LA LETTRE DE KARIM
L'INTÉGRALITÉ DE LA CORRESPONDANCE DE L'ANCIEN MINISTRE D'ÉTAT AUX 77 CHEFS D'ÉTAT ET DE GOUVERNEMENT DE LA FRANCOPHONIE
Mesdames et Messieurs les chefs d’Etat et de gouvernement, Monsieur le Secrétaire général de la francophonie,
Le 15ème sommet de la Francophonie, auquel vous participez, permettra de réaffirmer que la Francophonie n’est pas seulement le rassemblement des pays qui ont la langue française en partage, ainsi que le reflet d’une identité culturelle forte dans le respect de la diversité des Etats membres, mais qu’elle est également l’expression de valeurs communes fondées notamment sur le respect de la démocratie, des libertés publiques, de l’Etat de droit et des droits de l’Homme.
Or, force est de constater que, depuis plus de deux ans, certaines de ces valeurs sont sérieusement écornées au Sénégal par le recours à des pratiques qu’une démocratie, unanimement considérée comme exemplaire depuis l’accession du pays à l’indépendance, ne connaissait pas : restrictions injustifiées à la liberté de manifestation, interdictions d’aller et de venir ou de sortir du territoire national, emprisonnements de dirigeants politiques sous des prétextes fallacieux.
Plus encore, les autorités sénégalaises actuelles ont mis en œuvre des procédures judiciaires qui, drapées dans des principes proclamés de bonne gouvernance, sont exclusivement inspirées par des considérations de politique politicienne et visent à entraver l’action de certains adversaires politiques.
Tel est particulièrement le cas des poursuites intentées à l’encontre de Monsieur Karim Wade, ancien ministre d’Etat, devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) par suite d’une machination et d’un complot politique.
C’est pourquoi nous estimons important de porter à votre connaissance, avec gravité, les éléments d’information suivants :
La Cour de répression de l’enrichissement illicite est une juridiction d’exception, ressuscitée illégalement après 30 ans par simple décret du président de la République, qui ne garantit pas le droit à un procès équitable, en violation de la Constitution de la République du Sénégal et des conventions internationales ratifiées.
De nombreuses voix se sont élevées au Sénégal comme à t’étranger pour condamner les atteintes portées aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales par les règles régissant la Crei :
«Lutter contre fa corruption et l’enrichissement illicite est légitime, mois la Crei ne prévoit aucune possibilité d’appel et ses règles de procédure renversent la charge de la preuve...
Autant dire que vous êtes présumé coupable et que c’est à vous de démontrer votre innocence» (Maitre Assane Dioma Ndiaye, avocat, président de la Ligue sénégalaise des droits de l’Homme, membre de la Fédération internationale des droits de l’Homme) ;
«La Crei est une juridiction spéciale avec des règles de procédure attentatoires au droit à un procès équitable» (Monsieur Aboubacry Mbodji, secrétaire général de la Rencontre africaine des droits de l’Homme «Raddho»);
«Il faudrait supprimer la Crei ou, à tout le moins, la conformer aux principes de droit pour la rendre conforme aux engagements internationaux du Sénégal»
(Maitre Patrick Baudouin, Président d’honneur et responsable du groupe d’action judiciaire de la Fédération internationale des droits de l’Homme «Fidh»).
La Fidh, dans un communiqué du 5 juin 2014, a déclaré que «la Crei est une juridiction d’exception qui ne garantit pas le droit à un procès équitable».
C’est devant cette juridiction d’exception, dont la décision ne pourra pas être frappée d’appel, appliquant des règles qui bafouent les principes élémentaires des droits de la défense, que comparaît depuis le 31 juillet 2014, Monsieur Karim Wade, détenu arbitrairement depuis près de deux années, sommé de justifier de l’origine licite d’un patrimoine qui lui a été imputé arbitrairement, qui ne lui appartient pas et revendiqué en justice par d’autres personnes, l’accusation opérant ainsi un double renversement de la charge de la preuve.
Pourtant, aucun commencement de preuve n’a été apporté, ni au Sénégal ni à l’étranger, pour étayer les accusations portées contre Monsieur Karim Wade. A ce jour, aucun rapport d’enquête ou d’audit des organes de l’Etat (Inspection générale d’Etat, Cour des comptes ou autres) n’a mis en cause Monsieur Karim Wade dans sa gestion des départements ministériels et de l’Agence nationale de l’Organisation de la conférence islamique dont il assurait la présidence du Conseil d’administration.
Aucun fait de corruption, de détournement de deniers publics, de concussion, de prise illégale d’intérêt ou autre ne lui a été reproché.
Mieux encore, la plainte déposée en France par les autorités du Sénégal pour «biens mal acquis» a été classée sans suite et les commissions rogatoires internationales adressées au Luxembourg et à Monaco ont clairement attesté que Monsieur Karim Wade n’était ni un actionnaire ni un bénéficiaire économique des sociétés dont la propriété lui était imputée, sans qu’il n’y détienne par ailleurs le moindre intérêt financier.
La meilleure preuve de ce complot politique, de cette machination et du caractère infondé des poursuites intentées contre Monsieur Karim Wade est l’imputation par les autorités sénégalaises, 48 heures avant la clôture de l’instruction, de la propriété d’un faux compte bancaire à Singapour de 47 milliards de francs Cfa (72 millions d’euros) qui n’a jamais existé.
Pour justifier de l’emprisonnement de Monsieur Karim Wade, son renvoi devant la juridiction de jugement et sa prochaine condamnation, les autorités sénégalaises ont créé de toutes pièces de fausses charges, constituées à 99% de sociétés et biens immobiliers qui ne lui appartiennent pas, de faux comptes bancaires.
Par ailleurs, tout est fait pour interdire à Monsieur Karim Wade de se défendre. En effet. La Crei, après avoir examiner immédiatement la trentaine d’irrégularités procédurales qui avaient été soulevées par la défense, a refusé, sans aucune motivation de renvoyer le procès alors même qu’un des co-prévenus, qui revendique pourtant la propriété des biens faussement attribués à Monsieur Karim Wade, ne peut être présent â l’audience pour des raisons médicales.
Les manifestations de partialité récurrentes et les propos xénophobes du Président de la Crei demandant notamment d’une part, â deux bâtonniers de l’espace francophone assurant la défense de Monsieur Karim Wade: «rentrez chez vous, vous n’êtes pas chez vous ici» et d’autre part, la comparution forcée sur une civière et sous perfusion d’une personne gravement malade et en soins intensifs revendiquant des sociétés imputées à Monsieur Karim Wade, au motif qu’en Egypte, le Président Moubarak a comparu à son procès sur une civière, démontrent le non-respect des droits de la défense et attestent d’une parodie de justice.
On comprend pourquoi les autorités ont choisi délibérément de violer la Constitution qui confère aux ministres et anciens ministres dont Monsieur Karim Wade, un privilège de juridiction confirmé par la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) dans un arrêt du 22 février 2014, dont le Sénégal se refuse à exécuter malgré les rappels de la Commission de la Cedeao.
Ainsi l’unique objectif poursuivi par les plus hautes autorités sénégalaises est d’Infliger sans fondement une peine privative des libertés, mais surtout des droits civiques et politiques dans le but évident d’empêcher Monsieur Karim Wade de se présenter à la prochaine élection présidentielle de 2017, car il est un candidat qui menace la réélection du Président Macky Sall. Il s’agit en conséquence bel et bien d’un procès politique poursuivant un but éminemment politique.
Pis, alors que les témoins cités par l’accusation déchargeaient totalement
Monsieur Karim Wade, le Procureur spécial de la Crei a été démis de ses fonctions et limogé en pleine audience, le procès suspendu et renvoyé au 1er décembre 2014.
Après quatre mois de procès, la Crei se refuse toujours à évoquer la comparution des témoins cités par la défense de Monsieur Karim Wade.
Au-delà de la situation personnelle de Monsieur Karim Wade, c’est le respect de l’Etat de droit qui est aujourd’hui mis en cause au Sénégal, c’est l’avenir de la démocratie et des libertés publiques qui se joue dans le pays.
C’est pourquoi nous nous permettons d’attirer votre attention sur une situation inacceptable en 2014 dans le pays qui accueille le sommet de la Francophonie.
Nous vous prions de croire, Mesdames et Messieurs les chefs d’Etat et de gouvernement, Monsieur le Secrétaire général, à rassurance de notre haute et respectueuse considération.
Pour le Collectif des avocats du prisonnier politique Karim Wade
Maitre Jean-René fARTHOUAT, Ancien Bâtonnier de Paris, Batonnier de l’Ordre des avocats de Paris
Maitre Oemba Ciré BATHILY Maitre Mohamed Seydou DlAGNE Président d’honneur d’Amnesty international, avocat