LA BELLE REVANCHE SUR LA VIE
BADARA DAFÉ, HANDICAPÉ MOTEUR, INGÉNIEUR EN INFORMATIQUE

Atteint de poliomyélite à l’âge d’un an, Badara Dafé a su faire de son handicap une force pour enjamber une à une les barrières qui se dressent souvent sur le chemin des personnes à mobilité réduite. Un bel exemple de courage et d’abnégation à méditer.
C’était le 24 octobre dernier, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre la poliomyélite. Ce jour-là, le Centre d’éducation et de réadaptation pour enfants handicapés physique Talibou Dabo reçoit quelques membres de Rotary Club Sénégal dont la structure, sur le plan international, fait beaucoup pour éradiquer la poliomyélite. Dans la délégation, il y a Badara Dafé.
Sa particularité, il vit avec un handicap physique. La raison de sa présence dans ce centre, il veut se donner en exemple aux enfants ; leur montrer que la poliomyélite n’est pas une fatalité et que la perte de l’usage de ses membres inférieurs ne peut être une raison pour tendre la main. On peut être handicapé moteur et faire de bonnes études, réussir dans la vie, fonder une famille comme lui l’a fait.
Sous la tente en dur du centre, les enfants, tous souffrants de différents handicaps venus écouter cet ingénieur en Informatique aujourd’hui sous-directeur à la Direction des systèmes d'informations à la Bceao, boivent goulûment ses paroles.
Lesquelles se veulent un requinquant pour affronter cette vie qu’ils n’abordent guère à pas feutrés.
QUAND LA FAIBLESSE PHYSIQUE DEVIENT UNE FORCE MENTALE
Dans ce monde où les gens regardent les handicapés avec gêne ou avec compassion et où leur autonomie n’est pas évidente, Badara Dafé, lui, à su faire abstraction de tout cela en faisant de son handicap la force motrice de sa vie. Car, pour lui, l’énergie ne se lit pas seulement dans le mouvement, c’est aussi dans la tête. Sa philosophie tient à cette formule « optimisation sous contrainte ».
« Je l’ai appris plus tard, mais je l’ai toujours compris. Lorsque j’étais petit, je me suis dit si les autres enfants se rendent compte que je suis faible parce que j’ai un handicap, c’est fini pour moi. Donc je tapais sur tout le monde, je ne me laissais pas faire », dit-il devant un auditoire tout suspendu à ses lèvres.
Mais ce n’est pas seulement dans la rue que le jeune Dafé montrait toute sa vigueur, à l’école également il ne se laissait pas dépasser. « Un handicap, c’est dans la tête, tant que la tête fonctionne, nous n’avons pas de handicap. Cela m’a donné, au contraire, le goût de l’effort, de la lecture, de la recherche, je me posais des questions dans tous les sens ».
La preuve, en classe, quand ses camarades faisaient des exposés sur l’histoire, sur la Palestine, lui, Badara, s’intéressait à la bombe à hydrogène.
La vie de Badara Dafé a basculé quand il avait un an. Un soir, alors que sa famille s’apprêtait à lui fêter son premier anniversaire, une méchante fièvre brûle son petit corps de chérubin. Les premiers signes de la poliomyélite venaient de faire leurs effets. C’est l’irréparable. Malgré de nombreuses opérations chirurgicales, l’enfant ne s’en relèvera pas.
Le destin a tranché, Badara Dafé ne marchera pas sur ses deux jambes. « Jusqu’à un âge avancé, j’ai passé le plus clair de mon temps à l’hôpital entre « Principal », « Fann » et « Le Dantec » pour des rééducations fonctionnelles et pour des interventions chirurgicales », raconte-il.
D’ailleurs, pour la petite histoire, il est passé à plusieurs reprises sur le billard du Pr Idrissa Pouye, celui-là même qui a été à l’initiative du Centre Talibou Dabo où il est venu conter son histoire a ces enfants qui partagent le même sort que lui.
Comme il aime à le répéter, Badara Dafé n’est pas né avec une cuillère dorée dans la bouche. Orphelin de père à l’âge de quatre ans, sa mère s’est battue pour qu’il puisse enjamber une à une les obstacles qui se présentaient devant lui.
« Ma maman est une fierté pour moi. Elle n’a jamais fait l’école, mais presque toutes les semaines, elle passait à l’école pour voir si je travaillais bien, si les conditions étaient réunies. Quand je regarde bien, aujourd’hui, je ne m’occupe pas plus de mon enfant qu’elle ne s’était occupée de moi. Et quand il fallait me corriger pour me remettre sur le droit chemin, car j’étais turbulent comme tous les enfants de mon âge, elle n’hésitait pas à le faire, parfois avec beaucoup de rigueur autant qu’elle corrigeait les autres enfants de ma famille. Je ne bénéficiais pas d’une protection particulière et je pense que cela m’a beaucoup aidé dans ma vie », affirme-t-il comme pour dire qu’il n’a pas bénéficié ni d'une surprotection ni d’une sous-protection.
UNE SCOLARITÉ LISSE
Ses premières humanités, Badara les a faites à l’école primaire de la Zone B. De ce premier contact avec l’école, résulte une amitié d’une vie, celle qui le lie avec son instituteur, M. Niang. « On se voit très souvent et on partage beaucoup de choses. Il m’a été d’un très grand soutien », dit-il, reconnaissant envers celui qui lui a gravé les premières syllabes dans la tête.
Ensuite, il fréquente le lycée Blaise Diagne où il a décroché, en classe de 4ème, son Bfem. Le baccalauréat série C lui sourit en 1990. Direction l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Badara Dafé fait partie de la cohorte des 600 premiers étudiants orientés dans cette nouvelle université.
En trois ans, un Deug en Mathématiques appliquées et informatique et une Licence en Informatique tombent dans son escarcelle. Avant qu’une rencontre ne change le cours de sa carrière universitaire. Grâce à une enseignante de l’Université Paris 11 au Centre scientifique d’Orsay, l’une des plus grandes universités scientifiques en France, Badara Dafé s’envole pour la France.
Dans ce centre universitaire à la réputation mondiale, le jeune Sénégalais doit relever un défi de taille. Il s’en explique. « Quand je suis arrivé, le professeur principal me demande : « tu viens d’où », je lui réponds : « je viens du Sénégal », il me répond : « vous ne passerez pas, ici le niveau est très élevé », je lui rétorque : « on verra ». Alors, en toute modestie, j'ai pu réussir non sans effort ».
Chemin faisant, il décroche tour à tour sa maîtrise en informatique et son Diplôme d’études approfondies (Dea) en « Théorie et ingénierie des bases de données ». Au bout de 11 jours, il décroche un travail dans un cabinet de conseil en informatique. Electricité de France (Edf), Air France, Sony, Renault, Peugeot-Citroën, Chanel, Banque Crédit local de France, toutes ces entreprises ont bénéficié des services de Badara Dafé.
Fort de ce beau parcours en France, l'ingénieur en informatique a bien raison de dire : « Si ce n’était que par les jambes qu’on devenait performant, je crois que la chaire de physique de Newton ne reviendrait pas à Stephen Hawking mais plutôt à Usain Bolt ».
Au début des années 2000, il revient au bercail car, pour lui, c’était « incohérent de rester en France même si on est très bien payé et de dire que notre pays n’avance pas ».
Dans sa tête, c’était clair, il voulait participer au développement du Sénégal même s’il a fallu qu’il divise son salaire. Son vœu le plus cher qu’aucun handicapé ne tende la main.
« S’il y a un seul enfant handicapé qui aura compris que ce n’est pas parce qu’on a un handicap qu’il faut tendre la main, que c’est parce qu’on a un handicap qu’on ne doit pas se battre, alors ma mission est gagnée », conclut-il.