LA GRANDE PUDEUR DE NIASSE
Jusqu’en juillet prochain, le mandat de Niass nourrira la « web-rumeur ». Et tout cela, faute d’avoir mis les cartes sur table à l’entre-deux-tours.
S’il y a un homme politique qui souffre, c’est sans doute le président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niass. Depuis qu’il est au Perchoir, une vague de compassion et de soupçon s’abat sur lui. Placide, le secrétaire général de l’Alliance des forces de progrès (Afp) encaisse sans trahir le moindre sentiment. Homme d’Etat chevronné, Niass sait que le moindre propos ouvre la boîte de Pandore et enivre la place publique. Ses moindres bruissements sur la question sont épiés. La « web-rumeur » comme dit l’autre, a le doigt au clavier, prêt à distiller le buzz du siècle.
Mais, tel le Pr Serigne Diop lors du débat sur la troisième candidature de Wade, « Moustapha » refuse de céder. Un flegme qui carapace même son entourage immédiat. Là aussi, on affiche la même façade d’acier. Plus personne ne se mêle au débat. Le responsable politique Mbaye Dione avait placé un mot, à l’époque, dans le débat. Et puis, plus rien ! Niass attend, Macky prolonge le suspense. Le silence est-il une commande politique intérieure de Niass ou une fatale soumission à la logique des alliances ?
Possible ! Mais une chose est sûre, pour les « profanes », le silence des progressistes met la pression sur le pouvoir. Sauf si Macky Sall et son allié de l’entre-deux-tours ont déjà dessiné les contours d’un accord politique sur la question. On peut d’ailleurs se risquer à affirmer que le chef de l’Etat a rassuré Moustapha Niass. Comme quoi, à date échue, les choses seront à l’endroit. Le scénario est tellement probable que même chez les apéristes, on adopte la même attitude. Les ténors comme Moustapha Cissé Lô n’en parlent plus. L’idée que le patron de l’Afp est la deuxième personnalité de l’Etat ne fait plus frémir.
Mais puisque la nature a horreur du vide, Idrissa Seck, qui a dû flairer la bonne affaire… politique, l’a rempli. Personne n’a, en effet, vu venir la surprenante plaidoirie du président de Rewmi. Idrissa Seck veut l’abrogation de la loi Sada Ndiaye et le retour du quinquennat au Perchoir. Pour lui, cela fait plus de « dignité, de stabilité et de respectabilité » pour le pouvoir législatif. Naturellement, la sortie a quelque peu agacé le pouvoir. Macky Sall aurait même dit, selon L’Observateur, que le patron de Rewmi serait dans « son rôle… d’opposant ».
Un propos qui devrait faire sourire d’autant que, jusque-là, Mara a toujours clamé son appartenance à Benno bokk yaakaar, la coalition qui a triomphé de Wade en 2012. Au fond, tout ce désordre provient des négociations de départ, à l’entre-deux-tours. Candidat de Bennoo Siggil Senegaal, Moustapha Niass arrivé deuxième au 1er tour, a refusé de négocier face à son « fils » Macky Sall.
Moustapha Niass est, justement, le premier à succomber à cette pudeur. « Je ne veux pas de poste de ministre, de ministre d’Etat, de Premier ministre. Il y a des compétences au sein des Assises nationales dont il faut faire la promotion. Ce n’est pas à mon âge que je vais me bousculer avec des jeunes pour avoir des postes, j’en ai tellement occupés », a-t-il martelé. Une déclaration qui lui a valu, dans son parti, une voix discordante ayant fusé de… Nioro, son fief politique. Niass est-il allé vite en besogne ? A-t-il voulu très tôt cisailler à la souche le soupçon ? Sans doute, oui.
A sa suite, Ousmane Tanor Dieng de Benno Ak Tanor, n’a pas caché son indignation lorsque la presse a avancé qu’il négociait avec Macky Sall la Primature. On peut le croire sur parole, lui qui a quasiment érigé au rang de morale le refus des négociations en aparté. Plus tranchant, Idrissa Seck a martelé n’avoir rien négocié, rien marchandé, rien demandé. Les ténors évitent soigneusement le sujet comme si on n’était pas en politique, un domaine où la négociation est une règle d’or. Surtout en période électorale.
Sitôt engagé, le deuxième tour de la Présidentielle s’est révélé finalement comme un simple jeu d’enfants. Macky Sall, qualifié face à Wade, est une aubaine pour l’opposition. Le leitmotiv est sans équivoque : il faut en finir avec les libéraux et surtout avec l’agenda caché de son leader. Partout où Macky Sall est passé pour solliciter un soutien au deuxième tour, il n’y a pas l’ombre d’une résistance. Il n’y a que Talla Sylla, ex-président de Jëf/Jël qui a demandé à Macky Sall un échéancier d’application des Assises nationales.
En dehors de cette condition, rien d’autre. Personne n’a voulu négocier en amont avec Macky Sall. Mais personne, alors ! Comme si on était dans un monastère ou une mosquée où la seule parole qui vaille est celle de Dieu. Tous les leaders ont vraisemblablement joué la pudeur, terrorisés qu’ils sont par l’idée de « partage du gâteau ». Pourtant, la Côte d’Ivoire aurait pu servir d’illustration.
Le président Ouattara a dû se séparer de Guillaume Soro, alors Premier ministre, pour respecter les clauses de son alliance politique avec le président Bédié. Pourtant, le chef de l’Etat ivoirien avait toutes les raisons de traîner les pieds ou de fermer les yeux. La paix politique, encore fragile dans ce pays, n’étant pas à l’abri d’une subite dégradation. En 2000, Djibo Leyti Kâ a voulu monnayer son soutien à Wade au 2è tour par le poste de ministre des Finances. Face à une offre plus alléchante, le leader de l’Urd a rallié Diouf.
L’actuel Premier ministre de la Guinée, Mohamed Said Fofana, économiste notoirement inconnu du grand public, doit sa nomination aux tractations du 1er et du 2è tour. Le Pr Alpha Condé aurait respecté l’accord politique qui l’obligeait à nommer au poste de Premier ministre un ressortissant de la Basse Guinée. Niass a refusé d’enfermer son soutien dans un pacte de genre. Et le voilà quasiment dépendant d’une volonté qu’il ne contrôle guère.
Au Sénégal, la classe politique qui a ouvert en grande partie les portes de la présidence à Macky Sall s’est, la mort dans l’âme ( ?), refusée à une pratique triviale. Un accord de principe contraignant n’avait donc rien de gênant. Au contraire, cela aurait enfermé Macky dans un angle mort et laissé peu de place à cette « indécision ». Voilà pourquoi, à l’Afp, personne n’ose pour l’heure entonné « Y’a Moustapha » !