LA LOI SUR LA PARITÉ, UNE LOI MORT-NÉE ?
Il y a très exactement quatre ans, l’Assemblée Nationale du Sénégal votait une loi dont les premiers articles portaient ces mentions :
- Article 1 : « La parité absolue homme-femme est instituée au Sénégal dans TOUTES (c’est nous qui soulignons) les institutions totalement ou partiellement électives »
- Article 2 : « …les listes de candidature doivent être conformes aux dispositions ci-dessus sous peine d’irrecevabilité.. » Les considérations citées à l’appui de cette loi faisaient état de la nécessité de garantir aux femmes une participation égale à la vie politique et dans une grande envolée lyrique, le ministre de la Justice annonçait l’avènement d’une « justice sociale et la reconnaissance de l’importance de la position et de l’implication de tous pour relever les défis de construction et de développement »
Pourtant cette loi n’était pas d’une nécessité absolue et l’égalité imposée par le haut pouvait avoir le plus mauvais effet. Elle pouvait n’aboutir qu’à mettre en place une assemblée paritaire composée pour moitié de femmes dont la plupart ne sont ni préparées à leur fonction ni motivées pour la remplir.
Il y a de par le monde des pays qui se sont passés d’une loi similaire et où pourtant la participation des femmes à la prise de décisions politiques est à la mesure de leur contribution effective à la société. Mais au Sénégal on a le fétichisme des textes réglementaires et, surtout sous Wade, celui du quizz. Avec plus de 42% de femmes élues au parlement en 2012, le Sénégal était au sixième rang mondial en matière de représentation féminine et, sans doute cela suffisait à notre gloire…
Le geste restait néanmoins audacieux et a été salué de par le monde comme une avancée démocratique exceptionnelle dans un pays en développement. La loi a donc été votée à la quasi unanimité par l’Assemblée Nationale où, pour une fois, majorité et opposition ont parlé de la même voix, trois députés seulement (1) ayant exprimé leur désaccord. Le Sénat a, plus unanimement encore, suivi les députés et la proclamation s’est faite dans les délais les plus courts…
Il restait la mise en application et c’est l’épreuve essentielle pour une loi. On s’attendait donc à ce que tous ceux qui avaient applaudi à cette loi, vanté ses avancées et l’espérance qu’elle faisait naitre, poussent des cris d’orfraie, défilent dans les rues, publient des motions à l’annonce qu’aux prochaines élections locales, les premières organisées depuis son adoption, une entité de notre pays, Touba en l’occurrence, refuse de s’y plier et présente une liste à l’ancienne, composée uniquement d’hommes.
On s’étonne déjà que l’administration se soit comportée en Ponce Pilate et se soit contentée de transmettre la patate chaude à la CENA. On ne peut comprendre qu’aucune des personnes inscrites sur ces listes n’ait eu l’audace de rappeler qu’elles allaient à l’encontre de la loi et, pour le moins, de décliner l’offre d’y figurer. On a du mal à faire grâce aux organisations de la société civile dont certaines avaient déjà entrepris la formation des femmes pour les préparer à leurs nouvelles responsabilités, et qui font profil bas et se contentent de vagues déclarations de principe.
Mais comment accepter le silence, la complicité de membres de l’institution qui a la responsabilité de voter les lois, face à une tentative d’attentat qui vise l’objet même de sa mission ? Faire exploser la loi sur la parité au moment où précisément elle est mise à l’épreuve, c’est faire exploser le principe même d’une règle juridique d’application obligatoire. C’est aussi, aux yeux du monde entier, mettre en doute notre parole et la crédibilité de nos institutions.
Le vote d’une loi est en effet, souvent, l’occasion d’une profession de foi et dans le cas qui nous concerne ici, elle était adressée aux Nations-Unies (Convention du 18-12-1979), à l’Union Africaine (Protocole de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 11- 7- 2003) et à d’autres organismes de moins grande envergure comme le REFRAM qui rassemble tout de même 28 autorités francophones de régulation. La loi sur la parité avait suscité leurs vivats, son viol provoquera leurs quolibets.
Mais, bien évidemment, le débat est d’abord national et c’est le respect de la mission confiée à une institution qui est censée être l’émanation du peuple qui est mis en cause. Même si les députés qui composent la présente Assemblée Nationale ne sont pas, dans leur écrasante majorité, ceux qui avaient voté la loi sur la parité homme-femme, ils savent, par le principe de la continuité de l’Etat, qu’elle reste une loi de la République tant qu’ils ne l’ont pas abolie.
Qu’une personnalité aussi éminente que le vice-président du Parlement puisse ignorer que la loi est impersonnelle, générale et permanente, qu’elle s’impose à tous les individus de la société, est un signe bien plus inquiétant qu’une assemblée à dominante masculine. L’honorable député dont les sorties tonitruantes ne sont pas toujours, dans la forme comme dans le fond, à la hauteur du symbole qu’il incarne, confond le statut d’un bien immeuble à celui d’un citoyen dans un Etat qui prétend être une «République laïque, démocratique et sociale» (Article 1 de la Constitution).
Il manque à sa mission s’il ne rappelle pas, à toutes les occasions, que «toutes les personnes sont égales devant la loi» et qu’«aucun des droits souverains de l’Etat ne peut être transféré à autrui».
Voila pourquoi il est du devoir politique, mais aussi et surtout éthique, de nos députés de faire entendre leurs voix lorsqu’une loi est bafouée ! Il s’agit des députés Oumar KH. Dia, Wack Ly et M. Diop Djamil.