MULTIPLE PHOTOSLA DÉFENSE DE KARIM RÉCIDIVE
Boycott lors du pourvoi en cassation
Malgré les demandes de renvoi de la défense et de sursis à statuer, l'audience pour l'examen des pourvois en cassation de Karim Wade et ses complices a eu lieu hier. Mais sans les conseils du fils de l'ex-président Wade et d'Ibrahim Aboukhalil dit Bibo Bourgi qui ont boycotté l'audience, et en la présence du conseiller Amadou Baal que la défense voulait récuser.
Même s'ils ont jugé "illégale" la décision de la Cour suprême de programmer pour hier l'audience pour l'examen des pourvois de Karim Wade et de ses complices, les avocats de ces derniers étaient présents. Ils ont tenté de convaincre les juges de renvoyer l'audience et de surseoir à statuer.
Mais avant d'en arriver à ces deux requêtes, les conseils de Karim Wade se sont attaqués à la composition de la Cour. Ils l'ont jugé irrégulière, dans la mesure où le conseiller Amadou Baal fait l'objet d'une demande de récusation auprès du Premier-président de la Cour suprême. Me Seydou Diagne, qui a porté l'information à la Cour, a expliqué qu'ils ont des causes légitimes de suspicion envers le juge.
La principale raison avancée est liée au fait qu'Amadou Baal était directeur de cabinet (DC) de l'ex-ministre de la Justice durant la période d'instruction. "Le DC n'a d'autre mission que politique et l'on sait que le parquet spécial est soumis à l'autorité de la hiérarchie, à savoir le ministre de la Justice", a argué Me Diagne.
Le second argument qu'il a développé est en rapport avec une sortie médiatique du juge Baal, en novembre 2012. Qui, rappelle Me Diagne, avait déclaré en tant que DC : "Tous ceux qui ont abusé des deniers publics rendront compte à tout prix." Pour le conseil de Karim Wade, ces propos sont la preuve "manifeste de la partialité" du magistrat.
Baal, le faux du problème
La réplique des avocats de l'État ne s'est pas fait attendre. Pour Me El Hadj Diouf, il s'agit de "dilatoire et d'enfantillage", car les arguments développés par ses confrères ne sont pas fondés. L'avocat-parlementaire s'est même demandé en quoi la défense s'est sentie concernée par les propos évoqués.
Sinon, a-t-il poursuivi, "c'est un aveu de taille pour la culpabilité de leur client". Et de conclure que l'ex-DC "n'a fait que réitérer la position du gouvernement". "Il n'a fait que dire ce que la loi a dit", a renchéri le procureur général. Ousmane Diagne a jugé que les propos du juge ne sont pas de nature à compromettre son impartialité, dans la mesure où il ne s'agit pas d'une déclaration de culpabilité.
Et pour éviter que les gens ne tournent en rond entre répliques et contre-répliques, Me Baboucar Cissé a mis fin au débat, en rappelant à la Cour qu'il ne lui appartient pas d'apprécier la requête de ses confrères. Puisque la demande de récusation est adressée au Premier-président de la Cour. D'ailleurs, d'après la précision apportée par Me Moussa Félix Sow, avocat de l'État, la requête ne dessaisit pas le juge visé. Une position qui a été confortée par le président de la Cour, Abdourahmane Diop, après la suspension d'audience.
Celui-ci a estimé que le juge Baal avait bien sa place à côté des conseillers Amadou Ndiaye, Ibrahima Sy et Mama Konaté. Obligée de faire contre mauvaise fortune bon cœur, la défense a tenté l'arme du renvoi et du sursis à statuer. Pour les conseils de Karim Wade et de ceux de ses complices, la Cour n'a pas respecté le délai de deux mois et qu'il leur faut davantage de temps pour préparer leur défense. "Le délai expire au plus tard le 15 septembre", a martelé Me Baboucar Cissé qui qualifie l'audience "de référé " (procédure d'urgence).
Autres points d'achoppement
Outre le renvoi, Me Pape Leïty Ndiaye, conseil de Bibo Bourgi, a invité la Cour à prononcer le sursis à statuer, en attendant la décision de la Cour commune de justice et d'arbitrage (CCJA) de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA). Les avocats de Bibo Bourgi ont déposé, le 16 juin passé, un recours en cassation contre l'arrêt de la CREI.
A ce propos, la défense du requérant a évoqué les dispositions de l'article 16 du traité de l'Ohada stipulant que "la saisine de la CCCJA suspend toute procédure de cassation engagée devant une juridiction nationale contre la décision attaquée". Mais les conseils de l'État et le procureur général ont vite fait de rectifier la défense, pour indiquer que ce texte n'est pas applicable en matière pénale, mais en matière civile seulement, dans le cadre d'une médiation pénale.
Par rapport à la question des délais, Me Moussa Félix Sow a soutenu qu'ils ont été respectés et qu'ils les concernent et non la défense. Le parquet général a abondé dans le même sens, en soutenant que "toutes les conditions de légalité sont réunies pour la tenue de l'audience et le dossier est bel et bien en état, vu que les requêtes et les mémoires ont été déposés".
"Une violation extrêmement grave des droits de la défense"
La Cour lui a donné en raison, en rejetant la demande de sursis à statuer et le renvoi. Face à ce nouveau revers, la défense, du moins les conseils de Karim Wade et de Bibo Bourgi, ont boudé l'audience. Après quelques pas vers la sortie, Me Seydou Diagne et ses confrères sont revenus à la barre. Dénonçant une fois de plus "une violation extrêmement grave des droits de la défense", Me Diagne a laissé
entendre "qu'il n'y a aucune disposition sur l'urgence d'une procédure accélérée". Par conséquent, ils vont boycotter. Les conseils de Bibo leur ont emboîté le pas. "Moi je reste", a soutenu Me Ousmane Sèye, conseil de Alioune Samba Diassé. Les conseils de Mamadou Pouye n'ont pas eu besoin de révéler leur décision. En plaidant, ils ont renseigné sur leur décision ne pas boycotter, comme ils l'avaient fait devant la CREI.
Les avocats de l'État parlent de "cinéma" et de "fuite"
Pour les conseils de l'État, on ne peut pas assimiler à un "boycott" la décision de la défense de quitter l'audience en plein procès. "Qu'ils soient restés ou non n'a pas d'importance, car on ne plaide pas devant la Cour suprême, puisqu'il s'agit d'une procédure orale", a souligné Me El Hadj Diouf, tout en relevant qu'on permet aux avocats de faire juste quelques observations. A son avis, ses confrères "font du cinéma, car en partant, ils n'ont pas demandé qu'on leur retourne le dossier ni retirer leur mémoire en défense".
"Ce qu'ils auraient dû faire, s'ils estiment que la Cour n'est pas une juridiction indépendante, c'est de retirer carrément leurs pourvois en cassation. Mais, ils laissent leurs pourvois et ils disent : on s'en va. Cela veut dire que la cour va statuer sur les écrits qu'ils ont déjà déposés et qu'ils ont déjà argumentés", a déclaré Me Yérim Thiam.
C'est pourquoi Me Bassirou Ngom considère qu'il s'agit encore "d'une fuite en avant" de la part de ses confrères, "habitués à la stratégie de l'évitement". "Ils sont partis, car ils ne peuvent pas plaider des moyens de droit. Ce qui les intéresse, c'est la manipulation de l'opinion. Donc, ils ont fui", a-t-il martelé.
VERDICT DE LA COUR SUPRÊME RENVOYÉ AU 20 AOÛT
Le Parquet général demande une cassation partielle
Hier, la poire a été divisée en deux par le parquet général dans son réquisitoire pour les pourvois en cassation déposés par Karim Wade et ses complices. Le parquetier Ousmane Diagne a décelé des vices dans l'arrêt rendu par la CREI, le 23 mars 2015 et condamnant Karim Wade à six ans ferme, ainsi qu'à une amende de 138 milliards de F CFA.
Dans son arrêt, la Cour a ordonné la confiscation de tous les biens des condamnés. Cependant, ce dispositif doit être cassé, car l'on ne peut confisquer la totalité des biens, mais le 1/5 juste. Parce que la loi dit que si le prévenu a un descendant, la confiscation ne peut se faire que sur le 1/5 de ses biens.
L'autre cassation demandée concerne les mesures conservatoires prises à l'endroit des sociétés qui, selon la CREI, ont servi aux prévenus à s'enrichir de manière illicite. Le parquetier a demandé que lesdites sociétés soient placées sous séquestre et non sous administration provisoire comme ordonné par la CREI.
En revanche, concernant les recours appelés "avant-dire droit", ceux liés notamment aux violations des droits de la défense, le parquet général a demandé à la Cour de les déclarer irrecevables et les rejeter. Non seulement il juge certaines requêtes non fondées mais le parquet général a relevé que certaines ont déjà fait l'objet d'un jugement.
Ainsi pour le déclinatoire de compétence de la CREI à juger Karim Wade, l'ex-Procureur de la République a laissé entendre que la CREI est bel et bien compétente pour juger Karim Wade. Selon ses arguments, Karim Wade, poursuivi sur la période de 2002 à 2012, n'a été ministre qu'à partir de 2009, sans compter que les faits sont détachables de ses fonctions.
"Ce sont des faits commis à l'occasion du service et non dans le cadre du service". Par rapport à l'irrecevabilité de la constitution de partie civile de l'État soulevée toujours par la défense, il a rétorqué que c'est dans les prérogatives de l'État de défendre l'intérêt général. Il a aussi demandé que l'argument de l'irrégularité de la composition de la CREI soit rejeté, car le juge Tahir Ka, remplaçant Yaya Amadou Dia qui a démissionné en plein procès, avait assisté à tous les débats d'audience vu sa qualité de suppléant.
La Cour rendra son arrêt le 20 août prochain.