A LA FIN, LES IVOIRIENS NE GAGNENT PAS TOUJOURS
La télévision sénégalaise n’existait pas encore. Par la suite, le sport international s’y résumait à la rubrique «Buts étrangers» (c’est-à-dire… ailleurs qu’en France) du Journal télévisé et à Football en Allemagne. Une sorte de série où Gerd Muller marquait toujours, mais où le pied gauche d’Overath était un délice et la vista de Paul Breitner incommensurable. En tout, on avait droit à quelque 50 minutes de foot par semaine. De quoi faire sourire face à l’explosion planétaire d’aujourd’hui.
Dans ces années 1970, quand certaines grandes équipes africaines, avec des joueurs de dimension exceptionnelle, devaient rencontrer les «Lions» ou une formation locale, on n’avait que des journaux, des échos des reportages radiophoniques et la rumeur, pour nourrir les imaginaires. Certains noms étaient alors immenses, avec une aura quasi légendaire qui circulait d’un bout à l’autre de l’Afrique. Ils étaient les Yaya Touré, Drogba, Gervinho et autres Kalou d’aujourd’hui.
Ces Ivoiriens-ci, on a l’habitude de passer les samedis et dimanches après-midis avec eux, sur les terrains d’Angleterre et d’ailleurs. Rien n’est mystère dans leur talent et leur ordre de grandeur. On les connaît parfois mieux qu’on en sait sur les «Lions». Hier, par contre, un «grand joueur» n’était qu’un nom et parfois une légende vivante. Tout le reste était mystère.
Mais en ce temps, à Demba Diop, dans cette enceinte délabrée qui fait aujourd’hui peine à voir, on n’avait peur de rien. La crainte nerveuse qui monte dans l’attente de l’armada ivoirienne se vivait naguère dans une ambiance de défi déterminé. Qu’importe le visiteur, la confiance était paroxystique.
Les temps ont bien changé. Peut-être que le fait de ne connaître les monstres sacrés de l’époque qu’à travers des échos, sans les avoir jamais vus, empêchait de nourrir la peur diffuse qui se développe actuellement autour de certains Ivoiriens. Normal. Aujourd’hui, les équivalences et les inégalités s’exposent à l’envi à travers le tube cathodique et prédéterminent, dans le mental des uns et des autres, la réalité du terrain. Parfois de manière abusive.
Mais il demeure certain que les talents locaux qui pouvaient nourrir les confiances les plus absolues hier et relever les défis les plus hypothétiques ne sont plus.
Un jour de 1972, la sélection africaine, qui devait participer à un mini-tournoi mondial au Brésil, se préparait à Demba Diop, sous la direction du Ghanéen Gyamfi. On était parti s’extasier devant les Petit Sory, Jean-Pierre Tokoto, John Eshun, François Mpelé. C’est Edouard Gnaccadia (sélectionné avec Louis Gomis) qu’on a vu rattraper Malick Jabir (une légende de l’époque) à la course, lui piquer le ballon, le dribbler, perdre le ballon, le récupérer, dribbler une seconde fois le Ghanéen et relancer.
On garde aussi des souvenirs exquis de ce Sénégal-Zaïre de 1975. Champions d’Afrique en titre, les Zaïrois rentraient aussi du Mondial-74. L’équipe avait certes changé (Kazadi n’était plus dans les buts, Kakako était parti à Saint-Etienne, etc.), mais le nom était immense. N’empêche, on chantait à tue-tête dans le virage «Christophe bo maye», sur l’air du «Ali bo maye» (Ali tue-le) qui avait rythmé l’exécution de Foreman, un a plus tôt, à Kinshasa, par «le plus grand». Les «Lions» avaient sorti un match féérique sous les projecteurs de Demba Diop, avec un Oumar Diallo (Gorée) intenable sur le flanc droit.
C’est avec la même impatience d’en découdre qu’on attendait les gardiens togolais Tommy Sylvestre et congolais Maxime Matsima. De même, l’équipe-type de Monaco n’en est pas revenue de s’être fait massacrer par la Ja (3-0) avec un Koto intenable, comme d’autres grosses têtes se sont fait raser le crâne à Demba Diop.
Bien sûr, la tondeuse ne marchait pas à tous les coups. Certains cadors sont venus excellents à Dakar, pour repartir plus impériaux encore. Qu’ils fussent Guinéens, Maliens, Ivoiriens ou Maghrébins, etc. Un certain Paul Moukila du Cara de Brazzaville (4-1 contre la Ja) fut une perle qui n’avait rien perdu de son éclat à Dakar.
Avec les Ivoiriens, on verra. Mais l’intérêt d’un match est dans le défi qu’il représente. Par l’enjeu et par l’importance de l’adversité, mais aussi par la manière dont on l’assume. Fort en soi, tout en respectueux du challenge, c’est le début du chemin vers la lumière.
Les «Lions» seront face aux «Eléphants», mais c’est contre eux-mêmes d’abord qu’ils ont un match à jouer. Gervinho (voir page 8), Yaya Touré (Waa Sports du mercredi) ou Drogba (voir l’édition d’hier)… respect ! La force d’une identité comme la leur, c’est d’être remarquable. Mais il y a la grandeur d’un collectif qui est d’être soudé et généreux l’un pour l’autre. De croire en soi. C’est le salut pour l’équipe nationale.
On peut évacuer les peurs et se montrer plein de défis, comme on savait l’être naguère. Il reste qu’on peut difficilement s’ôter d’un doute. Il réside dans la capacité des «Lions» à porter l’événement. Pour une équipe qui n’a pas pu se qualifier à la dernière Can, se retrouver brutalement au seuil d’une Coupe du monde peut être d’un effet inhibiteur. Mais pour aller au Brésil comme pour gagner un billet Terre - Lune, un match de foot reste toujours un match de foot. A la fin, ce ne sont pas toujours les Ivoiriens qui gagnent.