LA CONCEPTION MASCULINE DE LA PAIX
Rétablir la paix consiste principalement en pourparlers, en résolutions diplomatiques, en la tenue d’élections négligeant la prise en compte du genre
«Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix.»
Constitution de l’Unesco
«La guerre est essentiellement, sur le plan idéologique, un instrument qui porte les valeurs d’inégalité entre les hommes ‘’guerriers’’ et les femmes ‘’défendues’’. Pour désamorcer le processus guerrier, l’égalité Femme-Homme s’impose comme une valeur primordiale.»
Anne Sireyjol
La violence est une construction sociale. Elle n’est pas innée chez l’homme. Elle s’acquiert par l’éducation, par l’imitation du comportement socialement dominant et valorisé. Dans les sociétés de culture de la violence, la violence est partout pour les femmes et les enfants qui deviennent ainsi des catégories vulnérables : à la maison, à l’école, au travail, dans les espaces publics, dans les médias...
Ces groupes subissent un niveau élevé de violence quotidienne, banalisée certes, mais une violence tout de même. Pourtant, cette violence n’est pas prise en compte dans la détermination du développement, de la paix ou de la sécurité d’un pays.
Pour Amartya Sen (Prix Nobel d’économie en 1998 pour ses travaux sur la théorie du développement humain et l’économie du développement), l’objectif ultime de tout projet politique ou programme de développement devrait être de construire des sociétés et des communautés sûres où les femmes et les hommes bénéficient à égalité de la sécurité humaine, du développement humain et des droits humains.
Les conflits menacent tout ce qui précède et le manque de tout ce qui précède conduit immanquablement à des conflits.
Par conséquent, si aucune conception du développement ne saurait ignorer la croissance économique, elle ne saurait non plus se résumer à cela. Car, c’est le développement humain qui va conduire au développement national (Préambule à La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples), de même que c’est la sécurité humaine qui garantit la sécurité nationale.
La sécurité humaine complète le développement humain en mettant délibérément l’accent sur les menaces à la sécurité humaine : les menaces à la survie, à la poursuite de la vie quotidienne et à la dignité des êtres humains...
Mettre l’accent sur la sécurité humaine permet d’identifier les droits en jeu dans chaque situation particulière. Les droits humains aident à répondre à la question : Comment promouvoir la sécurité humaine ? (Human Security Now : Final Report of the Un Commission on human security, 2003)
L’absence de changement dans la manière de théoriser et de pratiquer la sécurité est la règle. Il en résulte que la sécurité humaine est loin d’être au cœur des «processus de paix» mis en œuvre par la communauté internationale, par quelque grande puissance, ou même par des Ong masculines (majoritairement composées d’hommes n’ayant aucune formation en approche genre ou sexo-spécifique).
Les conséquences de la définition masculine de la paix
En dépit de tout ce qui précède, la paix continue à être communément définie comme étant l’absence de conflit armé. Cette définition masculine, militaire, de la paix a des conséquences sur les processus de paix.
En effet, le terme n’est appliqué que lorsque les protagonistes militaires viennent à la table pour tenter de mettre fin aux violences.
En se focalisant sur la nécessité de conclure un cessez-le feu militaire et d’inclure ces protagonistes militaires, il est inévitable que le processus de paix lui-même se concentre sur les hommes (Sireyjol).
La nature «militaire» de ces processus de paix fait en même temps que les questions d’égalité de genre ou des droits des femmes ne sont pas considérées comme ayant une place dans ces processus (Sireyjol).
Les victoires militaires ne garantissent pas la paix aux femmes ; les victoires militaires sont généralement transitoires et à la Pyrrhus (victoire aux conséquences désastreuses pour les vainqueurs).
Le militarisme détermine les priorités en termes de besoins en sécurité à prendre en compte pendant la guerre et en temps de paix.
Rétablir la paix consiste principalement en pourparlers, en résolutions diplomatiques, en la tenue d’élections négligeant la prise en compte du genre, en amnisties niant les besoins de justice et de réparation des femmes, au lieu de se matérialiser par la prise de mesures concrètes pour aider les plus vulnérables et promouvoir un changement fondamental.
La menace à la paix est également définie de manière androcentrique (perspective exclusivement masculine). Elle est réduite à la violence extérieure et à la force militaire associée à un conflit armé.
Ce qui a pour conséquence d’exclure du champ d’analyse : les menaces liées à la violence structurelle : «la violence ancrée dans les structures et la culture qui la légitime» les besoins en sécurité des femmes ; la nécessité de promouvoir l’égalité de genre comme fondement de la paix.
L’impératif de conclure un accord de paix prime sur le fait que les violences– et surtout les violences de genre– peuvent continuer au-delà de tout accord écrit.
Le paradigme de paix libéral d’un accord de paix suivi des élections «démocratiques» qui est imposé comme «solution» aux conflits armés, néglige ou cache donc la continuité des violences liées au genre (Freedman). Certains négociateurs considèrent même toute remise en cause des inégalités de genre et toute recherche de justice comme fragilisant «la paix» (Alden).
Pourtant les femmes sont les victimes de façon disproportionnée dans les zones de conflit. Les femmes sont aussi disproportionnellement représentées dans la résistance et la remise en cause des violences et de l’oppression.
Aucun de ces deux éléments n’apparaît dans les médias et dans les négociations de paix. La voix des femmes est tue et elles-mêmes sont exclues. Leurs expériences, théories et propositions n’entrent pas dans le cadre idéologique et normatif que les hommes politiques utilisent pour déterminer qui et quoi est important. Ainsi même «après» le conflit la marginalisation des femmes continue (Johnson). (A l’exception notable du Rwanda)
La parité gage de paix et de sécurité
L’égalité effective en droits est indispensable à toute paix durable. Il s’agit notamment de l’effectivité du droit à l’égalité dans la participation à la prise de décision. C’est pourquoi, la parité s’impose dans le gouvernement des pays, comme dans les instances militaires, économiques et judiciaires. La parité est indispensable à la prévention et à la résolution des conflits et au développement durable.
Cela est reconnu autant par les Résolutions des Nations Unies sur Femmes Paix et Sécurité que par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Protocole de Maputo : articles 8, 9 et 10)
Pour remporter des succès militaires contre le terrorisme et contre les insurrections les soldats se doivent de gagner les cœurs et les esprits plutôt que de simplement détruire des immeubles et des corps. C’est donc par la participation égale des femmes et des hommes à la politique, à la recherche des valeurs communes, à l’application du droit et de la justice que la guerre pourra être écartée au profit de solutions négociées (Sireyjol).
Dans le cadre des opérations de maintien de la paix, il est nécessaire de voir les femmes en responsabilité militaire. Les femmes «casques bleus» envoyées sur le terrain sont un moyen de communication. Elles assurent une certaine forme d’éducation. Elles sont un signe visible d’un nouveau monde respectueux des êtres humains et de leur sécurité (Sireyjol).
Les femmes agents de paix
Une paix durable nécessite de prêter attention à ce que les femmes ont identifié comme étant les causes et les solutions des conflits dans des communautés ou dans des pays (Johnson).
Il faut commencer par noter que toutes les femmes ne sont pas les mêmes. Elles n’appartiennent pas toutes à la même classe sociale, n’ont pas toutes la même origine ethnique, la même religion, le même âge ou la même éducation.
Impliquer les femmes en tant que partenaires égales dans la prévention des conflits et la consolidation de la paix dans les pays menacés par la guerre, la violence et l’insécurité, signifie que ces différences doivent être prises en compte. (Nations Unies, décembre 2012)
Tout comme les hommes, les femmes ne parlent pas d’une seule voix, mettre une femme-alibi dans une délégation n’aura donc aucun impact. Pour des accords conduisant à une paix durable, il faut au moins 50 pour cent de femmes - de tous les milieux - avant et au centre des négociations pour la paix et le désarmement, pas seulement de temps à autre, mais à chaque réunion importante, à chaque forum de négociation. (Johnson)
Lorsqu’elles sont impliquées, les femmes : sont plus susceptibles d’appuyer les accords qui rétablissent la sécurité et les services à leurs communautés, ont tendance à se concentrer sur les questions de droits humains et de justice ; ont tendance à former des coalitions qui traversent les lignes ethniques, religieuses ou régionales et à défendre d’autres groupes marginalisés. peuvent jouer le rôle de médiatrices et favoriser la conclusion d’accords durables. (Nations Unies, décembre 2012)
La plus-value de l’inclusion des femmes dans les systèmes d’alerte précoce (Mihir Kanade, professeur à l’université des Nations Unies pour la Paix, Costa Rica)
Un système d’alerte précoce efficace doit s’assurer que les femmes sont aussi des informatrices. Sans les femmes, les moniteurs ne seront pas en mesure de saisir complètement l’ensemble de la situation de la zone de conflit. Les femmes ont une perception des conflits différente de celle des hommes, elles posent des questions différentes et qui portent sur différents aspects du conflit.
Considérer les femmes comme étant titulaires de droits, dont celui de recevoir les avantages des mesures d’intervention appropriées.
Intégrer l’analyse des inégalités structurelles entre les sexes et des discriminations.
Un tel système aura pour effet de produire une compréhension plus complète de(s) : causes du conflit, y compris les causes structurelles ; la façon dont les hommes et les femmes perçoivent et subissent les menaces, les vulnérabilités et les conflits différemment ; causes de l’escalade et de la récurrence des conflits
Tout ceci permet l’élaboration de réponses appropriées et apportées à temps.
Les occasions manquées dans les mécanismes de consolidation de la paix
Les contextes politiques post- conflit sont toujours des occasions de transformer les relations de genre (Alden, p .10) :
D’abord parce que durant le conflit les femmes ont dû assumer des rôles et des responsabilités d’homme (porter des armes, subvenir aux besoins de la famille) remettant ainsi en cause les normes sociales de genre
Ensuite, pendant les périodes de transition, l’accent est mis sur les structures de gouvernance avec l’ouverture d’espaces de discussion qui permettent d’interroger et de reconceptualiser les idées de paix et de sécurité, et d’inclure les besoins de sécurité sexospécifiques dans l’agenda politique.
Enfin, la légitimité de telles interrogations et la participation paritaire des femmes peut s’appuyer sur les résolutions des Nations Unies 1325 et suivantes.
Les résolutions internationales «Femmes, Paix, Sécurité» (Freedman)
Le passage de la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’Onu en octobre 2000 est le fruit d’années de travail et de mobilisation par des groupes féministes, en particulier, le Ngo Working Group on Women, Peace and Security (Groupe de travail des Ong sur les femmes, la paix et la sécurité), créé à la suite de la réunion de Beijing+5. Pour la première fois, le centre névralgique du pouvoir des Nations Unies, le Conseil de sécurité, lieu hautement «masculin» et «militarisé», parle de la situation des femmes dans les conflits armés et de la nécessité de les protéger contre les violences sexuelles.
Il reconnaît également que les femmes ont le droit de participer à tous les niveaux au processus de prévention et de résolution des conflits, et du maintien de la paix.
En juin 2008, la résolution 1820, sur les violences sexuelles dans les conflits armés, reconnaît que les violences sexuelles sont utilisées comme tactique de guerre et demande la cessation immédiate de toutes formes de violences sexuelles contre les populations civiles pendant les conflits armés.
La résolution fait aussi un lien spécifique entre la justice, la réforme du secteur de sécurité et le genre dans les processus de reconstruction post-conflit.
2009, adoption de la résolution 1888 qui appelle à la création immédiate d’un représentant spécial qui pourrait coordonner les efforts des organisations internationales et les autorités nationales dans la lutte contre ces violences.
En 2010, la résolution 1960 réaffirme l’engagement des Nations Unies à mettre en œuvre les résolutions précédentes sur les femmes, la paix et la sécurité, soulignant la nécessité de lutter contre les violences basées sur le genre pendant les conflits, et d’assurer la participation des femmes aux processus de réconciliation et de reconstruction.
Pourquoi les résolutions «femmes paix et sécurité» ne sont-elles pas appliquées ? (Freedman)
Pour la plupart des pays, la question de la sécurité des femmes et des filles n’est pas prioritaire.
La question des droits humains des femmes reste secondaire, derrière les questions plus «urgentes» ou plus «importantes» de la résolution militaire des conflits. Il est même suggéré parfois que la présence des femmes à la table de négociation pourrait aliéner quelques participants et donc nuire au processus de paix.
Les représentations dominantes des femmes les réduisent au rôle de «victimes» passives, des victimes n’ayant aucun rôle à jouer dans la détermination de leurs besoins et dans la mise en œuvre des stratégies de consolidation de la paix. Le rôle des femmes agents de paix est totalement négligé.