LA MAFIA NIGERIANE GANGRENE L’OCRTIS
BENEFICIANT DE LA COMPLICITE ET DE LA CONNIVENCE DES AGENTS
Le commissaire Cheikhena Keïta est stupéfait. En arrivant à la tête de l’Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants (Ocrtis), il a hérité d’un service infesté par les dealers. Si l’on en croit son rapport, addressé à son ministre, une filière nigériane de cocaïne a tissé des relations au plus haut sommet de la hiérarchie policière. Dès sa prise de fonction, deux Nigérians réputés proches du milieu de la cocaïne l’ont câblé pour reconduire le système instauré par son prédécesseur. Abasourdi par l’audace de ces bandits, Cheikh Keïta a réalisé des investigations poussées pour avoir le cœur net sur les soupçons pesant sur les responsables de l’Ocrtis.
Austin, trafiquant de drogue connu, le joint à partir d’un numéro de téléphone dont il a joint au rapport envoyé au ministre de l’Intérieur et daté du 18 février 2013. Il se présente comme l’ami de son prédécesseur à la tête de l’Ocrtis. A l’image de son «prédécesseur», il lui explique les dessous des pratiques «qui consistent à réintroduire dans les circuits du commerce illicite une partie de la drogue saisie». Il explique que ces pratiques «se sont développées au sein de l’Ocrtis sous différentes formes». «J’ai été informé de l’existence de ces agissements par un ressortissant nigérian», dit-il.
Il a accepté de rencontrer des criminels d’envergure internationale. Il s’agit d’un rendez-vous à haut risque avec un narcotrafiquant nigérian à hauteur du Cices. En substance, le Nigérian lui dit : «Il y a beaucoup d’argent au poste que tu occupes. C’est toi à présent mon patron. On va faire des affaires et tu vas gagner beaucoup d’argent. Même à l’aéroport il y a des affaires.» A ce jeu solitaire dangereux, Austin serait tombé sur beaucoup plus retors que lui. Soucieux de maintenir certains filons de ses activités en bon état de rentabilité, le mafieux est ferré par les assurances du commissaire qu’il a en face de lui un complice qu’il cherchait.
Rassuré, Austin accepte le principe d’une nouvelle entrevue un mois après le premier face-à-face. Le second rendez-vous est organisé le 16 février entre 00 heure 10 minutes et 00 heure 32 à hauteur du Cices. «C’est à cette occasion qu’il a exposé les termes de la combine dans laquelle il attend toujours de pouvoir m’installer», détaille M. Keïta. Pour le Nigérian, les cérémonies solennelles d’incinération des drogues étaient juste un cérémonial républicain. Le dealer lui dit : «Lors des cérémonies d’incinération des drogues, les boulettes qui sont brulées ne sont pas celles qui contenaient de la cocaïne. Les boulettes qui étaient saisies sur les trafiquants ont toujours été remplacées par d’autres que je fabriquais.» Il ajoute : «L’autre patron me remettait d’importantes quantités de cocaïne et avec ça, je lui faisais gagner beaucoup d’argent. Tu n’as rien à craindre parce que la marchandise sera revendue en Europe.»
«Lors des cérémonies d’incinération des drogues, les boulettes brulées ne contenaient pas de la cocaïne»
Les propositions, attestant les opérations de blanchiment d’argent et qui ont permis d’alimenter les comptes de certains policiers grâce à l’argent de la drogue, sont toujours mirobolantes. Il lui propose un versement comptant de 30 millions avant de faire monter l’offre à 40 millions de francs Cfa. «Il m’a conseillé de ne jamais faire des affaires avec des Sénégalais. A cette occasion, il m’a aussi dit que mon prédécesseur a amassé beaucoup d’argent avec lui et que ce dernier possède plusieurs maisons. En procédant de cette manière, Austin a tenté sans succès, une fois de plus de me faire entrer dans son jeu. Il est certain qu’il reviendra à la charge parce que je lui ai dit qu’il y a de la cocaïne au siège de l’Office central. C’est d’ailleurs à cause de tout cela que j’en suis arrivé à me poser des questions sur le contenu réel de ce que j’ai reçu comme étant des scellés de drogues saisies sur des trafiquants au moment de ma prise de fonctions.» Allez savoir…
Les pressions s’accentuent sur le patron de l’Ocrtis. Le 3 février 2013, il reçoit aussi un appel d’un nommé Akim. Il s’est présenté «comme étant une relation d’affaires de mon prédécesseur». Le numéro d’appel est aussi joint au rapport sur l’Ocrtis envoyé à Pathé Seck. «Akim ne m’a fait aucune proposition», dit-il. Par contre, Pape Latyr Ba s’est «signalé avec une offre d’affaires du même ordre que celle qui m’a été présentée par le premier Nigérian». Il propose de lui faire gagner de l’argent «comme il a su le faire pour mon prédécesseur». Lui serait un trafiquant notoire de chanvre indien domicilié à la Gueule tapée. Pour garder la traçabilité de ses rencontres et propositions, le commissaire a consigné toutes les conversations et les numéros de téléphone dans le rapport adressé à Pathé Seck. Ce qui constitue un gage de protection dans ce monde interlope.
Par ailleurs, le commissaire Keïta décrit une autre manière mise en place par les policiers pour s’enrichir avec l’argent de la drogue en remettant «des quantités importantes de chanvre indien à des soi-disant informateurs sous prétexte qu’ils ont contribué à la réalisation des saisies en passant (une) commande avec le fournisseur pour le trahir ensuite en signalant ses déplacements». En réalité, l’ex patron de l’Ocrtis pense qu’il s’agit de combines qui permettent à ces informateurs de devenir des revendeurs des policiers. Selon lui, ces derniers leur refilent «des centaines de kilogrammes de chanvre indien détournés à l’occasion des saisies importantes alors qu’ils n’avaient passé commande que pour quelques quantités négligeables auprès de l’importateur qu’ils ont aidé à descendre».
A titre illustratif, il cite la saisie des 724 kg de chanvre indien qui a été effectuée le 6 février 2013 par l’Ocrtis. «Le trafiquant, qui s’est prêté au jeu des policiers, a eu à recevoir 4 sacs de 50 kg de chanvre indien. En considérant que 200 kg de chanvre indien de la qualité appelée ‘’Brown’’ s’échangent sur le marché de Dakar contre 8 millions de francs Cfa, on peut approcher l’ampleur du désastre. C’est le chef de la Section opérationnelle, lui-même, qui a fait procéder à la remise des 4 sacs à l’informateur trafiquant. Je m’en suis rendu compte par téléphone le 7 février, alors que nous nous trouvions tous les deux dans les locaux du service. J’en ai simplement déduit que c’était là une manière de m’inviter à prendre place dans le système en me donnant l’occasion de réclamer la part d’argent qu’il avait prévue de me verser», explique M. Keïta.
Péripéties d’un recoupement
Hier, il a été difficile d’avoir la version du directeur général de la Police national. Le commissaire Abdoulaye Niang était injoignable sur son portable. Des messages lui ont été envoyés jusque tard dans la soirée d’hier. Sans retour. Le ministre de l’Intérieur, itou. Saisi, Mbaye Sady Diop, chargé de communication du ministère de l’Intérieur explique qu’il n’est pas au courant de ce rapport produit par le commissaire Cheikh Keïta sur son prédécesseur à l’Ocrtis.