LA FAUTE À LA XÉNOPHOBIE ET AU RACISME
20 SÉNÉGALAIS DE L'ÉTRANGER TUÉS DEPUIS 2011
La série de meurtres des ressortissants sénégalais à l’étranger donne froid au dos. Ce sont plus de 20 Sénégalais qui ont été tués depuis 2011 entre le Maroc, l’Italie, l’Espagne, les Usa, le Gabon, la Grèce... De l’avis de bon nombres de chercheurs, la xénophobie et le racisme entretenus dans certains pays arabes et en Occident constituent la source du mal.
La mort, en série, de compatriotes sénégalais vivant à l’étranger inquiète au plus haut niveau. Avant-hier, Fodé Diouf, qui vit avec ses parents en Côte d’ivoire, a été froidement abattu par un policier ivoirien pour "une histoire de cœur."
Quelques jours auparavant, Charles Ndour était "égorgé" au Maroc notamment à Tanger, une zone de transit, au nord du Royaume chérifien. C’était lors d’affrontements entre migrants africains et résidents marocains. Deux Camerounais ont aussi perdu la vie. Son cas rappelle tristement l’assassinat, en août 2013, d’un jeune Sénégalais dans un bus, à Rabat. Il a été poignardé pour avoir refusé de céder sa place à un Marocain qui l’aurait contraint à le faire. Il succombe à ses blessures le lendemain.
Des décès qui assombrissent le tableau déjà noir des assassinats de ressortissants sénégalais à l’étranger. Que ce soit en Europe, en Asie, en Afrique, au Maghreb et ailleurs dans le monde, les assassinats s’enchaînent. Des critiques véhémentes sont formulées à l’encontre des pays d’accueil sans que des mesures de représailles ne soient toujours prises.
"Tous des immigrants travailleurs"
Pour des experts, le compte à rebours s’est accéléré depuis 2009. Des Sénégalais, en particulier, des travailleurs immigrants ou des compatriotes en situation irrégulière, se retrouvent dans le viseur d’agresseurs qui semblent vouer une haine viscérale à cette catégorie d’étrangers.
En novembre 2009, deux jeunes Sénégalais, à l’avenir prometteur, en l’occurrence Mohamed Diop et Baba Ndiaye, fils respectifs d’Aïcha Thiam, permanente de l’Afp et de Khoudia Kholle du Pds, sont tués à Washington. Ils étaient dans la même voiture que leur bourreau.
L’assassinat de Pape Khaly Ndiaye, fils du ministre de l’Elevage, Aminata Mbengue Ndiaye aux EtatsUnis marque encore les esprits.
En Italie, en Grèce, en Espagne, entre autres....
Le 13 décembre 2011, en Italie, un militant d'extrême droite, Gianluca Casseri, originaire d'un village près de Pistoia (Toscane), tue froidement deux vendeurs ambulants sénégalais Mor Diop et Modou Samb, à Florence. Ils ne sont pas les seules victimes. Trois autres ont été gravement blessés. L’auteur du crime a préféré mettre fin à ses jours.
Réputée calme, la Grèce a connu son massacre d’étrangers "encombrants". La date du 2 février 2013 est, à cet effet, encore fraiche dans les mémoires.
Lors d’une vaste opération dite de salubrité publique, la police municipale s’était décidée à "supprimer les immigrants de la rue, qui travaillent comme vendeurs ambulants". Tentant de se sauver, le jeune Sénégalais de 37 ans, Cheikh Ndiaye, tombe lors d’une course-poursuite, sur les rails du métro à la station Thiseio. Il ne se relèvera jamais.
L’Espagne, terre d’accueil d’un nombre impressionnant de Sénégalais, connaît aussi sa série noire. Le 25 février 2013, un immigré sénégalais est tué par des policiers espagnols. L’homme qui disposait d’une réputation de travailleur discipliné était sous décret d’expulsion malgré 7 ans passés dans la ville d’Almérie en Andalousie. Il n’avait ni permis de résidence ni contrat de travail officiel.
Non loin de chez nous, au Gabon plus précisément, la découverte sans vie d’un corps d’un ressortissant sénégalais au mois de mars 2014, dans sa boutique, a indigné plus d’un. Les circonstances du décès de Mamadou Diaw, originaire de Koungueul, ont laissé croire à un assassinat simulé à un suicide.
Un mois plus tard, le 9 avril précisément, Cheikh Amadou Tidiane BA, 36 ans, allonge la liste macabre. Il a eu à faire les frais de cambrioleurs qui l’ont ligoté avant de lui asséner des coups de marteau sur la tête. Une mort atroce qui a semé l’effroi au niveau de la communauté sénégalaise établie au Gabon.
Des causes multiples.....
Si les assassinats de compatriotes sénégalais ont pris l’ascenseur, un peu partout dans le monde, pour le directeur d’Amnesty International, Seydi Gassama, il faut mettre la pédale douce et éviter des conclusions hâtives.
Et pour cause, les Sénégalais ne sont pas spécifiquement ciblés dans ces attaques infondées. "Ce sont généralement les travailleurs immigrés qui sont ciblés de manière générale aussi bien en Amérique, en Europe qu’ailleurs."
Le Maghreb garde une certaine spécificité, selon des acteurs, dans la mesure où la situation irrégulière des sub-sahariens ravive toujours des tensions entre les différentes communautés. Seydi Gassama accrédite, comme d’autres, l’idée selon laquelle la xénophobie et le racisme entretenus dans certains pays arabes et en Occident constituent la source du mal.
Mais pour des Sénégalais établis au Maroc et en Espagne, par exemple, les causes sont diverses : "Tanger est une zone dangereuse". "Des Sénégalais, membres de réseaux mafieux, se lancent dans des activités illicites à leurs risques et périls". Mais précise, Seydi Gassama, "la majorité de nos compatriotes sont sérieux, travailleurs et disciplinés. Ils sont très respectés à l’extérieur."
Aux yeux d’autres intellectuels : le racisme infondé du 21ème siècle huile cette machine à fabriquer rejet et méfiance envers les immigrants. Les Européens craignent de plus en plus la perte de l’identité européenne face à l’avancée de l’émigration. Ils avalisent, du coup, les discours virulents et racistes de l’extrême droite.
Seydi Gassama confirme : "cette violence est le résultat d’un discours politique raciste et provocateur alimenté par le mouvement d’extrême droite, au nom de la liberté d’expression." Boubacar Sèye, de l’Ong Horizon sans frontière, ne dit pas autre chose : " L’absence de protection en matière de droit international, l’inexistence d’une juridiction pour condamner les méfaits de l’immigration, la crise économique, encouragent, entre autres, cette nouvelle tendance."
Par ailleurs, si le développement fulgurant des mouvements xénophobes qui gagnent de l’espace en Grande Bretagne, en Allemagne et un peu partout en Europe risquent d’envenimer la situation, pour les différents acteurs, il urge dès lors, pour "les pays africains, de traîner les pays européens devant les juridictions de justice internationale.
Et pour cause, ajoute Seydi Gassama, "il existe une convention des Nations unies sur les droits des travailleurs immigrants qui n’a pas été ratifiée par des pays européens. D’autres ne l’appliquent pas et nos états africains n’ont jamais traîné ces pays européens devant les Nations unies."