L’HISTOIRE D’UN ROI ET D’UNE COUPE
Là où d’autres préparent une Can pendant deux ans, voire plus, la Guinée équatoriale n’a bénéficié que de deux mois. On leur crie des imperfections, mais c’était ça ou le néant. Quand les rois se défaussent, le peuple assume son destin

C’est l’histoire d’une famille où le père enfante tous les deux ans, comme dans une politique de planification naturelle bien maîtrisée.
L’an de grâce 2015 était attendu pour marquer à nouveau ce bonheur biennal. C’est le trentième rendez-vous et l’on s’y apprêtait dans l’allégresse et la ferveur. L’événement devait même avoir une dimension exceptionnelle. Un des derniers rois de la contrée (avec celui du Swaziland), dans la magnificence qui habite encore les prés gazonnés de son royaume, s’était en effet porté volontaire pour offrir tables et couverts où poser la Coupe, au milieu des ors de sa royauté.
C’est alors qu’on était en plein dans les apprêts, que la funeste nouvelle est tombée. Dame Coupe allait faire une fausse-couche. Pour la première fois depuis 1957, pour la première fois depuis le baptême fondateur du Caire, la famille footiste africaine (bien sûr qu’on vous parle de la Can !) allait devoir ravaler ses élans de jouissance.
Mais on a beau être roi, monarque éclairé ou Ubu sur un trône, on n’est pas dieu du foot. Et l’enfant naîtra ce samedi. Envers et contre tout.
Le monarque infanticide avait fermé ses portes, élevé des barricades autour de ses jardins et rabattu les volets sur ses fenêtres. On lui avait dit qu’il y avait un mal mystérieux qui ravageait le peuple par-delà les frontières de son royaume. Il s’est alors rappelé les pestes du Moyen-âge auxquelles ses royaux ancêtres n’avaient échappé qu’en brûlant les chaumières et les gueux avec. Mais cette «purification» par le feu ne se fait plus à l’ère d’Internet.
Le Roi s’est alors enfermé et a posté ses sentinelles. Que ces pestiférés d’éboléens aillent s’encanailler et s’infecter ailleurs !
Sa Majesté ne s’était pourtant pas totalement isolée. Quelques lumières brilleront encore derrière les fenêtres du palais. Car le Roi aime les plaisirs fastueux. Ceux-là qui le transportent aux côtés des seigneurs. Par-delà les mers, il a donc accueilli des hôtes au sang bleu. Ces nobles et autres chevaliers du ballon qui savent si bien se tenir à table et porter à l’extase le bonheur de sa cour. Ils venaient d’Espagne, de Nouvelle-Zélande, du Mexique et d’Argentine.
Que le bas peuple aille donc étaler sa misère ailleurs, si jamais elle trouve où enfanter !
C’est ainsi qu’il a fallu taper aux portes. Les possibilités n’étaient pas nombreuses devant l’imprévu et les urgences. Il y a tellement à dire chez l’hôte de circonstance, mais «qui dort sous la pluie n’a rien à dire de la case qui l’accueille».
L’enfant appelé donc à naître aujourd’hui à Malabo, trentième rejeton dans la fratrie, est un miraculé. Un survivant de ce qui allait être une fausse-couche et qu’il a fallu accoucher par césarienne.
De ce prématuré, on ne sait pas encore s’il est venu avec dix doigts et dix orteils, avec un nez au milieu du visage et avec des oreilles bien décollées. Mais cet enfant est à accueillir avec tolérance et bienveillance.
Là où d’autres préparent une Can pendant deux ans, voire plus, la Guinée équatoriale n’a bénéficié que de deux mois de préparation. Aurait-elle eu l’habitude de se préparer à telles réjouissances, avec des temples aux quatre coins de ses villes et des fidèles habités par la pure passion du ballon, on aurait pu se laisser habiter par la confiance qui repose sur «l’ordre naturel des choses», cette confiance qu’on nourrit devant ceux qui savent battre la mesure et parviennent à arranger leurs partitions les yeux fermés.
Les Équato-Guinéens n’ont pas l’expertise, encore moins l’expérience. Tout juste ont-ils un peu appris, il y a trois ans, avec la Can-2012. Déjà, on leur crie des imperfections et on liste leurs couacs. Pendant les jours à venir, on va sans doute rigoler du ramasseur du ballon qui se prend les pieds dans un maillot trop long. La confusion dans les hymnes nationaux fera sourire. On se gaussera du poster 4 XL du dictateur du coin, en mal de renommée internationale, trônant un peu partout sur les murs des hôtels et dans les rues des villes. On pestera contre les dos d’âne sur le gazon, sans manquer de noter les courants d’air qui circuleront dans des tribunes vides. Mais c’était ça ou le néant.
Quand les rois se défaussent, le peuple assume son destin. Par contre, quelle que soit la forfaiture d’un Roi, on ne saurait absoudre la Caf. Au-delà des risques d’annulation de cette 30e édition, c’est l’avenir de la compétition qui est posé. L’exigence d’une participation de haut niveau pèse sur les budgets des Etats. Les gouvernements ghanéen et ivoirien ont rechigné à allouer les 3 à 5 milliards de francs escomptés, pour ensuite s’assouplir devant les menaces de forfaits.
La Caf n’est pas la Fifa en termes de trésorerie, mais les bénéfices qu’elle accumule doivent aider à développer et à faire vivre le foot africain, plutôt qu’à entretenir des ronds-de-cuir avachis.
Les équipes qualifiées au Mondial reçoivent 6 milliards de francs de la Fifa pour se préparer. Aller faire le spectacle à Bata, à Malabo ou à Mongomo a aussi un coût dont la Caf ne devrait pas attendre que les bénéfices. Sa situation de rentier du ballon doit cesser, pour une structure qui fête ses 58 ans.
Nota bene : Toute ressemblance que vous pourriez voir dans ce texte avec un Roi quelconque, est le fruit de votre imagination.
Ps : Votre chronique vous revient pour la Can. Au quotidien. Des contraintes professionnelles avaient rendu sa parution très épisodique.