LA FRANCOPHONIE, UN ERSATZ DE LA FRANCE-A-FRIC?
Chez plusieurs intellectuels africains, la Francophonie est une institution culturelle pour perpétuer l’impérialisme économique de la France par rapport à ses ex-colonies et pérenniser la Françafrique
Abdou Diouf a reçu un torrent de félicitations de la part du président français François Hollande et des autres chefs d’Etats ou de gouvernements présents au 15e sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) à Dakar. Et le point d’orgue a été l’attribution du nom d’Abdou Diouf au Centre international de conférence de Diamniado.
Mais ces félicitations sont l’arbre qui cache la forêt de ces millions de francophones qui ne reconnaissent pas l’utilité de cette institution qui polarise 57 Etats membres et 20 pays observateurs et 274 millions locuteurs.
Au moment où la Françafrique foccartiste est désuète, la Francophonie ne serait-elle pas l’ersatz institutionnel pour pérenniser un système d’exploitation tutélaire sous le masque des valeurs qu’elle prône faussement ?
France, Suisse et Canada : les décideurs de la Francophonie
La suprématie de la France, de la Suisse et du Canada sur les autres pays de la Francophonie est une réalité. La meilleure preuve est l’élection du Secrétaire général de la Francophonie qui se fait chaque fois avec l’onction de la France.
Même si François Hollande avait déclaré avant le sommet de Dakar que son pays n’a pas de candidat, il demeure qu’il avait clamé sa préférence pour Michaëlle Jean du Canada. Même Abdou Diouf avait été imposé par Jacques Chirac.
Et son troisième mandat à la tête de l’institution francophone par Nicolas Sarkozy. En sus, la chaine française africaine TV5 ne diffuse que les journaux télévisés de ces trois pays. Pas un seul d’un pays francophone de l’Afrique ou de l’Asie alors que ces deux continents polarisent l’essentiel des locuteurs du français.
Lancée dans la foulée de la décolonisation par le quatuor de présidents à savoir le Cambodgien Norodom Sihanouk, le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, le Tunisien Habib Bourguiba et le Nigérien Hamani Diori, la Francophonie s’est fixée pour objectif d’aider les pays membres à l’instauration de la démocratie, de favoriser la paix, de soutenir les droits de l’homme, d’œuvrer au dialogue des cultures, de renforcer la coopération en vue de favoriser l’essor économique.
Le président François Hollande, lors de son allocution, a mis en garde ces chefs d’Etat qui seraient tentés de tripatouiller leur Constitution pour prolonger leur vie présidentielle. Mais paradoxalement, beaucoup des chefs d’Etat qui y ont toujours pris part à cette grand-messe rament à contre-courant des valeurs édictées par l’institution francophone.
Il s’agit de ces présidents à vie, ces potentats voleurs éternels de suffrages démocratiques, ces pilleurs de deniers publics, des torpilleurs de la liberté d’expression, des assassins lâches d’adversaires politiques. La Francophonie, c’est une Françafrique bis mais avec un visage plus humain parce sortant des officines de la politique occulte et fétide pour se revêtir de parures dorées de valeurs universelles.
Mais il serait illusoire de vouloir faire croire à nos peuples que les valeurs sus-évoquées sont congénitales à la seule langue française. Et ce serait reconnaitre que nos pauvres idiomes ne véhiculent qu’une culture d’anti-valeurs qui nous rend complexes quand nous nous y exprimons.
Aujourd’hui on tombe en extase devant quelqu’un qui parle avec maîtrise la langue de Molière, et l’on se gausserait de celui qui s’exprime avec maestria la langue de Kocc. Culturellement, la Francophonie promeut seulement la langue française, étouffe et tue les langues négro-africaines au quotidien.
Jusqu’à aujourd’hui, au Sénégal, il est formellement interdit de parler sa langue maternelle dans beaucoup d’écoles surtout dans les privés catholiques. Souvent le délit de parler une langue indigène est sévèrement réprimandé.
Qui ne se rappelle dans nos écoles cet objet répugnant appelé « symbole » qui nous imposait de parler la langue française mais que tous les élèves fuyaient pour éviter d’être le dernier à le détenir à la fin des cours de l’après-midi ? Cela était synonyme de plusieurs coups de martinet le lendemain avant le début des enseignements.
Pourtant nous n’avions pas tort de parler notre langue qui nous a servi de vecteur de communication avec la société depuis notre naissance jusqu’à notre date d’entrée à l’école des Toubabs.
Et voilà, on nous sèvre brutalement de notre instrument de communication, on coupe notre cordon ombilical linguistique sans aménager des passerelles vers une langue extra-muros. Et cette langue d’ailleurs fonctionne comme un logiciel dont le seul but est de formater nos frêles cerveaux pour laisser place à un nouveau système qui nous connecterait au serveur linguistique des Toubabs.
Finalement cette langue des rois (comparativement à l’espagnol qu’on qualifiait de la langue des dieux, l’italien la langue des femmes, l’anglais la langue des chevaux et l’allemand la langue des fauves) nous éloigne de notre propre histoire, de nos pures réalités et nous transportent dans un monde d’illusions que nous divinisons.
Le français : une langue en déclin
En France, il n’y a aucune chaire des langues africaines dans les universités et instituts. Et pour montrer tout le mépris voué à nos idiomes, elle s’est tournée vers l’Angleterre pour un effort de bilinguisation français-anglais.
En retour le Royaume-Uni minimise l’importance du français dans l’univers linguistique mondial. Chris Bryant, ancien Secrétaire d'État britannique aux Affaires européennes sous le gouvernement travailliste de Gordon Brown n’a-t-elle pas qualifié la langue française d’«inutile» en expliquant que le chinois et l’arabe étaient des langues plus importantes aujourd’hui ?
Dans la même foulée, un éditorialiste américain du nom de John McWhorter s’est demandé, en 2010, dans le bimensuel The New Republic, pourquoi «parmi 6.000 langues existantes, il serait si important d'apprendre celle qui est parlée dans un petit pays européen à l'influence en déclin constant».
Même l’Université publique Suny-Albany, de la capitale de l'Etat de New York, a procédé à des coupes budgétaires dans les départements de langues étrangères notamment celui du français. Et John McWhorter de conclure que «s’il n’y a pas assez d’argent pour bien enseigner à la fois l’arabe et la langue de Stendhal, je ne vois pas pourquoi Stendhal devrait être celui qui l’emporte».
La Francophonie a reçu son plus grand camouflet à la veille de la tenue du sommet de Montreux en octobre 2010 quand le Rwanda, pour des raisons géopolitiques et géostratégiques, a décidé de tourner le dos à la langue française pour adopter l’anglais avant de demander son adhésion au Commonwealth.
Le président Paul Kagamé a déclaré que pour des problèmes de développement «il donnait la priorité à la langue qui rendra leurs enfants plus compétents et qui servira leur vision de développement du pays».
Chez plusieurs intellectuels africains, la Francophonie est une institution culturelle pour perpétuer l’impérialisme économique de la France par rapport à ses ex-colonies et pérenniser la Françafrique même si le vocable est biffé du dictionnaire de la diplomatie souterraine française.
Elle est plus une affaire institutionnelle entre chefs d’Etat qu’une réelle prise en charge des préoccupations des peuples. Aussi, manque-t-elle cruellement de grands projets qui susciteraient l’adhésion des populations ayant en partage l’usage commun de la langue française.
Ainsi certains spécialistes de la communication ont constaté que l’attractivité de la Francophonie recule en Afrique du fait de la politique sévère d’immigration des autorités françaises. On ne peut pas parler de Francophonie si l’Hexagone ferme ses frontières aux pays usagers de la langue française pour favoriser les déplacements et les échanges.
C’est pourquoi, chez les intellectuels, les difficultés pour obtenir le visa les poussent de plus en plus à se tourner vers les universités américaines ou canadiennes.
La France qui a réduit drastiquement sa politique d’aide au développement en direction des pays francophones africains a beaucoup poussé plusieurs pays à se détourner d’elle et à développer d’autres axes de coopération économique avec des géants comme la Chine ou les Etats-Unis.
Xavier Darcos, l’ex-ministre français de la Coopération, du Développement et de la Francophonie sous le régime de Nicolas Sarkozy confiait à un journal français que «l’attractivité de l’Amérique du Nord est liée à des aides et à des formes d’accueil très généreuses. En ce domaine, c’est vrai, la France semble à la traîne. Une révision drastique de notre politique est sans doute nécessaire.»
Si la France se ferme ses frontières aux pays francophones et rend difficile ses procédures d’obtention du visa au point que de plus en plus les intellectuels se détournent des écoles et universités françaises, si un pays comme le Rwanda adopte l’anglais au détriment du français, si l’Algérie avec ses 16 millions de locuteurs français refuse d’intégrer l’institution, si certains militants des droits de l’homme l’accusent de jamais parvenir comme le Commonwealth à avoir le courage d’exclure des Etats membres pour non respect des droits humains, il y a de quoi se poser des questions sur la véritable mission de la Francophonie si ce n’est pas un duplicata de la France-à-fric.