LA FAUTE À QUI ?
INFLATION DE LISTES AUX LOCALES
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Si des organisations de la société civile appellent au cautionnement et au parrainage, elles n'en soulignent pas moins la responsabilité de l'Etat, coupable de ne pas avoir anticipé l'émergence de nouveaux acteurs sur le terrain politique.
La proposition du ministre de l'Intérieur visant à imposer aux partis politiques un cautionnement ou un parrainage avant toute participation aux élections locales est diversement appréciée par les organisations de la société civile. Selon le président du Comité de veille et de suivi du fichier électoral, il est anormal que les partis politiques soient dispensés du financement des élections. “Je partage l'avis du ministre, c'est-à-dire imposer un partage du coût de l'élection”, a-t-il déclaré hier à EnQuête. Pour Mazide Ndiaye, “si chaque liste payait 60 à 70% du coût de sa participation électorale, ce serait mieux”. Ce qui suppose que les formations politiques n'ayant pas “les moyens de collecter assez de fonds” à cet effet sont mises hors jeu. La philosophie est simple, a ajouté Mazide Ndiaye, “l'État ne peut continuer à utiliser les ressources publiques pour financer les activités électorales. 15 milliards de francs Cfa pour subventionner des listes qui, parfois, ne vont rien gagner, c'est inacceptable”.
“Compétition débridée à l'Apr et à BBY...”
En écho, le président du Conseil des organisations non gouvernementales d'appui au développement (CONGAD) estime que “la participation financière des partis politiques à l'organisation des élections doit être définie par les différents acteurs”. Selon Amacodou Diouf, “même le principe de remboursement de la caution aux partis politiques qui atteignent un certain pourcentage à la présidentielle ne résout pas la question de la péréquation sur le financement des élections.” Cependant, note Me Mame Adama Guèye, animateur de l'initiative “Ci laa bokk” qui visait à faire accepter les listes indépendantes aux scrutins locaux du 29 juin, “c'est l'inflation des partis politiques qui a créé cette situation alors qu'on craignait d'ouvrir la porte aux indépendants.”
“On a des problèmes au niveau du respect des droits des citoyens en matière de constitution d'association ou de parti politique. Outre la multiplicité de partis politiques au Sénégal, il y a le fait que ceux-ci ne maîtrisent pas toujours leurs différentes bases”, renchérit Mazide Ndiaye. D'ailleurs, “c'est cela qui fait que chaque militant est libre de changer de parti quand il veut pour peu qu'il n'a pas obtenu le privilège qu'il souhaite dans le parti.”
A cela, une ou des raisons : “Si les partis n'ont pas une prise sur leurs militants, c'est parce qu'ils ne les forment pas ou il n'y pas un accord concret sur une idéologie ou sur un programme précis”. De plus, “aucun parti n'a un programme local”. Conséquences: “il y a un émiettement des partis politiques ou des listes sans compter que la compétition au sein de BBY et au sein de l'APR augmente la multiplicité des listes”, souligne Mazide Ndiaye.
“Si l'Etat nous avait écouté...”
Pour régler définitivement le problème avant les locales, indique Me Guèye, “il fallait juste que l'État prenne la responsabilité d'imposer, comme c'est le cas déjà pour les élections présidentielle et législatives, la preuve d'un minimum de représentativité pour tous les candidats indépendants comme pour les partis politiques”.
Cette solution aurait permis de “régler la question de la non discrimination et (de) s'ajuster par rapport aux engagements internationaux auxquels le Sénégal a souscrit et par rapport aux principes constitutionnels permettant à tous les citoyens de participer à la gestion des affaires publiques...”
Pour être concret, l'avocat d'affaires avance : “Si on avait dit quand dans telle localité de 5 à 10 mille habitants, il faut amener 500 signatures d'électeurs pour être candidat, on n'aurait pas eu cette inflation.” Au fond, l'Etat a une grosse part de responsabilité, celle de “n'avoir pas voulu tenir compte d'une dynamique qui est irréversible, le fait qu'il y a de nouveaux acteurs qui ont voulu se présenter et qui en ont été empêchés”.
Le résultat des courses aura été manifestement négatif : “'Empêchés, ces nouveaux acteurs ont pu utiliser les récépissés de tous les partis dormants”, se désole-t-il. Regret : “Si l'État nous avait assez écouté en mettant en place la proposition que nous avions faite lors de la revue du Code électoral, on n'en serait pas la.”
Les partis politiques divisés
Du côté des politiques, l'on entend divers sons de cloches. Les propositions sont saluées par Zator Mbaye, député de l'Alliance des forces de progrès (AFP) car “la plupart des listes sont fantaisistes”. “Les 15 milliards prévus pour les élections auraient pu servir à construire des hôpitaux ou des écoles”, déclare-t-il. Un avis relayé par Benoît Sambou, responsable électoral de l'Alliance pour la république (APR).
“Ces élections locales ont démontré qu'il y a un véritable abus. Elles coûtent excessivement chères pour l'Etat alors qu'on aurait pu injecter cet argent dans des infrastructures sociales. Comme pays sous-développé, nous ne pouvons nous payer le luxe d'une telle dépense. Ce n'est pas juste et ce n'est pas tenable.”
“Si le Président a des fonds politiques de 40 milliards en cinq ans...”
Mais pour Thierno Bocoum, chargé de communication de Rewmi, “la démocratie n'a pas de prix”, le jeu en valant la chandelle. “Si on concède au président de la République 8 milliards par an (en guise de fonds politiques) soit 40 milliards de francs Cfa en cinq ans, on peut valablement dépenser 15 milliards pour organiser les élections locales”, raisonne le député de l'opposition. Qui est sur la même longueur d'onde que Farba Senghor, le monsieur “propagande” du Parti démocratique sénégalais (PDS).
“La floraison des listes ne dépend pas des partis”, dit-il, mais répond plutôt a un “droit”. “Il est possible dans chaque cellule (de parti politique) de dresser une liste. Chaque citoyen a le droit de se constituer en parti politique. Il suffit juste que la coalition soit parrainée par un parti pour que sa liste passe”, explique l'ancien ministre de Wade. “De deux choses l'une : soit la liberté n'est pas encadrée, soit l'encadrement concerne uniquement les partis politiques”.
“Doudou Issa Niasse pointe “l'indiscipline” de l'APR
Quoi qu'il en soit, le député-maire de Biscuiterie, Doudou Issa Niasse, pense que la faute incombe au parti au pouvoir, “l'APR, qui a gâté les élections avec les listes parallèles”. “Il doit y avoir une certaine discipline au niveau des partis. Il ne faut pas que quelqu'un utilise son parti pour n'importe quoi”, fait remarquer le responsable socialiste.
“Un faux-débat”
Si Zator Mbaye propose un cautionnement pour les locales en “faisant contribuer les candidats aux dépenses”, Doudou Issa Niasse s'en écarte car “cela ne résoudrait pas le problème.” “Quelle que soit la caution fixée (par l'Etat), les gens trouveront toujours les moyens pour se présenter”, dit-il. Alors, les pistes de solution s'enchaînent contre ce “flou total”. “Que l'on autorise uniquement les partis politiques (légalement constitués) à participer aux élections locales. S'ils n'obtiennent pas 5%, on les élimine”, avance Doudou Issa Niasse.
En plus de la caution, il faut exiger la participation des formations politiques aux élections “au moins deux fois” sous peine de leur retirer le récépissé, lâche Benoît Sambou. Quant à Thierno Bocoum, il est d'avis que l'Etat aurait pu éviter cette situation s'il avait mis en œuvre la réforme des institutions proposée par le président Amadou Moctar Mbow et Cie dans leur rapport.
Cependant, pour Moctar Sourang, président de l'Union nationale patriotique (UNP), cette question de la floraison des partis “est un faux débat.” Au contraire, “cette inflation de listes est tout à fait normale avec les réformes de l'acte 3 de la décentralisation qui consacre la communalisation intégrale, et un nombre de communes en hausse.”
A la Commission électorale nationale autonome (CENA), on se veut prudent. “C'est un peu compliqué. On attend que le ministre (de l'Intérieur) précise les contours de sa déclaration”, confie le chargé de la communication, Issa Sall.