LA DÉMOCRATIE SÉNÉGALAISE, UNE BELLE BOUTIQUE DÉVALISÉE
La propagande pro-Macky a si admirablement réussi à mythifier la traque des biens mal acquis de sorte que s’y opposer, ou plus exactement s’opposer à la tournure injuste et discriminatoire qu’elle a prise, est synonyme de trahison, d’incivisme et d’antipatriotisme. En même temps elle n’a pas hésité à franchir l’indignité consistant à montrer à la télévision nationale (regardée partout dans le monde) l’image truquée de la maison de fonction anciennement occupée par Abdoulaye Faye avec les stigmates hideux d’un vandalisme prétendument orchestré par ce dernier.
Une chaise anglaise arrachée, des étagères emportées ! Comment des êtres civilisés peuvent-ils pousser la fureur vindicative à ce point ? Cette machine de propagande n’a pas vu qu’en mentant de façon si ignoble elle a davantage écorché l’image de notre pays que celle de la personne incriminée. L’oligarchie politico-médiatique a osé titrer durant des semaines et des mois à la «Une» des journaux : «Palais dévalisé», «Meubles et moquettes volés», «Voitures de fonction volées», etc.
Comment peut-on être si cruel et si déloyal envers ses adversaires politiques défaits ? L’autre versant de cette machine de propagande (illustrée par le recrutement en amont comme en aval d’une cohorte de journalistes dont toute l’industrie et l’ingéniosité sont mises au service du mensonge) est le gargarisme politique.
Se gargariser des piteuses bourses familiales et d’une baisse bricolée des loyers pour faire croire aux Sénégalais qu’on avance vers la rupture et le progrès ! Comme dans le sport, la politique fait recours à la technologie du ralenti pour mieux contrôler les consciences. Le discours de fin d’année du président de la République nous permet de mieux comprendre les procédés totalitaristes de ce régime.
En effet, le discours était fragmenté en secteurs pour donner l’illusion d’une maîtrise des dossiers alors que c’est justement le contraire qu’on voulait occulter. C’est une forme de standardisation excessive du discours pour le rendre incontestable par ses formes extérieures : l’exactitude ou la précision des formes est destinée à transmuter le contenu en contenant et à mettre la parole hors de toute délibération.
Ce procédé ressemble beaucoup à l’axiomatisation mathématique : on dépouille complètement les énoncés doués de signification de sorte à réduire tout le raisonnement en une structure logique dans laquelle tout sens est congédié. C’est de cette façon que la démocratie d’opinion tue les principes de la démocratie (à savoir, la souveraineté populaire, l’égalité des citoyens et la délibération libre) par une espèce d’optimisation excessive de la communication.
La façon inlassable dont une partie bien connue de la presse sénégalaise traite le problème de la traque des biens dits mal acquis obéit à une logique du ralenti : repasser inlassablement le «film» d’un rien pour qu'il finisse par être bien apprécié par le public.
Emile Durkheim a expliqué dans Le crime, phénomène normal que pour que les sentiments collectifs que le droit pénal d’un peuple protège parviennent à «pénétrer dans les consciences qui leur étaient jusque-là fermées ou à prendre plus d’ampleur là où ils n’en avaient pas assez, il faut qu’ils acquièrent une intensité supérieure à celle qu’ils avaient jusqu’alors. Il faut que la communauté, dans son ensemble, les ressente avec plus de vivacité, car ils ne peuvent pas puiser à une autre source la force plus grande qui leur permet de s’imposer aux individus qui, naguère, leur étaient réfractaires».
Ce passage permet de comprendre l’ampleur des procédés machiavéliques par lesquels l’oligarchie politico-médiatique a instillé dans les consciences le caractère criminel de toute la gestion libérale.
L’insistance et la dramatisation ont, entre autres fonctions, celle de fixer et de graver dans les consciences. On a tellement fait du tapage avec cette problématique des biens supposés mal acquis que le mécanisme de l’assimilation a fini par faire une équivalence sémantique entre corruption et PDS.
Il ne restait plus aux nouvelles autorités qu’à surfer sur cette grande imposture pour se faire bonne conscience par rapport à leur passé pourtant loin d’être probe. Une oligarchie politico-médiatique à ainsi réussi à nous imposer l’image d’un Macky Sall respectueux, sobre et vertueux : est-ce vraiment sérieux ?
Comment un ancien ministre qui a osé forcer un bureau de vote pour voter sans sa pièce d’identité nationale peut-il se prévaloir d’être un héro de la probité républicaine ? Comment un ancien Premier ministre qui a osé accuser son prédécesseur (et devant le corps diplomatique) de détournement de deniers publics sans aucune preuve peut-il aujourd’hui convaincre de sa bonne foi en parlant de traque des biens mal acquis ?
Pire, comment croire une presse qui a eu l’outrecuidance d’occulter les preuves de la fausseté de la grave allégation sur le salaire des juges du Conseil constitutionnel ? Comment peut-on diffuser et entretenir un si gros mensonge et continuer encore à revendiquer une quelconque déontologie ? Comment respecter une presse dont l’une des vocations est désormais de jouer à l’entremetteur qui facilite la transhumance politique ? Comment donner du crédit à une presse qui a décidé d’occulter le grand désastre qu’a été la compagne de commercialisation de l’arachide cette année ?
Mon Dieu pourquoi tant de silence et de lâcheté face à la violation des droits dans notre pays depuis l’avènement de Macky Sall au pouvoir ? Comment a-t-on réussi, en si peu de temps, à procéder à une conversion morale si radicale de la société sénégalaise pour que ce qui était naguère le mal devienne le bien ?
On a divisé les Sénégalais en deux catégories : d’un côté les propres doublés de patriotes et de l’autre, les corrompus dénués de toute vertu. La nomination de Mimi Touré au poste de Premier ministre n’est rien d’autre qu’une prime à la délation, à la discorde, à la haine et au manichéisme.
Pour le moment les Sénégalais refusent de regarder la vérité en face, à savoir la médiocrité d’un régime dont la raison d’être et le seul mode d’action sont la manipulation des consciences et la fabrique d’une opinion publique frivole. Le jour où ils auront le courage de regarder cette tragique vérité en face, je ne serai pas surpris de les voir «se suicider» par groupes.
* Professeur au lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès