LA GALÈRE DES PASSAGERS SÉNÉGALAIS
TRAVERSEE DU FLEUVE GAMBIE

Le bac de Farafeny, qui assure la traversée du fleuve Gambie, est un véritable casse-tête pour les Sénégalais. Voyageurs et chauffeurs souffrent avant de gagner l’autre rive.
Farafeny samedi 4 octobre. Il est 7 heures du matin, une longue file de véhicules et un monde fou attendent l’ouverture de la frontière pour traverser le fleuve Gambie. Comme un écran, ce vaste plan d’eau coupe le Sénégal en deux. Il n’en constitue pas moins le lien entre le Nord, l'Ouest et le Centre du Sénégal et sa partie sud (Ziguinchor, Sédhiou et Kolda. Escale obligé pour les destinations du Sud, le bac concentre des activités commerciales tous azimuts.
Une vraie vie colorée, grouillante et bruyante. Des étals sont installés un peu partout. On y trouve un nombre innommable d’articles : bonbons, chaussures, sucre, etc. Les voyageurs épuisés par la longue attente, ne boudent pas leur plaisir devant cette kaléidoscopique offre en victuailles.
Bien au contraire, ils dégustent avec délectation le petit-déjeuner chaud et fumant servi avec générosité par les restaurateurs de service. Certains anticipent et dévorent des plats des morceaux de viande avec volupté, en pensant aux longs kilomètres à parcourir.
Les activités sont intenses aux alentours de ce fleuve. On se croit être en plein « louma » (marché hebdomadaire) à une veille de fête. « Vous constatez que le Sénégal nourrit la Gambie. Ce fleuve est une part de son économie », se désole Idrissa Diédhiou, un jeune homme de teint noir, fort de corpulence, vêtu d'un jean bleu et d'un tee-shirt jaune poussiéreux. A pas de charge, l’homme s’empresse de prendre le bac pour Ziguinchor.
La grande machine gronde et s’agite timidement, comme pour donner le signal de sa randonnée. A son départ, de nombreuses vagues se forment. L’eau devient rougeâtre. Certains voyageurs sont laissés en rade. «Il faut que je patiente encore», se désole une dame d’une quarantaine d’années.
Une jeune fille, la vingtaine révolue, assise à même le sol, la main sur le front, montre des signes de fatigue. « Je suis là depuis 7 H du matin. Notre véhicule n’a pas encore fait la traversée alors qu'il sera bientôt 18 H. On risque de passer la nuit ici », se lamente-t-elle. Au même moment, un chauffeur déverse sa bile sur les Gambiens, notamment les
policiers et les civils, qui gèrent la traversée. « Ils ne sont pas sérieux. Comment peuvent-ils nous faire payer le billet de la traversée et vouloir encore nous réclamer de l'argent ? Je ne donnerai rien, quitte à passer la nuit ici », assène-t-il. Quelques uns de ses passagers, gagnés par la fatigue, lui demandent de verser le bakchich pour abréger la longue attente.
À 18 H 30, la fatigue et l’inquiétude se lisent sur les visages. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, les marchands ambulants, les tabliers et les restaurateurs se frottent les mains. « Ici, nous avons en permanence des clients. Car que ce soit en période de fête ou pas, c’est presque pareil. Sauf qu’en période de fête les recettes sont plus importantes. Ce bac nous fait vivre vraiment », témoigne une vendeuse guinéenne. Les Peuls originaires de la Guinée Conakry représentent plus de 70% des vendeurs.
Certains préfèrent devancer leurs voitures à l’autre côté de la rive, histoire de gagner un peu plus de temps pour souffler avant de reprendre la route.
« L’État du Sénégal doit vraiment penser surtout à nous les Sudistes qui faisons la navette en traversant ce fleuve dans ces conditions exécrables. La prochaine fois, je passerai par Tambacounda même si ce chemin est plus long", promet Sadibou. Deux ou trois bacs pour des milliers de personnes, c’est bien peu. Et si on y ajoute les multiples tracasseries, on a là un cocktail fort difficile à avaler.
22H. Bientôt, ce sera la fermeture de la frontière gambienne. Les bacs s’arrêtent à 23 H. « Ne vous inquiétez pas, vous allez passer avant la fermeture », lance un policier gambien, avec un sourire moqueur « Ceux qui disent qu’on nous corrompt, ne font que raconter des histoires. Nous respectons l’ordre d’arrivée.
Les véhicules sont embarqués suivant leur arrivée.On sanctionne les chauffeurs qui brûlent le passage. Ils sont relégués en dernière position en guise de punition», explique l’agent. Face au calvaire enduré lors de la traversée, les Sénégalais ont appris avec le temps à prendre patience. La traversée du bac est une vraie, une odyssée dont ils ne se passent tant que le pont enjambant le cours d’eau ne sera construit. Chacun y pense. Les Sénégalais en premier.
Mais les Gambiens n’échangeraient aucun projet avec cette manne providentielle. La traversée est un agrégat essentiel dans l’économie gambienne. Fût-ce au détriment de leurs voisins les plus immédiats. Que dire ? De leur unique voisin.
Qui a dit un jour que la Gambie est une banane enfoncée dans la bouche du Sénégal. Allez comprendre pourquoi ? En attendant, les voyageurs sénégalais prennent leur mal en patience...