LA GRANDE DÉSILLUSION
À LA RENCONTRE DES "BAJENU GOX"
Les "Bajenu Gox" ont-elles un destin en feu de paille ? Une question somme toute légitime, eu égard à la situation dans laquelle elles vivotent.
Il y a quatre ans, les Sénégalais venaient de se familiariser avec une nouvelle formule née de l’esprit de l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade. Dans un souci de restaurer des valeurs, il venait de mettre en place un projet qui consistait à propulser au niveau des collectivités locales des marraines en charge de veiller au programme communautaire pour la promotion de la santé de la mère et de l’enfant.
A Dakar et dans différentes régions du pays, on magnifiait cette nouvelle trouvaille. S’appuyant sur la fibre maternelle, ces femmes choisies sur des critères de leadership par des médecins chefs des districts de santé, se mettent depuis à l’écoute de toute une population, notamment des jeunes filles en détresse ou encore des femmes mariées déboussolées. Elles font régulièrement des visites à domicile.
Indésirables dans les structures de santé
Mais passée l’euphorie du lancement du projet en 2009, la désillusion s’est installée. Elle est grande chez certaines "bajenu gox" qui lancent un SOS. Elles demandent à l’unanimité secours à l’actuel tenant du régime et à la Première dame, Marième Faye Sall. Elles sont à bout de souffle et elles le clament haut et fort ; essoufflées qu’elles sont par un parcours quotidien harassant.
Elles continuent à investir quartiers et différents coins du pays pour mener à bien la mission qui leur est confiée, mais elles sont rebutées par le manque de considération des autorités étatiques et municipales. Certaines se sentent indésirables dans certaines structures de santé. D’autres ont l’impression d’être encombrantes.
Pire, malgré un quotidien jalonné d’écueils, les "bajenu gox", en manque de reconnaissance sociale, n’ont jamais bénéficié d’une rémunération, malgré leur dynamisme et leur contribution de taille dans la lutte contre la mortalité infantile et maternelle. Donc, c’est tout naturellement qu’elles s’inquiètent de leur sort et se plaignent de cette situation ambiguë dans laquelle elles évoluent.
A la rencontre de "Fatou Guèye Diallo"
Vendredi 22 août. 13 heures, à la Médina, plus particulièrement au district de Tilène. La propreté méticuleuse de l’endroit est frappante. Un calme olympien règne sur les lieux. La majorité des patients a fini de disposer des soins requis. Le personnel infirmier est encore là, mais point de "bajenu gox" sur place. "Je ne pense pas qu’il en existe ici", nous avertit d’emblée une préposée à l’accueil.
"Si ! Si l’une d’entre elles était là ce matin. Je vais vérifier si elle est toujours là". C’est finalement la chargée des programmes de vaccination qui aide à en dénicher une. "Elles nous amènent souvent des malades, mais elles sont plus disponibles en période de campagne de vaccination. Elles nous apportent un soutien de taille", confie-t-elle.
Comme d’autres, il lui faut se creuser les méninges et solliciter des collègues, pour réussir à nous mettre en rapport avec une "bajenu gox". "Je ne peux certifier l’exactitude des adresses que je vous ai remises, mais vous n’allez pas vous perdre", assure-t-elle.
Dans le coin, les populations nous indiquent avec un sourire plaisant l’adresse de la "bajenu gox" Fatou Guèye Diallo qui semble disposer d’une belle renommée dans le secteur. La dame qui loge à la rue 29 X 18 de la Médina incarne la droiture et le courage, selon ses voisins qui indiquent avec plaisir sa maison du bout du doigt.
"Sollicitée à n’importe quelle heure de la journée et de la nuit"
C’est une dame de caractère qui nous accueille dans une grande et belle maison, avec un style assez sobre. Elle dévoile d’emblée son sens de l’hospitalité. Les traits de son visage trahissent une certaine lassitude, mais un sourire radieux l’éclaire. La dame, qui doit aller sur les 60 berges, rassure. Elle fait partie de ces femmes qui apportent réconfort et c’est tout naturellement qu’elle s’est mise au service du bien commun.
"On est sollicitée à n’importe quelle heure pour diverses questions. Il m’arrive de passer toute la journée dehors, dans le cadre de la mission qui nous est confiée. Pas plus tard qu’avant-hier, j’ai été réveillée vers quatre heures du matin par une jeune dame qui loge au quatrième étage de l’immeuble d’à côté. J’ai dû gravir, malgré le poids de mon âge, les marches des escaliers pour transporter le malade à l’hôpital."
Et là, peut démarrer une aventure périlleuse. "Il peut arriver que la parturiente ne dispose pas du prix du taxi. Une fois sur place, elle est tenue d’acheter le ticket d’entrée. Nous payons à sa place, si elle n’est pas en mesure de le faire. Elle ne peut bénéficier, grâce à notre intervention, que de deux jours d’hospitalisation. Nous ne pouvons rien lui garantir d’autres au niveau des structures de santé".
Fatou Guèye Diallo exerce une influence positive au sein de sa communauté. Cette femme, du reste très respectée, n’a pas été choisie au hasard dans ce programme communautaire. Elle impose le respect. "Je suis une ‘bajen’ qui prodigue naturellement des conseils. On m’interpelle de partout".
Comme d’autres, sa préoccupation quotidienne reste de contribuer au bien-être collectif. Notre interlocutrice, un ancien agent de la Lonase où elle a servi pendant des années, comme vendeuse, s’exprime dans un français châtié avec des accents de sincérité. Elle fascine, au fur et à mesure, avec des paroles soutenues par une forte conviction.
Désillusion
Mais, il y a un hic. Sonélana subi un coup, en raison d’une démotivation qui a fini par se pointer au tournant. Elle est consciente du fait qu’elles n’ont pas reçu à l’origine des missions d’offres de services. Elles ont été cooptées, sur la base d’un principe de partenariat, pour pousser les populations à recourir aux services de santé.
Mais leur désillusion a été trop grande. "On ne jouit d’aucune considération de la part des autorités municipales et étatiques. Imaginez que le médecin chef nous a interdit de tenir nos réunions mensuelles au niveau du district sud, sans avancer de raisons. Ce n’est que récemment que nous avons reçu nos diplômes sans aucune considération. Dire qu’on a suivi la formation depuis 2010".
Célébrées il y a quatre ans, les "bajenu gox" risquent de sombrer dans l’oubli. Selon Fatou Guèye Diallo, elles sont abandonnées à elles-mêmes. Cette dame, qui n’a aucune source de revenus, se dit également atterrée par l’attitude du nouveau régime qui feint d’ignorer leur existence. Elle ne veut plus de cette image au rabais.
Elle s’explique : "Outre les campagnes de vaccination et de sensibilisation, on sollicite les "bajenu gox" pour accompagner la ministre de la Santé, Awa Marie Coll Seck, dans ses différentes sorties. Souvent, c’est juste pour applaudir, mais on doit refuser d’amuser la galanterie. C’est dévalorisant pour de dignes mères de famille comme nous".
"Wade n’a pas respecté ses engagements"
Notre interlocutrice donne l’impression d’une machine en furie quand elle étale ses frustrations. "Wade n’a pas respecté ses engagements. Il nous avait promis des téléphones portables, des outils de travail, des sacs et des indemnités, mais jusqu’à présent nous sommes dans l’expectative. Nous n’avons vu que du feu. Nous ne bénéficions d’aucune rémunération. C’est à peine si on nous remet 3000 F, lors des journées de vaccination", fulmine-t-elle.
Devant un contexte de morosité, Fatou Guèye Diallo garde le sourire. Elle a du mal à joindre les deux bouts, mais elle dégage l’image d’une forte femme. La "bajenu gox" ne veut pas flancher, dans la mesure où elle incarne l’espoir de plusieurs femmes.