LA DEPENALISATION DU YAMBA COMME SOLUTION ?
SENEGAL : LUTTE CONTRE LES DROGUES EN AFRIQUE DE L’OUEST
L’actualité liée à la campagne pour les élections locales a éclipsé une question importante pour notre société. En effet, une commission de la Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), dirigée par l’ancien président nigérian Oluségun Obasanjo et chargée de réfléchir sur l’efficacité de la lutte contre la drogue engagée par nos Etats a séjourné à Dakar en jetant l’émoi auprès des organismes qui luttent contre la drogue. Pour cause, cette commission composée d’éminentes personnalités propose tout simplement une dépénalisation de l’usage et de la détention de certaines drogues ! La presse en a rendu compte de manière très superficielle alors que l’affaire est tellement sérieuse qu’elle mérite débat. Car, à l’évidence, les politiques de lutte contre les drogues menées par nos Etats sont des échecs patents malgré les fanfaronnades des services de répression qui se glorifient d’avoir réussi à mettre la main sur des dizaines de tonnes de chanvre indien. Or, la lutte contre la drogue ne peut se limiter à la saisie de tonnes de yamba alors que les drogues qui tuent circulent librement car elles sont plus faciles à transporter et coûtent, au poids, cent fois plus cher que l’herbe. Le Témoin ouvre le débat.
Depuis la fameuse affaire du trafic de drogue dans la police nationale révélée par le commissaire Cheikhna Keïta, notre pays est sous les feux de la rampe. Le Sénégal a d’ailleurs été cité par une commission sous-régionale de réflexion sur la lutte contre la drogue comme une plaque tournante du trafic international de produits stupéfiants.
Et pour ajouter à notre mauvaise réputation en la matière, le commissaire Niang a été cité par la fondation Koffi Annan pour avoir été impliqué, selon un rapport de son collègue Cheikhna Cheikh Sadibou Keïta, son remplaçant à la tête de l’Ocrtis, comme « complice présumé » de gros trafiquants qui recyclaient sur le marché local les prises opérées par les services de lutte contre la drogue.
Du coup, le Sénégal est au centre de tous les débats sur la question des drogues, l’efficacité des moyens déployés pour freiner leur progression croissante et la pertinence des dispositions légales qui en répriment l’usage, la détention et la mise en circulation. Mais voilà, la réflexion n’est même pas encore envisagée sur tous ces sujets d’importance capitale pour lutter efficacement contre le trafic des drogues qu’un autre rapport tombe comme un coup de tonnerre dans le ciel sans nuage de nos certitudes.
Car, cette même commission ouest-africaine composée de personnalités indépendantes dont un ancien chef d’Etat et un ancien Secrétaire général de l’Onu, Olusegun Obasanjo et Kofi Annan pour ne pas les nommer, recommande aux Etats de l’Afrique de l’Ouest de dépénaliser l’usage et la détention de drogues. Rien de moins !
Ces sommités du continent que l’on ne peut pas soupçonner d’être plus idiots que tout le monde estiment que trop d’usagers qui ne représentent aucun danger pour nos sociétés ni pour nos économies croupissent dans nos prisons. Ce alors que les trafiquants, les vrais, ceux qui font des transactions sur des centaines de millions ou des milliards de francs Cfa ne sont presque jamais inquiétés.
Parce qu’ils possèdent fortune et influence, ils disposent donc de complicités très haut placées qui leur permettent de passer à travers les mailles des filets. Ce qui occasionne, selon les experts de cette commission, une augmentation de la corruption et du blanchiment d’argent contrairement aux effets recherchés.
A les en croire, d’ailleurs, la criminalisation de l’usage et de la détention des drogues, outre son inefficacité constatée sur le trafic entraîne un surpeuplement exponentiel des prisons où ne s’entassent que « des gens qui ont plus besoin d’aide que de punition » selon la jolie expression du président Obasanjo qui s’exprimait sur le sujet à Dakar.
Dépénaliser les infractions liées à l’usage ou à la détention de certaines drogues pourrait donc être aux yeux de ces éminentes personnalités une solution pour désengorger les prisons. Ainsi, les efforts des services chargés de lutter contre les drogues pourraient être déployés vers la réflexion sur des approches plus pointues et sur l’acquisition de moyens plus appropriés et plus efficaces pour localiser et neutraliser les trafiquants.
Car, en matière de lutte contre les drogues, il faut savoir aller à l’essentiel et éviter le superflu. Pour ce qui concerne notre pays, il est donc important de se poser les bonnes questions afin que la lutte contre la drogue soit pourvue de sens. Contre quelles drogues, par exemple, nos services doivent-ils lutter et contre quels trafiquants ? Quelles sont les drogues qui constituent un danger réel pour nos populations à cause de leur usage inconsidéré ? Quelle drogue est à ce point morbide au Sénégal qu’elle constitue un problème de santé publique à cause des ravages qu’elle occasionne pour notre jeunesse en particulier et notre société en général ?
Le yamba est-il réellement une drogue ? Quid de la cigarette et de l’alcool ?
Pour sa part, la fondation Kofi Annan ne fait pas dans le clair-obscur. En suggérant à nos pays de dépénaliser l’usage et la détention de certaines drogues, elle vise essentiellement celles qu’elle considère comme «mineures et non violentes». Qu’est-ce à dire ?
Dans les pays occidentaux où la drogue est considérée comme un fléau qui met en danger l’avenir de la jeunesse et hypothèque la production nationale, les drogues sont classifiées. Ainsi, les drogues dites «dures» sont celles qui sont si addictives qu’elles peuvent conduire l’usager jusqu’à la mort après lui avoir fait traverser de dures épreuves qui vont de la négligence de son travail à la ruine financière, en passant par la marginalisation sociale, la solitude et une détresse morale qui peut aller jusqu’à la folie et au… suicide.
Les usagers de ces drogues dites dures contraignent ainsi leurs gouvernements à se pencher sur leurs cas spécifiques avec une prise en charge médicale et sociale spéciales. A cause de leur nombre croissant et de la sophistication des produits qu’ils utilisent (la quasi-totalité de ces drogues sont fabriquées en laboratoire et contiennent des substances de synthèse), ces drogues font des dégâts considérables auprès des populations de ces pays.
Elles ont pour noms héroïne (héro pour les affranchis), cocaïne (coke), crack (jet), amphétamines (pions), diluant cellulosique (guinz)… Les populations des Etats-Unis et des grands pays d’Europe en sont les principales victimes, obligeant ainsi leurs gouvernements à faire des coupes sombres dans leurs budgets d’investissements afin d’éviter les dérapages de marginaux socialement dérangeants et politiquement incorrects.
En Hollande, par exemple, les mairies des grandes villes comme Amsterdam sont obligées de dépenser des millions d’euros par mois pour ravitailler les consommateurs de drogues dures afin de les rendre plus… doux et moins agressifs. Car, lorsqu’ils sont en manque et que leurs neurones réclament leur dose, ces junkies deviennent asociaux et sont même capables de s’attaquer à leurs proches juste pour se procurer la substance qui leur fait défaut.
Mais à côté de ces extrémistes de la défonce, existent des consommateurs réguliers de drogues dites douces. Nombre de pays occidentaux ferment les yeux sur la consommation de ces produits dont certains sont, à leurs yeux, abusivement considérés comme des drogues. Il s’agit principalement de l’herbe, autrement appelée chanvre indien par les européens, marijuana par les Américains, ganja par les Jamaïcains ou yamba au Sénégal et au Mali.
En Hollande, pays de référence en la matière, la détention et l’usage de ce produit agricole naturel sont certes réglementés mais légaux. Dans ce pays, chacun est libre d’acheter et de consommer du yamba dans des endroits spécifiques mais publics comme les «Cafe shops» a fortiori… à domicile, sans aucune conséquence pénale.
L’Espagne, l’Allemagne et la Belgique sont dans la même mouvance car ces pays ont mis en place des projets pilotes pour permettre aux usagers de produits non dangereux mais classés comme drogues (spécialement l’herbe) de prendre leur plaisir en toute légalité. Mieux, récemment, des Etats américains ont autorisé leurs citoyens à consommer de l’herbe, certains sans restriction et d’autres sous conditions…
Même le président Obama y est allé de son petit commentaire en félicitant l’Etat d’Oklahoma d’avoir dépénalisé l’usage et la détention de chanvre indien pour la simple raison qu’à sa connaissance, « la plupart des Américains adultes ont été en contact avec la marijuana dans leur jeunesse et continuent à en user encore sans aucune conséquence sur leur travail, leur santé ou leur intégration sociale».
Regarder par le bon bout de la lorgnette
Si le président de la première puissance mondiale, qui n’hésite pas à envoyer des commandos kidnapper des chefs d’Etat ou des officiels étrangers impliqués dans un trafic de drogue afin des les juger sur le territoire américain, si ce président, donc, en arrive à féliciter les Etats qui légalisent l’usage de l’herbe, c’est parce qu'il y a vraiment à redire sur la vraie nature de ce produit. Le chanvre indien est-il une drogue ou non ?
Nous devons oser le débat car il existe dans notre pays des militants et défenseurs de la cause des fumeurs de yamba qui prétendent que cette plante a plutôt des vertus thérapeutiques. Ces défenseurs présentent des arguments scientifiques à l’appui, y compris les études du célèbre docteur Olivenstein et un rapport commandé par l’ancien ministre français de la Santé et activiste social, un certain Bernard Kouchner (nous y reviendrons dans nos prochaines éditions).
Ces Sénégalais pro-yamba sont convaincus que la cigarette et l’alcool ont des effets plus néfastes que le chanvre car ils conduisent à la déchéance et à la mort alors que le chanvre appelle à la concentration, la contemplation, la réflexion et le calme.
A les en croire, les usagers de chanvre, s’ils ne consomment que ce produit, ne peuvent jamais être ivres au point d’en être malades, de tituber, de perdre conscience de la réalité, de commette des actes irréfléchis ou illégaux parce qu’ils en ont exagéré la prise. Ils ne comprennent donc pas que la détention et l’usage de l’alcool ne soit pas interdits alors que l’alcoolisme tue des millions de personnes par semaine selon l’avis même des spécialistes des questions de santé publique.
Ils ne comprennent pas non plus que la cigarette, que tous les spécialistes de la santé considèrent comme l’un des plus grands tueurs de l’humanité, soit légalisée dans le monde entier alors qu’elle constitue une telle drogue que la dépendance à la nicotine du tabac est l’une des plus faciles à contracter et des plus difficiles à combattre. Sauf qu’à leurs yeux les industriels du tabac sont à l’origine de l’interdiction du chanvre indien alors qu’il s’agit d’un produit aux multiples vertus scientifiquement reconnues.
Quoi qu’il en soit, messieurs Obasanjo et Annan ont touché du doigt un des vrais problèmes de l’Afrique : Nos Etats suivent aveuglément les directions indiquées par l’Occident sans en étudier tous les contours et appliquent à la lettre leurs recommandations sans en connaître les effets sur nos sociétés et les conséquences sur nos économies. Ces sommités du continent ont compris que les luttes contre les drogues dans nos pays africains ont été des échecs car elles ont été élaborées par des pays occidentaux confrontés à des problèmes internes.
L’Amérique du nord et l’Europe ont souffert de la consommation de drogues et ont élaboré des lois contre les produits dangereux pour la santé de leurs populations, à l’exemple des Usa qui en étaient arrivés à interdire la consommation d’alcool dans les années 1920 pour cause de généralisation d’une maladie invalidante et mortelle, la cirrhose du foie. Quelles sont les maladies causées au Sénégal par l’usage du yamba ? Quel danger le yamba constitue-t-il pour notre société et pourquoi doit-on légiférer durement sur la base de lois étrangères inspirées par le vécu de peuples étrangers ?
Toujours est-il que la commission Kofi Annan qui ne croit plus aux luttes contre les drogues inspirées par l’Occident et appliquées par les pays du tiers-monde, invite les autorités à regarder la question par le bon bout de la lorgnette. Cette commission sait pertinemment que les drogues redoutées par les pays occidentaux pour la santé de leurs populations ne sont ni produites ni consommées en Afrique. Elles ne font qu’y transiter.
Les comparses condamnés à des peines de prison de plus de dix ans pour détention de deux ou trois paquets de yamba ne sont pas concernés par la vraie lutte contre les drogues. Il faut juste savoir ce qui est drogue et ce qui ne l’est pas, et quels effets les drogues supposées ou scientifiquement prouvées pour leur morbidité entraînent sur la santé de nos populations.
Le débat est plus ouvert que jamais et il faut exclure la stigmatisation, les clichés surannés et les positions de principe non argumentées scientifiquement. C’est à ce prix seulement que nos pays mettront en place les bonnes lois et les bonnes politiques de lutte contre les drogues.