LA FOI ET LES MONTAGNES
On ne joue pas les sombres augures. Mais au moment où l’As Pikine et Ngor s’engagent dans ce parcours qui n’a souvent été qu’une vallée des larmes pour le football sénégalais, les vœux qui les accompagnent ne pèsent d’aucun poids de certitude
Ces échecs sont ceux qu’on pleure le moins. Quand les "Lions" sèment le deuil à une cadence biennale, cumulant les désastres à la Can tous les deux ans, les clubs, eux, vont au martyre tous les ans. Quand il faut pleurer sur le temps des gloires perdues, on ne pense qu’aux "Lions" de 2002. Mais on peut aussi pousser un soupir en se souvenant de la Jeanne d’Arc de 2004, dernière équipe sénégalaise à avoir arpenté les chemins du bonheur en compétition africaine avec une demi-finale de Ligue des champions.
Ainsi, depuis dix ans les calamités se sont succédées et aucune équipe sénégalaise n’a pu accéder aux phases de poules de Ligue des champions ou de Coupe de la Confédération africaine de football. Mais ce n’est pas le genre de désastre à susciter une indignation nationale, à faire bouillir de rage ou à soulever le débat d’une "reconstruction".
Ce qui s’ensuit n’est qu’acceptation d’un échec cyclique que personne ne pleure, sur lequel on ne s’interroge pratiquement plus et que chaque club victime gère comme une douleur muette. En attendant le prochain qui va expier des péchés du football sénégalais.
On ne joue pas les sombres augures. Mais au moment où l’As Pikine et l’Olympique de Ngor s’engagent dans ce parcours qui n’a souvent été qu’une vallée des larmes pour le football sénégalais, les vœux qui les accompagnent ne pèsent d’aucun poids de certitude. Représentantes du football sénégalais, elles font penser à ces migrants qui affrontent l’immensité de l’océan dans des embarcations de fortune, avec une boussole mal aimantée et un baromètre défectueux, à la recherche de rivages qu’ils n’ont jamais connus. Les flots en ont englouti des milliers, le flux ne cesse de s’alimenter de tous ceux qui portent le rêve des vaines espérances.
Pikine et Ngor ne sont guère plus habilitées que d’autres équipes sénégalaises pour qui, d’hier à jadis, les expéditions africaines n’ont été que des aventures sans lendemain. Cela ne les condamne pas à être des victimes expiatoires. Elles partent simplement avec des présomptions d’incapacité qui les dépassent et forgent leurs destins dans ce qui fait la réalité structurelle du football sénégalais.
Sept années de "professionnalisme" n’ont pas encore posé les jalons d’une rupture décisive. Dans le cadre global de son organisation et de sa mise en œuvre par les clubs, on n’a pas encore atteint le point du non-retour. La précarité est telle que rien ne se dessine comme une marche en avant irréversible.
Les défis sont énormes. Quand on parle de construction à la base pour dessiner les sentiers d’une véritable émergence du football sénégalais, il ne s’agit pas seulement d’aller couver les bambins, les accompagner vers la maturité et les porter à l’excellence. C’est un travail qui va de pair avec la consolidation du cadre d’expression des clubs.
Rien de solide et de pérenne ne peut sortir du magma informel qu’on note dans la plupart des équipes, sans structuration, ni administration digne de ce nom. Ceux qui font un effort vers le haut, ne pouvant hisser la lourde charge qui les leste, finiront par retomber dans la masse sous la contrainte des forces contraires. Les énergies et les ressources n’étant pas inépuisables, ceux qui se nourrissent d’un idéal de bâtisseurs finiront par entrer dans la logique de rentabilisation immédiate qui pousse à gérer les clubs comme des poulaillers : couver, faire éclore, vendre. La notion de durée n’existe plus et la vision ne dépasse pas le très court terme.
Mettre dix ans à faire émerger un grand club, suivant les processus qu’on a vus s’imposer en Afrique, notamment avec le Tp Mazembe, est ici une chimère. Voir des entités tourner le dos à la formation pour fonder leurs perspectives sur les transferts et la spéculation, ne peut être gage d’un avenir maitrisé.
Le pire, dans le football sénégalais, n’est pas l’échec des "Lions". L’indice Fifa est l’illusion d’une puissance factice qui n’a rien à voir avec les sombres réalités du cru. Si les "Lions" sont 6e africains dans le classement Fifa annoncé hier, la première équipe sénégalaise dans le classement Caf des plus grands clubs, établi en décembre dernier, est 102e. Il s’agit du Jaraaf. Entre les "Vert-Blanc" (80 pt) et Al Ahly d’Egypte (2 096 pt), l’énorme fossé est rempli d’équipes dont les noms sont parfois prestigieux, mais souvent anecdotiques, représentant des pays qu’on prendrait aisément pour des charlots dans la bonne suffisance sénégalaise.
C’est contre cette réalité que l’As Pikine et l’Olympique de Ngor vont devoir lutter. L’une contre l’Etoile Filante de Ouagadougou, l’autre contre l’Union sportive Haut Nkam du Cameroun. Elles ont la foi, mais c’est juste une image que de dire que la foi peut soulever des montagnes.