LA DESTINATION SÉNÉGAL EST TROP COÛTEUSE
BERNHARD KAMPMANN, AMBASSADEUR DE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D’ALLEMAGNE AU SÉNÉGAL
Bernhard Kampmann, ambassadeur de la république Fédérale d’Allemagne au Sénégal, est un diplomate de carrière qui a occupé plusieurs postes à l’étranger, notamment en Tunisie, Washington, Paris, Beijing et Brasilia, avant d’arriver au Sénégal au mois de juillet 2013. La coopération avec l’Allemagne va prendre une nouvelle tournure à partir de 2015. La Gazette a voulu en savoir plus.
La Gazette : Vous êtes au Sénégal depuis 6 mois, alors décrivez-nous un peu la coopération sénégalo-allemande.
Bernhard Kampmann : J’ai dit au Président de la République lors de la présentation de ma lettre de créance, que ma première impression était le contraste, car arrivant du Brésil où la présence économique allemande est très importante alors qu’elle est très faible au Sénégal. Par contre pour les autres volets : culturel, sociétal, fondation politique et échanges culturels, l’Allemagne est bien présente au Sénégal. Nous avons toujours été présents par des moyens de coopération au sens strict du terme.
Aujourd’hui, il y a une situation difficile en Europe. Bon nombre de pays sont en difficulté à cause de l’endettement public ou bancaire. Je crois que 2014 sera une année de sortie de crise, mais il reste le fardeau de la pression budgétaire. Malgré tout, la coopération avec le Sénégal va être maintenue pendant un bon moment. C’est ainsi que nous avons prévu une enveloppe de 57 millions d’euros pour les trois ans. Ça, c’est la coopération avec le secteur public. Mais le chantier c’est aussi le domaine privé. Nous voulons booster l’investissement privé allemand au Sénégal car le secteur privé hésite à venir. Cela peut être dû à des conditions d’investissement, d’exportation…
Mais vous n’avez pas cherché à savoir concrètement la raison ?
Si. J’ai cherché ? Mais je n’ai pas encore de réponse claire. Toutefois, il va y avoir une occasion. Africa five qui est l’association de l’entreprenariat allemand pour l’Afrique, a visité pour la première fois le Sénégal, lundi dernier, deux jours durant avec un groupe d’entrepreneurs. C’est une dynamique qui s’exprime par cette visite. Ce n’est pas un hasard si depuis 2008, un groupe d’entrepreneurs allemands prend la décision de venir. L’ambassade a toujours frappé à leur porte mais ils étaient peu intéressés. Je crois que le fait que le monde des affaires se parle, est la conséquence d’une nouvelle dynamique. On parle des possibilités en Afrique, car il y a des taux de croissances importants dans le continent. L’Afrique va à un rythme assez soutenu et c’est également vrai qu’on n’y a guère investi depuis un bon moment.
Votre prédécesseur s’est engagé dans des sujets délicats comme la Casamance. Avez-vous une idée sur l’implication de l’ambassade d’Allemagne en Casamance ?
Nous sommes aux côtés des gens en Casamance, on poursuit les projets agricoles, de renforcement des structures communales. On est préparé à de nouvelles possibilités qui peuvent découler de la réforme de la décentralisation au Sénégal, en général. Donc, là, on reste engagé pour la Casamance. Ce n’est pas par hasard que la Casamance est au Sénégal la région où j’ai fait ma première visite. Je vois la détermination du gouvernement pour trouver une solution. Notre ambassade suit avec une grande attention l’activité des différents acteurs. On accompagne les solutions mais c’est une affaire sénégalaise.
Mais vous pouvez être des facilitateurs ?
Oui et non. Oui dans le sens où, par le biais d’une de nos fondations politiques, on appuie le travail du groupe de réflexion, on est aussi financièrement engagé avec Sainte Egiddio dans un cadre plus vaste. Mais la question politique ou la solution pour le conflit, sont purement sénégalaises.
Quel sens donnez-vous à la bonne gouvernance et à la transparence ?
Je vois que ça avance très lentement. Une de nos grandes entreprises, Fraport, à un contrat depuis 2006 pour gérer le nouvel aéroport AIBD. C’était sous l’ancien régime. Le Président Sall a exprimé sa volonté de voir Fraport à jour quand l’aéroport sera prêt. Mais les détails demandent beaucoup de moyens. Depuis 2006, Fraport s’est engagé et se prépare. Cela fait huit ans que toutes les questions ne sont pas réglées. Les autres entrepreneurs allemands observent cela et se disent que cela avance lentement. Le monde est globalisé, il y a des concurrents et si les conditions sont plus faciles dans d’autres pays, les candidats s’orienteront là-bas. C’est aussi simple que cela. Je sais que le Cap Vert est un pays qui se prépare à devenir un hub pour la région et il n’est pas exclu qu’il va avancer. Jusque-là il était derrière le Sénégal, mais ils vont à grands pas ou même font des sauts dans l’avenir.
Et que conseillez-vous aux Sénégalais qui prétendent faire de leur pays également un hub ?
Je ne vais pas dévoiler dans une interview ce dont je discute avec des partenaires sénégalais. Je vous ai décrit les préoccupations qui se posent avec le gouvernement : on va entrer de plus en plus dans les détails, mais c’est ça la ligne générale.
Mais on vous demande depuis quelque temps votre réflexion par rapport à deux problématiques majeures au Sénégal, à savoir la bonne gouvernance et la transparence …
Je suis dans une situation très propice. J’arrive après un changement démocratique réussi. Je me trouve dans un Sénégal gouverné par une équipe déterminée. Ce n’est pas une question de deux ans ou deux jours. C’est comme la question de la Casamance : on connait les problèmes et on a identifié les moyens de les résoudre et je ne peux que le saluer. Je souhaite, dans l’intérêt de l’avancée économique et des conditions d’investissement, que les choses avancent le plus rapidement possible.
En 2015, l’essentiel de la coopération avec l’Allemagne va porter sur l’énergie. Pourquoi ce choix ?
Parce que cela correspond au souhait exprimé par le gouvernement du Sénégal. Le Sénégal voit dans l’énergie électrique un facteur primordial pour le bien-être des Sénégalais et pour l’accueil à un investissement étranger. Le Président Sall a exprimé le souhait de voir 20% de l’énergie électrique produite par des renouvelables solaires et surtout éoliens.
Allez-vous accompagner le Sénégal au plan touristique ?
Parmi ceux qui s’intéressent à l’investissement au Sénégal, il y a certainement le secteur touristique allemand. Dans ce domaine, je ne peux que parler du passé où il n’y avait pas, pendant la présidence de Wade, une priorité sur le secteur touristique, si bien que les conditions d’investissement ont dû être relâchées. Aujourd’hui, le facteur coût et l’introduction du visa ne sont pas favorables au tourisme. Si d’autres mesures encore plus intéressantes ne sont pas prises, le tourisme sénégalais ne se redressera pas de sitôt. Ici, il y a des facteurs qu’on doit réparer. Le Sénégal a le grand avantage d’être un pays de tourisme hivernal.
Mais il y a aussi des concurrents comme le Cap vert, les Îles Canaries et il y aura de nouveau l’Egypte, un jour. A l’exception du Cap vert tous les autres concurrents sont géographiquement plus proches de l’Allemagne. Donc, le Sénégal a une défaveur de distance, qu’il doit rattraper par d’autres avantages. Aujourd’hui, les investisseurs dans le domaine touristique me disent que les prestations ici sont trop coûteuses et que c’est très difficile. Je constate qu’il vient plus de touristes allemands en Gambie qu’au Sénégal, alors que ce n’était pas le cas il y a 10 ans. Ce qui est dommage. Donc, ici, il y a un secteur à développer.
La Centrafrique se débat pour sortir de sa crise. Quel regard jetez-vous sur une telle situation ?
Je crois que la politique allemande est en train de mettre un accent accru sur les situations en Afrique. La situation économique est avant tout sécuritaire est très importante pour nous. Nous renforçons notre engagement. Nous sommes présents au Sénégal avec notre engagement pour la Minusma dans le nord Mali. Le Sénégal abrite notre base aérienne et j’en profite pour remercier les autorités sénégalaises. Nous allons soutenir la Centrafrique avec nos forces aériennes. Nous avons participé au programme d’évacuation à Juba au sud Soudan. Nous œuvrons avec la France, car sans sécurité rien ne peut se développer.