LA CHRONIQUE DU KANKOURANG
Quand les misères d’août s’effacent, septembre annonce ses belles prémisses. Mbour, cité des délices, reprend son souffle étouffé par une saison touristique morose et à basse tonalité. Comme par magie, thioor mamaa, le cri strident qui accompagne la marche du Kankourang, siffle le début d’une reprise économique prometteuse.
La Petite Côte ouvre ses portes à ses fils et filles de la diaspora. La ville réputée accueillante s’offre aux vacanciers et aux visiteurs du week-end. Les bus et taxis-brousse, dans un rythme infernal et continu, déversent des myriades de voyageurs à la gare routière. Les convoyeurs opportunistes se frottent les mains habituellement crispées au volant de leurs vieilles guimbardes. Les bouchons indescriptibles, sur la grande artère, révèlent la forte affluence dans une cité avide d’étrangers. Les échoppes bien achalandées dévoilent les victuailles en kaléidoscope qui écument les bourses conjoncturées d’indécrottables épicuriens. Les boulangeries roulent la farine en pâtes molles et onctueuses. Elles réchauffent l’air des quartiers alors que de délicieuses senteurs chatouillent les narines des gourmets. A coup sûr, les nuits blanches seront des nuits de festin. Les charcuteries exhibent crûment les gigots rouges de chair bonne à rôtir. Les diners seront de gala. Les pêcheurs déversent sur les plages le poisson frais qui dope la qualité du fameux thieboudiène du dimanche. Les vendeurs d’eau fraiche et de crème glacée se font désirer pour étancher la soif d’une populace déshydratée par une chaleur d’étuve.
L’économie locale est en pleine bourre. Le fric liquide, en liasse ou en pièce, comme une rivière argentée coule à flot. Le tourisme local et informel bat son plein au son des tambours. Les touristes du pays squattent les concessions et profitent de l’hospitalité gratuite de leurs hébergeurs. Exhibant une naturelle sympathie en monnaie de singe, ils égayent l’ambiance des familles de plus en plus désargentées mais fidèles aux traditions. Celles-ci ne rechignent nullement aux dépenses de prestige qui inexorablement les couvrent de dettes puis les ruinent. Au fil des ans, ces vieilles familles de fiers socés croulent sous les charges exponentiellement onéreuses qu’occasionne l’organisation du Kankourang. Elles se ceignent les reins et dans un parfait élan de solidarité font face aux exigences à la hauteur de la notoriété du personnage mythique.
Le tourisme chez l’habitant et non marchand déroule ses lettres de noblesse au nom de l’amitié et de la parenté, pour la gloire de la téranga. A sa rescousse un véritable tourisme culturel et international tarde à montrer sa face mercantile. Il reste à inventer dans ce jadis paradis du balnéaire qui perd de sa superbe, et noie ses plages de sable fin dans les vagues salées de la mer.
Le Kankourang furieux jette à terre le masque protecteur de jouisseurs pauvres. Il foule du pied la joie factice d’hôtes stressés. Il révèle à coup de machette les guenilles d’une ville laissée en rade. Il exige des champs de céréales, des fermes de bétails et de volailles pour nourrir l’armée des initiés et circoncis. Il ordonne des enseignements pour sauvegarder les us et coutumes des Mandings. Il recommande des structures et une organisation pour préserver un patrimoine si exceptionnel, si expressive. Il sollicite des médiateurs de talent pour valoriser un produit touristique culturel si atypique. Le Kankourang implore des solutions de rechange pour que le mythe demeure à jamais l’icône d’une ville si singulière et de ses habitants si fiers et à la limite chauvins. Le masque peut bien faire vivre la ville, il y va également de la survie du Kankourang.