LA BAGARRE A COMMENCÉ DANS LES COURS MARABOUTIQUES
ABC-MACKY
L’histoire de la rupture entre Macky Sall et Alioune Badara Cissé s’est déroulée en grande partie dans les salons feutrés des marabouts ou dans les cours au sable fin et meuble de Tivaouane et de Touba.
Entre Macky Sall et ABC, la rupture «définitive» a germé loin des cercles politiques. Les deux hommes étaient dans une sourde opposition. Et ils ne s’affrontaient pas dans les assemblées générales ou autres meetings politiques. Loin s’en faut ! Par ouailles interposées ? Sans doute. Mais, en vérité, Macky et son ancien ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur menaient leur duel dans les cénacles religieux. D’ailleurs, sitôt revenu de son voyage après sa disgrâce au poste de coordonnateur de l’Apr, Me Cissé a filé droit à Touba avant de se consacrer à ses militants de Saint-Louis.
Les deux hommes étaient dans les salons feutrés des marabouts ou dans les cours au sable fin et meuble de Tivaouane et de Touba. Personne ne voulait laisser un pouce de terrain à l’autre. Conséquence : Macky et ABC se suivaient de près. Ils étaient tous les deux convaincus que le pouvoir se conquiert dans les milieux religieux, notamment à Touba et à Tivaouane. Dans ce duel, ABC plus libre et sans occupation officielle, menait le bal. Avocat, Me Cissé avait quasiment abandonné le prétoire pour enfiler sa veste de politicien. Aussitôt débarqué du Ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur, Me Alioune Badara Cissé a investi les cours maraboutiques. Sans doute pour plaider sa cause et ressouder les liens «pourris» entre lui et son ex-compagnon.
A la veille de la Korité, ABC décroche l’armistice, visiblement avec la bénédiction de Touba. Il annonce lui-même une audience avec le chef de l’Etat le jour de la Korité, comme le lui aurait prescrit le khalife général des mourides. Naturellement, tous ceux qui s’apprêtaient à crier à la compromission se sont retenus. L’initiative de la rencontre entre les deux hommes venant de Serigne Mor Maty Lèye, impossible d’accuser ABC d’être le maître d’œuvre de la transaction. Le jour de la Korité, Macky et Me Cissé se rencontrent. Rien d’officiel n’a filtré de l’audience. Mais au regard de la ligne dure adoptée ensuite par l’ex-ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur, on peut croire que ce fut juste pour sacrifier à la tradition en pareille circonstance.
Macky a dû rester intransigeant face à ABC, considérant que la rupture est consommée. La carte Touba n’est donc pas opératoire pour l’ex-coordonnateur de l’Apr. Il peut tout de même se consoler de la ligne dure affichée par la capitale du mouridisme. Au dernier magal de Kazou Rajab, le porte-parole du khalife général des mourides Serigne Bass Abdou Khadre, a quasiment lâché des bombes sur le pouvoir. «C’est indigne pour moi de me rendre chez un roi pour lui confier mes préoccupations alors que celui-ci est incapable de se satisfaire lui-même», a-t-il sermonné.
Des propos qui tombent au plus fort de la raillerie «Deukeubi dafa Macky». Rien à faire, Touba est en colère contre les tenants du pouvoir. Pire, la cité religieuse semble compatir à l’épreuve des victimes de la traque des biens mal acquis. On invite ainsi à la clémence et au dépassement. «Il n’est pas bon de s’acharner sur des gens rien que pour montrer leurs défauts, alors que nul n’est parfait. Que Dieu seul, qui sait ce qui se trouve en chaque personne, nous en garde», avait ajouté Serigne Bass Abdou Khadre. L’allusion à la traque des biens mal acquis est sans équivoque. Macky désamorce de nouveau la bombe.
Le président de la République reçoit Serigne Bass Abdou Khadre, porte-parole du khalife général des mourides, ainsi que des membres et des proches du khalife. Il s’agit entre autres de Cheikh Bara Maty Lèye et Serigne Moustapha Mbacké. Dans le communiqué quasi-triomphaliste publié par la présidence, on annonce : «Le khalife général des mourides, Serigne Cheikh Sidy Moukhtar Mbacké, a envoyé ce mercredi 11 septembre 2013, une importante délégation composée de toutes les familles religieuses de Touba, pour apporter ses prières au Président Macky Sall. Conduite par Serigne Bass Abdou Khoudre, la délégation était composée de grands dignitaires mourides, parmi lesquels Serigne Moustapha Mbacké, fils aîné du Khalife ; Serigne Bass Porokhane ; Serigne Lakrame Mbacké ; Serigne Abdou Lahad Gaindé Fatma ; Serigne Djily Maty Lèye ; Serigne Cheikh Bara Lahad ; Serigne Aliou Gaindé Fatma ; et plusieurs autres représentants et proches du Khalife des mourides», s’enflamme le palais. Selon le même communiqué, le chef de l’Etat évoque les bonnes relations qui le lient à Touba, «les conseils qu’il a reçus du khalife et qui lui ont été très utiles pendant l’élection présidentielle».
Serigne Bass Abdou Khadre adopte une position bien loin du dernier magal de Kazou Rajab. Il annonce que le khalife général de Touba leur a demandé de prier pour Macky Sall. «Nous n’avons pas besoin d’être longs puisque les relations que vous venez d’évoquer ont uni les différents chefs d’Etat à la famille de Serigne Touba. Nous croyons à la sincérité de vos propos. Il vous a demandé de vous mettre au service des démunis et des paysans. Nous pensons que vous êtes en train d’y travailler et il vous apporte ses prières», lance-t-il. C’est l’armistice ? Pas tout à fait. Un autre brasier se déclare à…Tivaouane. ABC en est-il l’auteur ? Difficile de répondre par l’affirmative. Mais sa longue et énigmatique audience en début octobre dernier avec le porte-parole du khalife général des Tidjanes, Abdoul Aziz Sy Al Amine, laisse perplexe.
Ce jour-là, Me Cissé, entré en conclave avec Al Amine vers 10h, en est ressorti aux environs de 17 heures. Nombre de visiteurs du marabout ont failli perdre patience et remettre à un autre jour leur rencontre avec Al Amine. Le terrain a-t-il été miné pour les tenants du «Yoonu Yokkute» ? Les faits laissent dubitatifs. Car, le vendredi 27 septembre, soit à peine un mois après la fameuse audience d’ABC avec Abdoul Aziz Sy Al Amine, le chef de l’Etat se rend à Taïba Ndiaye, dans le département de Tivaouane. Il lance dans cette communauté rurale les bourses sociales, sacrifie à la prière du vendredi à Tivaouane même et envisage de rencontrer le marabout. Coup de théâtre ! La rencontre entre Macky Sall et Al Amine n’a pas eu lieu. Raison officielle : le porte-parole de la famille Sy est un peu souffrant. Autre fait, Souleymane Jules Diop annoncé à la cérémonie aurait été déclaré persona non grata. Il paie, semble-t-il, son franc-parler vis-à-vis de l’establishment local.
Autant dire que Me Cissé était attendu au tournant. Abonné qu’il était depuis quelque temps aux phrases meurtrières contre le pouvoir, personne ne se faisait plus d’illusion sur l’amitié entre le chef de l’Etat et son ex-ministre des Affaires étrangères. Ça ne tenait plus qu’à une chose aussi simple que… les trois premières lettres de l’alphabet.