LA DROGUE AU SÉNÉGAL
Mame Seydou Ndour, DG de l'OCRTIS, évoque la lutte contre le trafic de stupéfiants, les variétés de chanvre les plus prisées, le niveau de consommation, la situation en Afrique de l'Ouest...
Commissaire de police divisionnaire, Mame Seydou Ndour est porté à la tête de l’Office centrale pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) depuis juillet 2013. Il vient de boucler un an et quatre mois à la tête de cette structure, après que la police a été éclaboussée par un scandale de drogue. Il incarne celui qui va redorer le blason de la police et revient dans cette interview sur l’ampleur du trafic et de la consommation du cannabis au Sénégal et sur les efforts que ces services sont en train de mener pour freiner le fléau.
Le Témoin : Pouvez-vous nous faire l’état des lieux de la lutte contre le trafic de drogue, depuis votre prise de fonction à l’OCRTIS ?
De toute façon, vous savez les circonstances dans lesquelles je suis arrivé à la tête de cette office avec tout ce qu’il y avait comme discussion autour d’un certain problème que je n’aborderai pas. C’est dans cette circonstance-là que je suis arrivé avec la mission claire et précise de prendre les choses en main, de remettre l’Office sur les rails, rendre le travail plus qualitatif et plus transparent avec des résultats au bout notamment à travers la création d’une stratégie de lutte au plan opérationnel pour faire face au trafic de drogue au Sénégal. Je m’attèle depuis le début à remplir la mission qui m’est assignée en droite ligne avec les instructions qui m’ont été données pour parvenir à des résultats.
La police a été entachée par des faits de corruption. Maintenant, quel est le défi pour vous ?
Il s’agit de travailler, de montrer à tout le monde que la police regorge d’agents de qualité, intègres, capables de faire un travail de qualité comme on est en train de le faire jusque là. Ce n’et pas de l’autosatisfaction, mais nous avons des appréciations de nos supérieurs et de personnes qui sont complètement externes a notre activité. Le défi, c’est aussi de faire face au trafic grandissant de drogue qui est en train de sévir de plus en plus dans notre pays. De faire en sorte que toutes les structures qui sont engagées dans la lutte contre la drogue puissent travailler la main dans la main pour contrer le fléau du trafic de drogue.
Quelle disposition avez-vous prise pour réduire la corruption au sein de la police ?
La corruption au sein de la police, quand vous dites cela, c’est vaste. Je n’oserai pas m’aventurer sur ce terrain parce que je n’en sais pas grand chose. Ce que je peux vous dire c’est que nous, au sein de la police, on a mis des mécanismes qui puissent garantir la transparence de nos opérations et la légalité de nos activités. C’est clair et c’est à la base de nos actions maintenant. Je l’impose à mes agents et jusque-là, je n’ai pas eu de difficultés majeures par rapport à cela. Maintenant, pour ce qui est de la corruption, je n’ai pas noté de cas depuis que je suis à la tête de cette structure. En ce qui concerne le passé, je ne peux pas m’aventurer à dire quoi que ce soit là-dessus.
On assiste à des saisies et des incinérations. Malgré tout, le trafic prend de l’ampleur. Qu’est-ce qui l’explique ?
En fait, le trafic de drogue dans le monde actuel est lié à plusieurs phénomènes. Nous sommes dans un monde globalisé. Nous sommes dans un espace économique où la libre circulation des personnes et des biens est garanties. Les moyens de transport sont beaucoup plus importants. Les personnes bougent, les moyens de communication, permettent aux gens d’échanger et coordonner. Les autoroutes de l’information, Internet…, participent à faciliter les relations entre les individus et les relations entre les pays. Tout ceci a des conséquences, positives comme négatives.
Et parmi ces conséquences négatives, il y a le développement du trafic de drogue. Cette libre circulation explique quelque part le fait d’entrer des choses illégales à l’insu des forces de sécurité. L’autre aspect, c’est l’emprise des parents sur leurs enfants qui a beaucoup diminué et l’éducation a pris une autre tournure. Je précise que ce n’est pas spécifique au Sénégal. C’est à partir des années 1998-2000 que le trafic a connu quand même un boom dans l’Afrique de l’Ouest. Le Sénégal n’évolue pas en vase clos. Il évolue dans un ensemble, dans un monde, dans une sous-région et tout ce qui touche à cette sous-région devra forcement toucher au Sénégal.
Parlant spécifiquement du cannabis, quels sont les lieux de provenance de ce produit ?
Juste avec la dernière incinération (NDRL : 7 novembre 2014), les quantités brulées viennent des autres pays (Ghana, Nigeria et Mali). Donc ce n’est pas un problème qui est purement interne. C’est vrai qu’il y a un chanvre indien local appelé le Fogny, mais il faut dire généralement les grandes quantités que nous saisissons nous viennent des pays limitrophes.
Et le cannabis sénégalais est-il présent et prisé dans le marché sénégalais ?
Le cannabis sénégalais a un taux de Tétrahydrocannabriol (THC) assez faible par rapport au cannabis qui est importé qu’on appelle généralement Brun qui a un THC beaucoup plus important, une teneur plus importante. En se référant à ce principe, cela veut dire que le chanvre indien cultivé au Sénégal est de moindre qualité pour les consommateurs. Mais le développement du Fogny s’est expliqué ces derniers temps par les multiples saisies qui ont été opérées sur le Brun et qui a fait que certainement les trafiquants ont marqué un temps d’arrêt, un stop pour revoir leur stratégie. Ce qui a profité à la variété locale qui s’est développée dernièrement. Lors de l’avant dernière incinération par exemple, on avait noté qu’il y avait plus de Fogny que de Brun. Mais ce dernier est en phase de revenir.
Avez-vous bien ciblé les zones de culture du Fogny ?
On connaît bien les zones de culture. C’est vrai que l’accessibilité et l’identification ne sont pas toujours aisées. Mais on sait en général que le chanvre qui est produit au Sénégal vient du sud du pays généralement à la frontière gambienne et véritablement aussi vers la frontière Bissau-guinéenne.
Y a-t-il des zones de culture dans la capitale sénégalaise ?
Logiquement, c’est difficile d’admettre cela. Peut être une personne peut cultiver une plante dans sa chambre, ou quelque part ailleurs, mais des champs de cannabis quand même, il y en a pas à Dakar. A l’époque, il y avait une variété qu’on appelait le Niakoye, c’était une variété qui se cultivait dans la zone des Niayes. Mais depuis quelques décennies, on a noté la disparition de cette culture au niveau du Cap-Vert et vers la zone des Niayes au profit des cultures maraichères. Mais il peut y avoir peut-être des cas exceptionnels de culture de quelques plantes. Cela, on ne peut pas le qualifier de culture.
Peut-on dire que le Sénégal est en phase de devenir une plaque tournante du trafic et de la consommation de drogue ?
Il faut dire que les gens font beaucoup de confusion dans les notions. Le Sénégal est loin d’être une plaque tournante de la drogue. Une plaque tournante suppose beaucoup de choses comme une rencontre des cartels, des négociations… Certes la consommation de chanvre indien est très répandue au Sénégal comme presque dans tous les autres pays en Afrique de l’Ouest et ailleurs dans le monde. Le cannabis est la drogue la plus consommée partout dans le monde. Et une partie de la jeunesse sénégalaise est vraiment portée vers la consommation de cette drogue. Mais en dépit des saisies que nous faisons, cela ne fait nullement du Sénégal une plaque tournante de la drogue.
Par contre, ce qu’on peut dire à l’instar des autres pays ouest-africain, c’est que le Sénégal est une zone de transit de la drogue. Non seulement, c’est une zone de transit, mais on peut dire que c’est une zone de transit privilégié du trafic de drogue. Cela s’explique par sa position géographique, ses bons réseaux téléphoniques, son port compétitif, sa stabilité politique, un bon système d’échange partout, et également la fameuse Téranga sénégalaise. Tout ceci explique que le Sénégal est très prisé par les trafiquants. Mais cela n’en fait pas du tout une plaque tournante de la drogue. Les saisies que nous faisons, si vous comparez cela aux saisies que l’on concède dans certains pays comme le Maroc le Nigeria, ce serait dommage de penser que le Sénégal est une plaque tournante. Loin s’en faut.
Comment apprécier-vous le commerce interne de cannabis ?
En ce qui concerne le trafic de l’intérieur, il faut dire qu’à la suite de l’adoption de la "loi Latif Gueye" et le fameux Code des drogues, les peines qui sont appliquées aux trafiquants ont découragé pas mal de personnes. Le trafic, du point de vue du nombre de réseau, est resté stable.
Par contre, ce qui est difficile à quantifier, c’est le nombre de consommateurs. Par le jeu des interpellations et des arrestations, il faut reconnaitre qu’il y a beaucoup de fumeurs de chanvre indien. Il faut être honnête et le reconnaitre. Ce qui nous inquiète par ailleurs, c’est la féminisation du phénomène. On trouve de plus en en plus de dames impliquées dans le trafic de drogue, notamment la cocaïne et le chanvre indien. Le mois de septembre dernier, on a arrêté une femme commerçante qui faisait la navette entre Dakar et Bamako et qui avait dissimulé dans ses bagages pas mal de quantités de cette drogue qu’on appelle Brun qui nous vient du Mali.