"A LA DATE D’AUJOURD’HUI, JE N’AI EU A ENCAISSER QUE LE MONTANT DE 18,5 MILLIONS"
ALBOURY, L’ADMINISTRATEUR PROVISOIRE DE DP WORLD DEFEND SON ROYAUME

L’exercice de son mandat à la tête de la société qui lui a été confiée a été fortement attaqué, surtout en ce qui concerne la gestion des finances, et les honoraires qu’il s’est fait attribuer. L’administrateur provisoire de Dp World a tenu à répliquer à ces critiques et démontrer que, contrairement à ce qui s’est dit, non seulement il n’a pas été désavoué par son mandant, mais au contraire, ce dernier le maintien à son poste.
Qui êtes-vous, M. Papa Alboury Ndao ?
Je suis expert comptable diplômé en France, expert judiciaire. Je suis associé responsable du cabinet Rma Sénégal qui fait partie du réseau international des cabinets partenaires.
Vous êtes administrateur provisoire de Dp World Sénégal. Pouvez-vous nous expliquer le processus par lequel vous avez été nommé à ce poste ?
Je suis effectivement administrateur de Dp World Dakar. Le processus, de ce que j’en ai compris, a été le suivant : d’abord, je rappelle que je suis expert judiciaire, matière d’ailleurs qui a fait l’objet de mon mémoire d’expertise comptable. J’ai eu à la pratiquer en France pendant quatre ans, dans les tribunaux de la région orléanaise. Ensuite ici au Sénégal, je travaille avec les tribunaux depuis 2006. Quand j’ai appris la création de cette commission d’instruction, j’ai eu la démarche, comme j’ai eu à le faire dans le passé, de faire une demande d’agrément au niveau de cette commission. Laquelle a eu, à ce que j’ai pu comprendre, à apprécier l’ensemble des demandes d’agrément et qui a ensuite fait la sélection sur la base de critères que je ne maîtrise pas. Mais sachez que l’expertise judiciaire, c’est mon domaine de compétence.
En fait, certaines personnes ont eu à faire la relation entre votre nom de famille et celui du Procureur spécial près la Crei. On a dit que ce seraient vos liens de parenté qui auraient justifié le choix porté sur vous.
Je ne connaissais pas le Procureur spécial Alioune Ndao. D’ailleurs, je l’ai rencontré pour la première fois aujourd’hui il y a à peine une heure. Je ne l’avais jamais rencontré, ni jamais vu, ou connu auparavant. Nous n’avons aucun lien de parenté à ce que je sache, ni aucun lien amical. C’est la première fois que je l’ai rencontré, il y a quelques minutes de cela.
Aviez-vous émis un choix sur Dp World ou bien est-ce la Commission d’instruction qui a décidé de vous attribuer cette mission ?
Je n’ai pas choisi ! Je n’ai rien demandé. C’est la commission qui a fait le choix de m’attribuer cette mission d’administrer provisoirement Dp World. Pour quelle raison ? C’est vrai que j’ai eu à connaître l’activité portuaire dans mon expérience professionnelle. C’est peut-être cela qui a joué dans le choix. Mais cela, je ne saurais le confirmer.
Maintenant, si on peut en venir un peu sur la polémique de ces derniers jours, au sujet de vos honoraires et de la gestion de Dp World. Avez-vous eu le sentiment de n’avoir pas accompli la mission qui vous a été confiée ?
Tout d’abord, par rapport à cette polémique, j’aimerais préciser que les montants qui ont été annoncés comme étant encaissés, sont erronés, il n’en est absolument rien. A la date d’aujourd’hui, je n’ai eu à encaisser que le montant 18,5 millions ht. C’est tout ce que j’ai eu à encaisser, contrairement aux montants faramineux que les gens ont eu à écrire dans la presse. Eu égard à la mission qui m’a été confiée, de manière synthétique, il m’a été demandé d’accomplir les actes courants de gestion et d’administration de la société, en lieu et place de la Direction générale et du Conseil d’administration.
Ensuite, je devais procéder à une évaluation du patrimoine de Dp World Dakar, dès l’entame de ma mission. Et puis de procéder à des travaux d’investigation en vue d’établir des liens juridiques ou économiques entre des structures identifiées. A ce titre-là, j’ai vraiment eu la préoccupation de mener à bien cette mission. En ayant comme première préoccupation, d’avoir une bonne maîtrise et d’assurer la gestion quotidienne de l’exploitation. Parce qu’il est hors de question aujourd’hui, que l’administrateur provisoire puisse être à l’origine d’un dysfonctionnement ou de tout acte de nature à remettre en cause la continuité de l’exploitation de la société.
A ce titre, dès l’entame de ma mission, j’ai fait le tour des principaux clients pour d’une part, les rassurer que l’administration provisoire n’est pas là pour changer quoi que ce soit dans leurs liens commerciaux. Mais également, recevoir leurs préoccupations et leurs frustrations dans leurs relations commerciales avec Dp World. J’ai eu un retour comme quoi, pratiquement toutes ces personnes étaient satisfaites du service rendu par la société. Par ailleurs, je me suis entretenu avec le personnel envers qui j’ai tenu un discours en ces termes : «Vous avez en main un outil qui semble fonctionner, qui semble donner satisfaction à l’ensemble des clients.» Ainsi, je leur ai confirmé que je n’avais aucunement envie de changer ce mode de fonctionnement.
A ce titre, je fais confiance à l’ensemble du personnel existant, envers qui je n’ai aucun a priori. Je laisserai les gens à leur place, je ne remettrai pas en cause les avantages de qui que ce soit, mais sachez également qu’on est dans le cadre d’une procédure judiciaire, et que j’ai des réponses à apporter à mes mandants, et je ne saurais accepter une entrave quelconque dans l’accomplissement de ma mission. Donc, j’ai vraiment eu une démarche de me préoccuper de la continuité de l’exploitation. Je pense donc, à ce titre, que je n’ai pas failli à ma mission.
D’ailleurs, pour mener à bien cette mission, je me suis fait assister par un expert et son assistant, spécialistes dans le métier de la gestion des containers. Pour me conseiller dans la gestion quotidienne et valider les dossiers techniques qui me seront soumis pour signature. Au niveau de la supervision des activités comptables et financières de la société, j’ai fait appel à deux experts comptables diplômés. C’est le choix que j’avais fait, de laisser les équipes existantes, ne pas perturber du tout le fonctionnement, mais de m’entourer également de garanties, c’est-à-dire de gens qui soient en mesure de superviser en toute connaissance de cause et en toute compétence, les informations qui me seront transmises pour que je puisse les exploiter sans risque de me tromper.
J’aurais pu faire ce qu’auraient fait des confrères, c’est-à-dire changer complètement les directeurs, les mettre à l’écart et amener mes propres gens, des personnes en qui j’ai confiance et qui ont le savoir-faire. Mais j’ai pris l’option en toute connaissance de cause, de laisser l’équipe en place, mais de mettre quand même un processus de contrôle, avec des gens qui connaissent le métier. Le choix de ces personnes m’a pris beaucoup de temps parce que j’avais la préoccupation de trouver des gens ayant les qualités de professionnels, une connaissance du métier, qui soient indépendants et surtout qui ne soient pas en situation de conflit d’intérêts, ce qui dans le métier de gestion des containers est très difficile et très rare. Mais j’ai quand même réussi à le trouver. C’est dans cette optique-là qu’on est en train de dérouler la mission qui nous a été confiée.
Vous avez dit que vous n’avez pas changé de personnel. Mais n’avez-vous pas eu des difficultés à travailler avec le personnel trouvé sur place ?
Très honnêtement, non. Je n’ai eu aucune difficulté à travailler avec eux. J’ai constaté une volonté de collaboration. Il y a eu quelques tentatives de réticence qu’on a vite contenues en bonne intelligence avec ces gens-là. Il n’y a pas eu de problèmes.
Vous dites n’avoir pas perçu les montants qui ont été annoncés. Néanmoins, vous avez quand même eu l’intention de les percevoir. Vous aviez demandé à ce qu’ils vous soient payés.
Je voudrais qu’on rentre beaucoup plus dans le détail de ces choses. Vous savez, cette mission a fait l’objet d’un projet de budget qui a été formalisé dans un document, avec l’ensemble des pièces justificatives et qui a été soumis à mon mandant, qui est l’autorité compétente en charge d’approuver et de valider les choses. Ce budget est composé de différentes rubriques. La première rubrique dite des activités récurrentes, a fait l’objet d’une facturation à hauteur de 18 millions 500 000 francs hors taxes. Ce montant correspond à la rémunération de trois experts comptables diplômés : Moi, expert comptable diplômé administrateur provisoire, un expert comptable américain Cpa et un troisième expert comptable, diplômé également en France.
Comme énoncé ci-avant, ces deux derniers étaient chargés de superviser l’activité comptable et financière, eu égard à la complexité et à la lourdeur de la machine Dp World. Maintenant, se posait la problématique de savoir comment définir cette rémunération. Et là, il y avait deux écoles : soit j’appliquais le barème de notre profession, qui définit les taux de facturation applicables par niveau hiérarchique. Et si j’appliquais ce barème, je serais dans des montants vraiment hors normes, dans les environs de 45 millions de francs. Ce qui me paraît un peu beaucoup. Je me suis dit qu’il faut essayer de voir en interne les personnes que l’on remplace ou qu’on supervise, et voir le coût salarial de ces personnes. Il s’est avéré que ces dernières avaient un coût salarial mensuel de 37 millions et quelques. C’est là où j’ai fait l’arbitrage de fixer cette rémunération pour les trois experts comptables diplômés qui travaillent en full time sur le dossier. Ça, c’est la première partie de la rémunération budgétaire.
La deuxième correspond aux honoraires de l’audit. Il m’a été demandé en tout début de mission, de faire ce qu’on appelle une évaluation du patrimoine de la société. Et à ce titre, j’ai estimé nécessaire de faire l’audit d’une situation qui a été établie au 31 mai, parce que lors d’une évaluation, on a besoin de valider l’ensemble des postes de bilan pour pouvoir s’assurer de la réalité économique de ces choses-là et pouvoir procéder à l’évaluation. Là également, se posaient deux problèmes. Comment évaluer le budget, le barème pour lequel si je l’appliquais, le montant allait être aux alentours de 100 millions. Le barème fonctionne de la manière suivante pour les missions d’opinion : C’est le total des bilans plus le total des produits financiers, qui correspondent à un volume horaire.
Ce volume horaire, en fonction des intervenants pour lesquels chacun a un taux bien défini, on arrive à un budget. Je suis arrivé à un budget d’une centaine de millions. J’ai dit : je vais voir ce que le commissaire aux comptes titulaire perçoit au titre des missions d’audit, pour pouvoir faire la même chose. Je me suis rendu compte que cet auditeur, dont je ne citerai pas le nom, perçoit un montant de 45 millions hors taxes. J’ai dit, eu égard aux besoins spécifiques et à la profondeur des diligences qui me sont demandées, j’établis le budget à 30 millions, ce qui me paraît raisonnable.
Ensuite, il y a l’inventaire des immobilisations, pour lesquelles j’ai proposé un budget de 60 millions. Là également, la même approche. Etant entendu que pour l’inventaire, j’avais besoin de faire appel à un expert industriel qui devra procéder à ce qu’on appelle une évaluation à la valeur vénale. J’ai fait une estimation, parce qu’avec l’application de tarifs et du barème des experts industriels, on arriverait à des montants faramineux. J’ai comparé ce que j’applique à mes clients en portefeuille et le tout dernier client avec qui j’ai fait ce travail d’inventaire, et dont les immobilisations sont dix fois moins importantes que celles de Dp World qui a été facturé 55 millions de francs hors taxes. Compte tenu du fait que là, c’est une mission d’inventaire et de valorisation nécessitant l’intervention d’un expert industriel, qui doit faire l’évaluation de la valeur vénale, j’ai estimé le budget à 60 millions. On y travaille depuis un mois avec une équipe dédiée et avec Dp World d’ailleurs, qui nous a aidés... C’est comme ça qu’on a procédé par rapport à ces rubriques.
Maintenant, pour mes conseillers, il s’est avéré que pour le conseiller juridique de la société, j’ai estimé qu’il était en situation de conflit d’intérêts. Je m’en suis entretenu avec lui, on a eu à échanger, on a eu des divergences de position et je lui ai formellement demandé de suspendre ses activités, parce qu’il était en situation de conflit d’intérêts. On ne peut pas être conseiller des actionnaires et être conseiller de Dp World Dakar dont je suis l’administrateur provisoire, et continuer à nous mettre des bâtons dans les roues etc. J’ai pris un avocat pour le remplacer, à qui j’ai demandé d’appliquer les mêmes tarifs que son prédécesseur.
C’est comme ça qu’on a procédé. Ensuite, pour les conseillers. Le conseiller en charge de m’aider dans la gestion quotidienne du métier, et la gestion de containers. En réalité, c’est une équipe de deux personnes, pour parer à un empêchement éventuel. Et là, on est arrivé à un budget qui n’est pas significatif à mes yeux. Pour lequel j’ai estimé que ce n’était pas énorme. J’ai estimé que c’était compréhensible et justifié. Voilà ce que je pouvais dire sur ces honoraires.
Maintenant, il y a la partie relative aux investigations. Le montant de 150 millions que j’ai facturé, qui correspond aux travaux d’investigation, parce qu’il faut savoir que l’objet de cette mission, au-delà de tout, c’est d’identifier les relations économiques et juridiques entre des structures identifiées. Qu’à ce titre, eu égard à la complexité, à la nature même de la situation géographique des structures qui sont dans les paradis fiscaux, j’ai estimé nécessaire de me faire accompagner par des spécialistes en ingénierie financière, en crime financier, qui ont l’expérience des paradis fiscaux et des BVI. Avec ces gens-là, on a échangé pour définir une stratégie et ils m’ont proposé des budgets. Et c’est sur la base de ces éléments que j’ai arrêté cette provision de 150 millions. Et tout ce processus d’établissement de ce budget, a été communiqué à mon mandant, la Commission d’instruction de la Crei qui a posé des questions, qui a demandé des informations complémentaires et qui a donné son approbation.
Donc, vous n’aviez pas rencontré d’opposition à votre budget auprès de la Commission d’instruction ?
Ils ont posé des questions, ils ont émis des observations, on a revu la copie. On est arrivé à une mouture finale qui correspond à ce qui a été facturé.
A ce niveau, vis-à-vis de vos mandants et vis-à-vis de la gestion quotidienne de l’entreprise, avez-vous le sentiment que vous êtes tout à fait dans un cadre normal de fonctionnement ?
Parfaitement ! Je n’ai absolument rien à me reprocher, tout a été fait en toute objectivité et dans les formes requises. Pour tout acte que j’ai eu à poser, j’ai eu à informer de manière préalable mes mandants. Vraiment, à ce niveau-là, je suis très à l’aise. Maintenant, chacun a son avis là-dessus. Certains pensent que c’est cher. Mais eu égard à la pratique de mon cabinet, parce qu’il faut savoir également qu’on est dans une corporation où, malgré le fait qu’on a un barème qui fait l’objet d’un décret, il y en a quand même qui appliquent des barèmes qui sont différents. Eu égard à la qualité et à la profondeur de mes travaux, j’estime que ce budget que j’ai appliqué est en adéquation avec les pratiques de mon cabinet. Et de ce que je pratique pour mes autres clients. En adéquation également avec ce que j’ai appliqué à Dubaï Port World, dont le mandant a été informé.
Et s’agissant de votre dotation illimitée en carburant ?
J’ai entendu parler d’une histoire de carburant pour deux véhicules, j’aimerais préciser que j’ai deux véhicules qui m’appartiennent personnellement, j’ai pour habitude d’utiliser la petite voiture de manière courante…
…La Mercedes ?
…La Mercedes. Et dès la première pluie, je la gare et je prends la grosse, la 4X4. Et quand je changeais de voiture, du fait de la pluie, j’ai rendu la carte de la Mercedes à l’assistante administrative, qui m’a donné une nouvelle carte. Il n’y a pas eu d’utilisation abusive, bien au contraire. Car j’aurais pu réquisitionner le véhicule du Dg ou me faire refacturer l’utilisation de mon propre véhicule, pour les besoins de Dp World. Chose que je n’ai pas faite. J’ai uniquement demandé la prise en charge du carburant, et sur un seul véhicule. Point final.
Qu’avez-vous fait du Dg ?
Je l’ai laissé sur place, il est à Dp World. Je l’ai laissé parce que j’avais la préoccupation de préserver la continuité de l’exploitation. Et donc, dans cette phase transitoire, j’avais besoin de travailler avec lui, prendre les décisions importantes relatives à l’exploitation avec lui, pour ne pas prendre de risque sur des défaillances, ou de non-continuité de l’exploitation. C’est la raison pour laquelle je lui ai demandé de se mettre à disposition de Dp World. Et donc, on travaille main dans la main, bien que je sache pertinemment que je ne suis pas la personne la plus désirée de Dp World.
Par rapport à ce que vous dites, comment réagissez-vous quand vous entendez que la Garde des Sceaux a réagi en demandant qu’on vous dessaisisse, qu’on mette fin à votre mandat ?
J’ai été très surpris d’entendre cela. C’est vous qui me l’apprenez. A la date d’aujourd’hui, je n’ai pas reçu de notification venant de mes mandants, à qui j’ai l’obligation de rendre compte, je le dis et je le répète. Contrairement à ce que les gens disent, s’il y a une seule structure à qui je me fais le devoir de rendre compte, c’est la Commission d’instruction qui m’a mandaté. Si elle me demandait aujourd’hui d’arrêter, j’arrêterais. A la date où je vous parle, cette commission ne m’a pas informé de la décision qui semble être prise par la ministre, et qui a fait l’objet de commentaires dans la presse.
Donc vous n’avez entendu nulle part officiellement de la décision de mettre fin à l’Administration provisoire de Dp World ?
Pas du tout. Personne ne me l’a dit.