qu’un groupe de 4 personnes peut créer un groupe parlementaire. Cela n’est pas acceptable», fulmine M. Mbaye.
Avant de boucler la boucle : «Cette loi va moraliser le champ politique. Je crois qu’aujourd’hui, nous devons tous lutter contre la transhumance parlementaire, c’est immoral. Il est anormal qu’un député soit élu sur une liste de coalition, et qu’à mi-mandat, mu par des intérêts crypto personnels, qu’il puisse quitter cette coalition et aller créer ou rejoindre un autre groupe parlementaire».
Le député Oumar Sarr a décidé de voter ladite proposition de loi, même s’il n’est pas d’accord sur tout. «Il y a plusieurs points sur lesquels je ne suis pas d’accord, mais je voterai la loi globalement», dit-il.
Thierno Bocoum de «Rewmi» : «C’est une loi scélérate qui ternit l’image du Sénégal»
Pour le député de «Rewmi», Thierno Bocoum, «cette proposition de loi est un recul démocratique et est inacceptable».
«Nous ne pouvons pas, aujourd’hui, au moment où dans le rétroviseur, on peut apercevoir beaucoup de sacrifices qui ont été faits par des Sénégalais pour que le pays soit définitivement une vitrine de la démocratie, accepter que des députés puissent nous inscrire dans une logique de recul démocratique. C’est une loi qui nous oriente vers des considérations liberticides et antidémocratiques. C’est une loi honteuse», martèle Thierno Bocoum.
Selon lui, «c’est inacceptable, et c’est triste pour le Sénégal». «Nous allons nous battre de toutes nos forces pour que cette loi ne passe pas. Non seulement, on ne va pas voter, mais pour nous, c’est une loi à ne pas présenter à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas une loi digne de notre démocratie. Ce n’est pas une loi qui élève l’Assemblée nationale. Au contraire, c’est une loi scélérate qui ternit l’image du Sénégal, qui ternit l’image de l’Assemblée nationale».
Embouchant la même trompette, la députée libérale Fatou Thiam de lancer : «C’est un recul démocratique. Cela prouve juste que la coalition ‘Benno bokk yakaar’ est une coalition contre-nature. Aujourd’hui, les résultats sont là. Cette démarche ne me surprend pas. Le problème, ce n’est pas ‘Rewmi’ ni le Pds, mais le Parti socialiste qui a des ambitions présidentielles. Je ne voterai pas cette loi».