L’HEURE DE VÉRITÉ
La CREI doit apporter des preuves formelles de la culpabilité de Karim Wade ou alors lui accorder la liberté provisoire pour qu’il comparaisse libre, en respect de ces droits. C’est cela la démocratie
Ce matin, c’est l’heure de vérité pour les juges de la CREI. Ils devront décider du sort de Karim Wade et Pape Mamadou Pouye. Leurs avocats ont demandé la liberté provisoire, pour permettre à leurs clients de se sortir de l’univers carcéral de Rebeuss sans que le procès ne fût arrêté. Cela fait deux ans qu’ils sont en détention préventive. C’est démesurément long, pour des présumés innocents. Surtout, des prisonniers sur qui ne pèse pour l’heure aucune charge sérieuse.
Bien au contraire, la poursuite des recherches de preuves, donne à ce procès des allures anecdotiques, mais aussi iniques et dégradantes. L’invocation d’une possible subornation de témoins ne tient pas la route. Parce que tout simplement nombre de ces témoins se sont déjà succédé au prétoire sans que leur déposition eût pu révéler un tantinet de fondamentalement décisif dans les accusations contre l’ancien ministre.
Et puis, du cartel de soupçonnés, tous des anciens pontes du système précédent, seul Karim reste encore dans les limbes de la détention provisoire. Les autres, craints, volontairement épargnés ou stratégiquement préservés, se pavanent comme des paons, narguent le pouvoir ou développent leur stratégie de protection.
Et puis, si Karim avait quelque velléité à suborner des témoins, ses moyens, au vu de l’immensité réelle ou supposée de ses biens lui en offriraient les possibilités, même derrière les barreaux.
Derrière cet argumentaire juridique se cache certainement une volonté réelle de prolonger les souffrances de Karim Wade et de crédibiliser sa revendication de «prisonnier politique», présidentiable. Quel curieux retournement des choses !
Voilà un homme qui naguère rasait les murs, réduisait au strict minimum ses apparitions, se transbahuter à travers les continents en jet privé, déclencher à la moindre occasion les plus fortes réprobations, des haines insatiables, et qui se transfigure, aujourd’hui, miraculeusement en icône de la scène politique. Voilà un homme d’apparence infantile, accroché aux basques de son Président de père comme si sa vie en dépendait, et qui déclenche des compassions, un appréciable capital-sympathie et au bout du compte… une espérance d’alternative politique en 2017.
Battu en 2009 dans son propre bureau de vote lors des élections municipales, Karim- quelle infamie !-, n’est plus un candidat risible aux présidentielles de 2017. Quoique ses adversaires au sein même du PDS fussent nombreux et forcenés ! Mais le fait est là, Karim est passé de l’agneau chouchou du berger au monstre politique en adulation.
Ce début de retour en grâce est instancié par le sentiment d’injustice qui empeste son procès. Et surtout, les errements juridiques de l’ancien Garde des Sceaux, son long emprisonnement sans que des preuves intangibles fussent à ce jour, produites.
Sans doute, en sommes-nous convaincus, l’absence de preuve ne signifie nullement innocence. Mais sans preuve, la présomption d’innocence devrait prévaloir. Autrement, le mot justice n’aurait plus sa raison d’être. La loi du Talion guiderait les esprits chagrins, l’inquisition, le délit de faciès, la justice de vainqueurs seraient le bras séculier des donneurs d’ordres (les consignes). L’acharnement avec politique, un logiciel d’injustices. Notre société ne peut s’accommoder de tels errements. Et le principe de la séparation des pouvoirs, fondement de notre système démocratique, y perdrait son sens et sa valeur.
En d’autres termes, les consignes supplanteraient les consciences. Et l’intime conviction du juge ne serait que la traduction d’une volonté politique, partisane, subjective, intéressée et au bout du compte, abjecte et scélérate. Fort heureusement notre justice a le plus souvent fait honneur à notre pays et à ses hommes politiques. Dire le droit avec courage a toujours été savamment entretenu, même si par moments des dérapages notés dans notre l’histoire politique récente, ont failli entacher son image exemplaire. Mais force est le plus souvent revenue à la loi. Et cette jeune histoire ne regorge pas de ces insoutenables vicissitudes qui dénaturent la loi. Cette déconstruction est à éviter.
C’est précisément cet ancrage éthique qu’on attend ce matin, pour que la CREI dont la nature n’offre pas un visage très démocratique, puisse dire le droit, plus qu’elle ne l’a fait jusqu’ici : apporter des preuves formelles de la culpabilité de Karim ou alors lui accorder la liberté provisoire pour qu’il comparaisse libre, en respect de ces droits. C’est cela la démocratie, celle que l’on définit, entre autres, comme «le commun vouloir vivre en se respectant» (Rocard dixit).
Les circonstances atténuantes qui plaident en faveur de sa liberté préventive sont, pourtant nombreuses. En dehors de l’absence de preuves formelles, la présomption de sincérité peut être retenue. Karim s’est présenté librement devant le juge alors qu’il était en séjour à Londres. Fort de sa nationalité française, il aurait pu lâchement s’exiler en France auprès de ses enfants, surtout après la disparition de son épouse, Karine.
En conséquence, accorder la liberté provisoire à Karim Wade et Pape Mamadou Pouye, ne devrait provenir ni d’un geste de magnanimité, ni d’une volonté d’apaisement, ni d’une injonction d’un chef religieux encore moins d’un deal politique aux desseins inavoués. Il devrait tout naturellement découler de la source du droit, pour être juste et équitable.