LA CRISE DE L'ÉLECTRICITÉ CONTIENT-ELLE LES GERMES D'UNE CRISE POLITIQUE MAJEURE AU SÉNÉGAL ?

Peu habile à se faire oublier, la Société nationale d’électricité se signale à ses clients, ces jours-ci, par de courts délestages en rafale, suivis de surtensions destructrices. Preuve que, si la situation s’est beaucoup améliorée depuis les longues coupures chroniques de triste mémoire, leur spectre plane toujours en cette période de forte demande hivernale. Rappel, aussi, de la priorité absolue qui s’attache à la résolution de l’équation électrique, tellement ardue et têtue qu’elle est devenue une urgence politique.
Les gouvernements successifs butent sur ce casse-tête et n’ont pas encore réussi à mener à bien les reformes nécessaires pour mettre fin au double cauchemar, à la fois industriel (production insuffisante, circuits à rationaliser en aval) et financier (tonneau sans fond d’une entreprise drainant les ressources publiques sans espoir de renversement du cours ruineux des choses).
S’il y a de nets progrès dans la production, par contre le cauchemar financier demeure plus terrifiant que jamais. On s’en rend mieux compte en comparant le fardeau que représente SENELEC avec les chiffres fondamentaux de la situation économique et financière du pays, à la faveur d’une évaluation du Fonds monétaire international. Selon l’organisme onusien (cinquième revue des résultats du Sénégal, juin 2013), «les subventions directes et indirectes» accordées par le gouvernement à SENELEC « ont dépassé 2,5% du Produit intérieur brut en 2012 ».
Deux virgule cinq pour cent ! On a beau savoir que la société d’électricité est un boulet insupportable, que des milliers de milliards y ont été engloutis au cours des décennies d’une interminable crise. Cela n’empêche pas que l’on se sente assommé par ce rapport au PIB d’une seule gloutonnerie annuelle (175 milliards de francs en 2012, année où le PIB du Sénégal se montait à 7 003 milliards de francs).
Énorme, tout simplement ; à tout point de vue. En effet, 175 milliards équivalent à 38 % des salaires du secteur public et représentent plus de 10 % des ressources budgétaires globales. Ou 41 % du déficit public. Ou bien, plus du double du déficit de la balance des paiements. Ou alors 13% des recettes fiscales du pays. Ou encore 85 % des dons reçus par le Sénégal et 85 % des emprunts publics contractés en 2012. En comparaison, les engrais, semences et pesticides ont été subventionnés pour 34 milliards 400 millions la même année.
SENELEC, pédagogie de l’absurde dont nul ne veut. L’État en a peur (risque politique majeur), les gens s’en défient (risque majeur pour les revenus). Mais les faits s’en moquent : sortir de l’impasse fera mal, nécessairement.
Triomphalement porté au pouvoir par les urnes, puis rapidement accablé par la colère populaire et combattu par la rue, enfin prestement déposé par l’armée : c’est l’odyssée de l’éphémère régime islamiste égyptien. La révolution a accouché de la démocratie, puis a dû l’abattre par un coup d’État pour la restaurer, dans un processus aussi fulgurant que contradictoire et malaisé. La communauté internationale s’en est accommodé, en couvrant la gêne du paradoxe avec le pagne de la lexicographie, une suspension de la constitution et un chef d’État aux arrêts ne signifiant pas forcement un putsch ! Les sophistes ont de la matière.
On dira que Morsi a trop présumé de son pouvoir et de la garantie de durée censée découler d’un mandat présidentiel octroyé par le vote démocratique. Trop maso, il a cru prévaloir sur le ressentiment populaire et sur l’indéracinable pouvoir d’une armée hier comme aujourd’hui maîtresse du jeu. Il en va cependant des islamistes comme des acteurs politiques d’autres obédiences : ils jouent et, plus souvent qu’à leur tour, perdent.
S’ils connaissent la règle du jeu, ils n’en nourrissent pas moins l’illusion de toujours disposer d’assez de temps pour changer la donne avant que l’addition ne leur soit présentée. Mais l’essentiel n’est pas là. Il se situe plutôt dans les enjeux majeurs dont, après tout, les politiciens ne représentent que des paramètres mineurs.
En l’occurrence, la chute du pouvoir islamiste au Caire n’est pas seulement illustrative des difficultés et des incertitudes de la longue gestation révolutionnaire dans tous les pays pris dans la tourmente des printemps arabes. Il y a tout lieu de penser que ce phénomène politique participe d’une réalité plus vaste, globale, qui se manifeste sous d’autres formes à travers les mouvements de protestation populaires enregistrés sur tous les continents ces dernières années.
Déclenchés par les rigueurs financières ou par les impasses institutionnelles et politiques, et accentués par la désillusion à l’égards des pratiques et des acteurs politiques, ces éruptions ont la particularité d’être spontanées, de vite déborder du cadre des revendications initiales pour viser des objectifs plus ambitieux de transformation politique, témoignant des nouvelles impatiences de l’expérience politique et démocratique. Celle-ci tend à devenir partagée à l’échelle du monde, par-delà les différences nationales, les états de développements et les systèmes politiques, dans ce que l’on incline à identifier comme une nouvelle convergence mondiale.
Ainsi naissent, présume-t-on, des aspirations neuves et impérieuses à une démocratie réinventée. La gouvernance ne serait donc plus acceptable sans inclusion ; la dictature de la majorité arithmétique aurait atteint ses limites ; la reddition des comptes obéirait désormais à un calendrier moins lointain et plus flexible ; la démocratie refuserait l’enfermement logique et la peur du paradoxe.
Les gens voudraient d’une remise en perspective du politique créant aussi un rapport neuf à la politique. Ils seraient en quête d’une démocratie non figée dans ses formes mais plus à l’écoute, plus réactive, réconciliant vision (long terme) et urgences (chocs conjoncturels), en phase avec l’évolution des pulsions sociales et des préoccupations des citoyens.
Vaste ambition, sous nos yeux creusant ses sillons dans un fracas général.