L’HYPER PRÉSIDENTIALISME DÉCRIÉ
TYPE DE RÉGIME AU SÉNÉGAL
Le Forum organisé ce samedi par les jeunes de la Ligue démocratique a servi de tribune pour les partis politiques et universitaires de faire le procès de l’actuel régime.
Alors que tout le monde attend la publication du rapport de la Commission nationale de réforme des institutions (CNRI), universitaires et partis politiques n’arrivent toujours pas à s’entendre sur le type de régime pour le Sénégal.
Pour le Dr Oumar Diop, enseignant-chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD), il n’y a aucun doute que le “régime présidentiel est beaucoup plus indiqué” pour notre pays, compte tenu de son histoire démocratique.
“Nous avons toujours eu un régime présidentiel, rappelle le juriste. A chaque fois qu’il y a un problème, les populations mettent en avant le président de la République responsable, à tort ou à raison. Donc, il est plus logique de lui donner le pouvoir exécutif” pour agir, a dit le Dr Diop en introduisant le thème : “Le Sénégal en 2014 : état des lieux, enjeux et perspectives”, lors du forum organisé par les jeunes de la Ligue démocratique (Ld).
Il pense que le régime parlementaire est “source d’instabilité” et “nécessite un jeu d’équilibre”. “Non”, a rétorqué Momar Sambe, leader du Rassemblement des travaillistes africains/Sénégal. “Le présidentialisme, a-t-il déclaré, n’a jamais été le type de régime pour le Sénégal avant 1963’, date à laquelle le poste de président du conseil a été supprimée. Pour le membre du Conseil économique social et environnemental (CESE), ce système actuel est “importé”, alors que “nos sociétés ont toujours fonctionné sous le modèle démocratique”.
A preuve, “le royaume Lébou a eu à destituer son roi par l’assemblée”, a illustré M. Sambe. Pour lui donc, le Sénégal gagnerait à adopter un régime parlementaire comme le “recommandent les Assises nationales”. Mais, le Dr. Diop en doute et défend le régime présidentiel qui, selon lui, est soumis à des “conditions”, pour éviter les “dérives autoritaires”. Il propose un mandat unique et exclusif de 7 ans ; la suppression du cumul de fonction de chef de l’État et de chef de parti ; le renforcement des organes de contrôle comme le CNRA, le SENAT ; la création d’une instance d’interpellation où les ministres viendront répondre aux questions des citoyens”.
Position de Benno Siggil Sénégal ?
Mais le débat de fond, pour Abdoulaye Elimane Kane, c’est de savoir aujourd’hui la position des partis membres de Benno Siggil Sénégal sur la question. Car, rappelle ce membre du Bureau politique du Parti socialiste, “notre option était pour le régime parlementaire”. “Tout le monde sait que le président de la République à des pouvoirs forts” et qu’il fallait les réduire, au profit du Premier ministre.
“Est-ce que nous sommes dans une contradiction, où on attend d’arriver au pouvoir pour l’appliquer (le régime parlementaire) ?” a-t-il interpellé. Mamadou Diop “Castro” de dire que BBS a “raté le coche”, en allant à la présidentielle 2012 en rang dispersé. “Nous voulons des ruptures, mais nous ne nous donnons pas les moyens de cette rupture”, s'est désolé le membre de la Ld. Le leader syndical est convaincu qu'en 2012, les partis d’obédience gauche auraient dû réaliser cette “rupture”, s’ils avaient gagné la présidentielle.
“Oser faire le procès des deux ans de Macky”
Joe Diop, du Mouvement pour l’autonomie populaire Yoonu Askan wi, en est d’autant plus convaincu que, dit- il, on a affaire à un “État d’oppression” et “de classe” qui “a vendu des terres aux Libanais et aux Chinois”, au détriment des “masses populaires”. Aujourd’hui, sa conviction est que “si on ose faire le procès des 12 ans du régime de Wade, on doit oser faire le procès des 2 ans de Macky Sall”. Mody Niang, qui a osé le faire, a dressé un bilan sans complaisance. Le célèbre contributeur constate que “malgré les efforts faits par les uns et les autres”, dans le gouvernement de Mimi Touré, “le système n’a pas changé”.
Car, dit-il, les mêmes pratiques décriées sous Wade demeurent. “On nomme une personne directeur général de société, alors qu’il n’a jamais travaillé dans sa vie. Certains postes doivent au moins faire l’objet d’appel à candidature”, s’est-il insurgé. Se sentant interpellée, Khoudia Mbaye, ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat, a répliqué : “Je n’ai pas l'impression de vivre les mêmes pratiques que sous l’ancien régime. (...) Lorsque nous le constaterons, nous prendrons nos responsabilités”, a fait savoir la responsable nationale des femmes de la Ld. Quoi qu’il en soit, son camarade Mamadou Diop “Castro” a invité la Gauche sénégalaise à cesser d’être “faiseur de Roi”. “A quand la Gauche au pouvoir ?' s'est-il demandé. “Bientôt ! Bientôt”, a crié Joe Diop, avec un brin de nostalgie.
“Le gouvernement a été pris à la gorge par les élections locales”
La rencontre a également permis aux acteurs de se prononcer sur l’acte 3 de la décentralisation. Même si Abdoulaye Elimane Kane approuve ces réformes, il n’en déplore pas moins le “manque de concertation” sur la question. Convoquant Jean Jacques Rousseau, le philosophe a souligné que “lorsque des questions concernent toute une population, seule une longue délibération est nécessaire”. L’ancien ministre de la Communication a soutenu que le gouvernement a divisé l’acte 3 en deux phases, parce qu”’il a été pris à la gorge par les élections locales” prévues le 29 juin prochain.
Son camarade Serigne Ousmane Bèye a invité le gouvernement à “ne pas confondre vitesse et précipitation”. L'économiste a estimé qu'il faut attendre que toutes les réformes (code minier, réformes institutionnelles, réformes foncières) soient terminées, avant d’engager l’acte 3 de la décentralisation. Un avis que Amadou Codou Diouf, président du CONGAD, n'a pas partagé. Membre du Comité de pilotage, M. Diouf a expliqué que ces réformes ont été menées, avec l’implication toutes les parties prenantes. Toutefois, il a reconnu que l’acte 3 comporte “beaucoup d’enjeux” qui expliqueraient l’hostilité de certains acteurs.