LA DETTE DE MACKY SALL AUX ASSISES NATIONALES
Il y a plus d’un siècle et demi, un intellectuel organique français et bourgeois s’exprimait devant un docte auditoire en ces termes : «Depuis quelques temps, on parle beaucoup, et avec raison du terme… Depuis longtemps et dans beaucoup de pays, on se sert du mot de civilisation : on y attache des idées plus ou moins nettes, plus ou moins étendues, mais enfin, on s’en sert et on se comprend». (1) Au Sénégal deux termes orientent ou hantent, voire énervent, certains esprits ; régulièrement ils font la manchette de certains organes de presse ; il s’agit des Assises nationales.
De quoi les Assises sont le nom ?
Il s’agit d’une simple idée née d’un constat fait dès les premières heures d’une alternance piégée, celle de 2000. En effet certains acteurs, surtout de la société civile, principalement du milieu syndical (syndicats d’employés et d’employeurs) et des Ong ayant considéré que les premières dérives précoces du nouveau pouvoir d’alors, celui du Pds, allait conduire le Sénégal à la catastrophe, ont tenté d’appeler des Assises nationales. L’idée n’a pas prospéré, malgré les missions d’informations et de sensibilisation en direction de secteurs importants de la vie nationale. Le projet n’a pas abouti faute, entre autres raisons, de moyens financiers.
Pertinence
Il a fallu le traumatisme des élections présidentielles et législatives de 2007 pour que des partis politiques de l’opposition prennent leurs bâtons de pèlerins, avec cette fois-ci plus de réussite que les acteurs de la société civile. Résultats des courses, les Assises nationales furent ouvertes le 1er juin 2008. En définitive l’initiative de leur organisation revient à des groupes très larges de la société sénégalaise : partis politiques, organisations de la société civile (syndicats, de travailleurs, organisations patronales, organisations non gouvernementales, organisations paysannes œuvrant dans les différents domaines de la vie et de l’activité humaine), intellectuels et religieux de tous bords et de toutes confessions, personnalités diverses ayant occupé de hautes fonctions, tant civiles que militaires dans le pays et hors de celui-ci. Y ont participé des travailleurs des villes et des campagnes, des intellectuels de tous les niveaux, des entrepreneurs, aux activités les plus diverses, des notables, de toutes ethnies et de toutes confessions, des hommes et des femmes de toutes conditions et tous les âges.
Leurs initiateurs ont voulu qu’elles soient des Assises de tous les Sénégalais, de l’intérieur comme de l’extérieur, soucieux du devenir du pays, hors de toute polémique et de tout esprit partisan.
A défaut de la participation des tenants du pouvoir, et malgré les menaces et les pressions de toutes sortes, ces assises ont pu se tenir dans le calme et la sérénité sur l’ensemble du pays. Elles ont été ouvertes à tous ceux, nombreux, qui ont souhaité y participer sans discrimination aucune. (2)
Nous pouvons ajouter parmi les participants des militants du Pds non seulement dans les commissions départementales mais encore dans les commissions thématiques ; les deux principes de travail, à savoir le caractère inclusif et le mode consensuel de prise de décision, ont mis les acteurs à l’aise. Cette option s’est avérée féconde.
Fécondité
Cette fécondité se mesure par le volume et la qualité des rapports issus d’une part de la diaspora et des consultations populaires faites dans les 35 départements du pays, et d’autre part des 8 groupes thématiques. Les documents sont disponibles dans leur intégralité ou sous forme de synthèse dans les langues internationales de travail (français, anglais, arabe) et en langues nationales, donc en supports multilingues et multimédia fort appréciés. Partout la démarche a été de faire l’état des lieux des différents domaines et secteurs de la vie nationale, proposer des éléments de bilan des politiques nationales et locales, réfléchir sur les conditions de la refondation de l’Etat et des institutions et d’esquisser un projet de société partagé pour un Sénégal meilleur
Les résultats ont été restitués autour de 2 axes : le bilan des politiques publiques et du vivre en commun, de 1960 à nos jours et la stratégie de sortie de crise, de régression ou de danse sur place.
Cet élan a permis de fédérer des milliers et des milliers de Sénégalais et le premier résultat a été la victoire des parties prenantes lors des élections municipales et rurales de 2009 dans presque toutes les grandes villes du pays. Mieux encore lors de l’élection présidentielle de 2012 la victoire au deuxième tour fut acquise à Macky Sall, le candidat le mieux placé parmi ceux qui ont signé la charte de bonne gouvernance. Cette expérience bien suivie au plan international a été saluée lors du forum social mondial en Tunisie en 2013. Reste donc à jauger la mise en œuvre et surtout l’efficacité des recommandations issues des Assises nationales.
Mise en œuvre
C’est parce que les initiateurs sont convaincus que l’enfer est pavé de bonnes intentions qu’ils ont prévu de mettre en place un comité de suivi pour permettre à chacune des parties prenantes, aux citoyens et citoyennes de manière générale, de suivre et d’apprécier le respect de la charte par les personnes, organisations ou institutions qui se sont engagées. Ainsi chaque partie prenante, à quelque niveau de responsabilité ou elle se trouve impliquée, doit faire preuve d’attitudes et de comportements compatibles avec les principes, valeurs, règles et mesures contenus dans la charte. Le groupe de travail et de suivi est en place depuis un an et a évalué la pratique des acteurs, qu’ils soient dans la société civile, au sein du gouvernement, à l’Assemblée nationale.
Le président de la République a pensé utile de demander au président des Assises d’animer une commission chargée de la Reforme des Institutions, ce qui constitue un des volets des recommandations des Assises. La commission a retenu comme instruction de s’inspirer du programme Yoonu Yokkute, programme de l’alliance qui a porté la candidature du président Macky au premier et au second tour de l’élection présidentielle ; elle devra aussi tenir compte de l’avis d’autres formations politiques ou citoyennes qui n’avaient pas participé aux Assises nationales de 2008. Les membres du Groupe de travail et de suivi (Gts) des Assises accordent une égale dignité, à la gouvernance politique, économique et sociale. Ils profitent de tous les instants de la vie de la nation pour apporter éclairage et solutions pertinentes à la consolidation de la démocratie républicaine, à la solidarité nationale, au développement harmonieux et durable.
La publication, la diffusion des instruments de veille par les bras avancés (Gts) et/ou allongés (Crei) et la mise en œuvre par les poids lourds et légers des Assises nationales devaient permettre au peuple sénégalais de commencer à sortir la tête de l’eau. Un grand test à venir se trouve être les élections municipales et rurales de 2014. L’esprit des Assises qui articule diagnostic et remède, bilan et redressement, voire aménagement solidaire et rupture positive va sûrement inspirer les acteurs pour la bonne gouvernance politique, économique et socioculturelle par le bas, dans les communes et communautés rurales. Cette voie peut être pertinente, féconde et efficace.
(1) : Gizot, commenté par J. Le Goff, in La Nouvelle Histoire, 1978, pp.224-225.
(2) : Rapport général, Préface du Président Mbow
Babacar Buuba Diop, Professeur titulaire à l'UCAD, Membre du GTS des Assises nationale