LA CASE DU (GRAND) PÈRE MBOW
Réformer, c’est résister ! Les changements ne sont jamais faciles. Il faut bousculer des certitudes, déshabiller des convictions et, surtout, convaincre.
Depuis que la Commission nationale de réforme des Institutions (Cnri) a rendu son rapport, la classe politique a l’occasion de se prononcer de manière sérieuse sur des questions sérieuses, oubliant pour une fois les destins personnels.
Les Sénégalais ont-ils besoin d’une nouvelle Constitution ? Quelle est cette nouvelle République que les nouvelles générations appellent et que leur liberté leur accorde ? Comment faire pour que les institutions transcendent les hommes, leurs bonnes volontés et leurs turpitudes ? Quel est, finalement, le type de régime adéquat pour ce peuple plus que jamais agrippé à ses acquis démocratiques ? A quoi servent les députés ? Finalement, comment réformer ce pays ? Ce sont ces questions qui ont été au cœur des réflexions de la Cnri.
Sans verser dans un fétichisme de la “réformette”, -changer pour changer-, alors que rien ne l’exige, il y a bien des choses qu’il faut faire bouger. Justement, les réactions notées après la remise du rapport de la Cnri au chef de l’Etat sont la preuve que trop de convictions sont sédimentées alors que l’avenir exige autre chose ; les demandes du futur sont telles que la réflexion doit être acceptée.
La broncha politico-médiatique qui a suivi la remise du rapport est la preuve que des citadelles ont été ébranlées. Quelles sont-elles ? Ce sont ces cathédrales de l’immobilisme, ces mosquées du statu quo ante et ces temples du sur-place. Or, il est évident que le Sénégal de 2014 a bien besoin de changements institutionnels. Toutefois, ce ne sont pas des paroles d’Evangile qui sont sorties des réflexions des éminentes personnalités réunies durant des mois pour réfléchir sur l’avenir de nos institutions.
A l’arrivée du rapport, naturellement, le parti présidentiel, l’Apr, a rué dans les brancards car on lui demande de signer son arrêt de mort avec la proposition d’interdire au président de la République d’être en même temps chef de parti. Qui peut fédérer les énergies au sein de cette formation si ce n’est son créateur et inspirateur ? Les “Républicains” envisagent un deuxième mandat et l’équipe du Pr Mbow leur demande de se séparer de leur chef !
Comme l’a expliqué le constitutionnaliste Ismaïla Madior Fall (ministre-conseiller juridique du président de la République donc naturellement intéressé), certaines idées créent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. Comme “La Case de l’oncle Tom” (Beecher Stowe qui dénonce l’esclavage et lance une prise de conscience qui va conduire à la guerre de sécession aux Usa), la Cnri a mis le doigt dans la plaie...
Du régime parlementaire, l’actuel président de la République s’est depuis longtemps fait une religion. Il est contre. L’élection présidentielle étant un “contrat” moral, conjonction entre un peuple et un homme au destin accompli, il faudrait remodeler toutes les géographies de la gestion du pouvoir, depuis des lustres, pour faire accepter cette “révolution” que serait par exemple un chef du gouvernement désigné par la Place Soweto, en dehors du palais de l’avenue Senghor.
UN PAYS CONSERVATEUR
Les réformes sont toujours difficiles. Et dans “la Case du Père Mbow”, beaucoup ont trouvé les moyens de rebondir. Comme les chats à sept vies, beaucoup dans le microcosme ont cette capacité à toujours retomber sur leurs pattes. Personne n’a insulté le Pr Ahmadou Makhtar Mbow (qui ose le faire ?), l’ancien Premier ministre Mamadou Lamine Loum ou encore le respecté Mazide Ndiaye, comme on a voulu le faire croire. C’est que des réponses politiques ont été apportées à des questions politiques...
Cela est le premier piège tendu à Macky Sall. S’il adhère à 100% aux propositions, ce sont ses propres troupes qui vont trouver à redire, et dénoncer un abandon dont ils feraient l’objet à quelques semaines des élections locales. S’il “déchire” les propositions de la Cnri, on l’accusera de fausser l’esprit des “Assises nationales”. Le deuxième piège est celui qui consistera à laisser du temps au temps, laisser pourrir, comme savent si bien le faire les présidents africains.
Réformer est toujours difficile, surtout dans un Sénégal conservateur plus qu’il n’y paraît et que ses élites ne l’acceptent. Quand le commissaire aux Sports, Lamine Diack, lance la plus grande réforme du football sénégalais en 1969, des dirigeants sportifs, fâchés par les fusions, ont voulu brûler les stades uniquement pour des questions de...couleurs de maillot ! Quand, en 1972, on vote le Code de la famille pour accorder plus de droits aux femmes, les chefs religieux musulmans promettent l’enfer à ses concepteurs.
Quand Abdou Diouf initie la Cour de répression de l’enrichissement illicite en 1981, on explique que “le pardon” doit être la vertu d’un chef, avec des menaces de maraboutage à la clé. Quand on lance les Etats généraux de l’Education en 1984, les syndicats d’enseignants participent pour dire, globalement, qu’ils ne lâcheront rien. Plus près de nous, quand le président Wade initie en mai 2010 la parité homme/femme sur les listes électorales, beaucoup dans sa propre majorité votent à contre cœur. Et la liste n’est pas exhaustive.
C’est dire donc que les propositions “révolutionnaires” de la Cnri ne pouvaient que soulever des boucliers. Ainsi sont les hommes. Ancrés dans leurs habitudes et certitudes, il faut souvent les aider à leur insu.