L’islam n'a pas de problème avec l'Occident, mais avec ses propres fidèles
TARIQ RAMADAN A DAKAR

Dakar, 11 mars (APS) – Le problème de l'islam, ce n’est pas avec l’Occident, mais avec ses propres fidèles, a dit lundi à Dakar le philosophe suisse d'origine égyptienne, Tariq Ramadan, qui souligne "l’urgente nécessité" pour les musulmans de se réconcilier avec l’éthique de leur religion.
"Le Coran ne changera jamais. Les textes du prophète [Mouhammad, PSL] ne changeront pas. Ce qui doit changer, c’est notre façon d’appréhender les choses, notre façon de lire et de comprendre les défis qui nous interpellent. Le problème de l’islam, ce n’est pas l’Occident. Ce n’est pas les autres, mais nous-mêmes", a déclaré M. Ramadan en animant une conférence à l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar.
La conférence, axée sur "l’urgente nécessité de repenser l’éthique islamique : la spiritualité et la loi", a réuni des chercheurs, des islamologues et de nombreux étudiants. Dans un grand auditorium de l’UCAD plein comme un œuf, Tariq Ramadan s’est longuement appesanti sur l’éthique musulmane et les défis à relever par l'islam.
"Notre attitude psychologique devient une attitude de prohibition, d’interdiction et de protection. Il faut repenser l’éthique musulmane pour sortir de ce carcan, en se posant cette interrogation : les textes divins nous permettent-ils de nous distinguer de l’autre ou de nous réconcilier avec nous-mêmes ?" a-t-il commenté devant l'auditoire.
"L’un des nos problèmes [en tant que musulmans] est d'ordre intellectuel et psychologique. Quand on se sent dominé ou quand on est en position de victime, nous avons le réflexe d’invoquer les lois en disant : +ça c’est juste, ça c’est faut, ça c’est prohibé+", a analysé M. Ramadan.
Il estime que cette posture d'homme dominé ou sur la défensive traduit "une attitude psychologique très problématique parce que le premier principe en islam, c’est la permission, pas l’interdiction". "Mais, quand on se sent agressé, on a tendance à penser que c’est le contraire..."
"Dans toutes les communautés musulmanes, au Sénégal, au Moyen-Orient ou même en Occident, a poursuivi ce spécialiste de l'islam contemporain, j’ai constaté une focalisation du discours musulman sur des éléments de la prohibition ou de la culpabilité. Pas un discours fondé sur l’essence de l’islam, sa lumière, son ouverture et ses objectifs."
Tariq Ramadan pense que "la principale victime de cette attitude psychologique, dans les communautés musulmanes, ce sont les femmes qui deviennent l’objet de tous les interdits". "Elles sont cloisonnées dans des enfermements culturels. Or, dans la tradition musulmane, le Coran ne recommande pas d'enfermer les femmes, mais de les libérer de ces enfermements culturels", a souligné M. Ramadan, professeur d’islam contemporain à l’Université d'Oxford (Royaume-Uni).
"Nous sommes intellectuellement aliénés, car nous avons offert la possibilité d’être intellectuellement aliénables […] comme les Africains ont été colonisés parce qu’ils étaient colonisables […]. Il faut se réconcilier avec nous-mêmes et cesser de nous distinguer des autres", a recommandé Tariq Ramadan.
M. Ramadan est enseignant à l’Université de Doshisha (Japon) et dirige le Centre de recherche sur la législation et l’éthique islamiques (CILE) de Doha (Qatar).
En 2004, le journal américain Time le classait parmi les 100 personnes les plus influentes dans le monde. Il a fait des études de littérature française et de philosophie à l’Université de Genève (Suisse).