LA MENACE PERSISTE
DISPARITION DU THIOF DES EAUX SENEGALAISES
Le mérou blanc appelé « thiof » au Sénégal, est menacé de disparition des eaux sénégalaises, à cause de sa surexploitation. Greenpeace met en garde et demande des mesures urgentes pour la préservation de cette espèce menacée d’extinction.
Capturé à outrance, le « thiof » est dramatiquement menacé de disparition des eaux sénégalaises. « Si l’on n’y prend garde, le mérou blanc appelé thiof au Sénégal risque d’être exploité jusqu’à son extinction et les générations futures grandiront sans jamais connaître cette espèce », alerte Greenpeace. Dans le cadre de ses activités, l’Ong vient d’initier une campagne dénommée « Sauvons le thiof », pour la préservation de ce poisson très prisé par les Sénégalais. Elle constate avec angoisse que les eaux au large du Sénégal se sont quasiment vidées de leurs mérous. Les données des pêcheries sénégalaises confirment cet état épuisement. « La situation de la population de thiof, au Sénégal, est dans un état d’épuisement tel que l’espèce a été listée dans une catégorie de risque plus élevée », indique Ahmed Diamé, chargé de campagne Océans de Greenpeace. Il ajoute que : « plusieurs études ont montré que le pourcentage de thiofs adultes, au Sénégal, a chuté de près de 80% au début des années 90 à environ 38% en 1999 ». Mieux, l’Union internationale pour la conservation de la nature (Uicn), préoccupée par l’état des stocks de « thiof », a désormais classé l’espèce dans la catégorie menacée de sa liste rouge.
Malgré tout, cette espèce continue d’être capturée à un rythme préoccupant. En 2011, mentionne Greenpeace Afrique dans un document, « 1 649 tonnes de thiof ont quitté le Sénégal vers les marchés d’Europe, d’Asie, du Moyen-Orient, d’Amérique du Nord et d’Afrique. A elle seule, l’Union européenne a reçu près de 70% de cette quantité ». Cause
L’Ong, inquiétée par la rareté de la ressource « thiof » dans nos eaux, estime que cet effondrement des stocks découle du boom de la pêche artisanale, qui capture cette espèce au-delà des capacités disponibles. « L’essentiel est pêché par les pêcheurs artisans. C’est le thiof qui est le poisson préféré et il est pêché à une vitesse très rapide », justifie M. Diamé. D’après, Greenpeace, en l’absence de réglementation et du fait de la forte demande en mérou, ce poisson très apprécié au Sénégal mais aussi en France et dans d’autres pays européens, les pêcheurs s’attaquent aux juvéniles qu’ils capturent dans les estuaires et les lagons où ils évoluent à 60 m de profondeur. Ses traits biologiques font de ce poisson un reproducteur très lent, contrairement aux autres espèces. Hermaphrodite, le mérou naît d’abord femelle avant de changer de sexe plus tard, à l’âge adulte. Or, ce sont les plus gros thiofs qui sont préférentiellement pêchés. Les mâles sont prélevés en premier lieu et, à terme, il ne reste quasiment plus que des femelles. « La transformation intervient entre cinq et dix ans, dès qu’il atteint plus de 40 cm de long, en fonction des eaux. Mais, à cause de la forte demande des populations, les pêcheurs ne leur donnent pas l’opportunité de devenir mâles. Leurs chances de se reproduire sont ainsi compromises », se désole Ahmed Diamé. Ce phénomène menace le renouvellement des stocks lié à la reproduction. Ce qui signifie que pour la stabilité des stocks de « thiof », d’après le chargé de campagne, il est vital de protéger les individus les plus âgés et de plus grande taille. Et de maintenir une masse critique de mâles adultes pour que leurs chances de se reproduire ne soient pas compromises. « Le système de reproduction est très lent. Le petit poisson deviendra grand pour se transformer en mâle.
Et, s’il n’y a pas de mâles, il n’y aura pas de reproduction », renchérit-il. L’extinction de ce poisson n’est qu’un des nombreux dérivés néfastes de la cupidité des hommes, selon M. Diamé. Il en veut pour preuve la surpêche généralisée qui est pratiquée en Afrique de l’Ouest par des flottes étrangères voraces, mais également par des pêcheurs artisans cherchant désespérément à préserver leurs moyens de subsistance traditionnels afin de couvrir leurs besoins. Les données montrent que la situation est beaucoup plus critique au Sénégal que dans les pays voisins. Et, malgré tout, le « thiof » continue d’être pêché et exporté à un rythme alarmant.
Cherté et Rareté
Le thiof est aujourd’hui tellement rare et cher que la plupart des Sénégalais n’ont pas les moyens de l’acheter. C’est un mets de premier choix servi dans les restaurants français et grecs, tandis qu’au Sénégal il n’est accessible qu’à certaines classes privilégiées. Aujourd’hui, ce poisson préféré des Sénégalais affiche un prix au kilo exorbitant, du fait de sa rareté. Toujours aussi demandé au Sénégal comme à l’étranger, le mérou voit son prix grimper de façon inversement proportionnelle à la diminution de sa population.
Solution
Dans ses recommandations, Greenpeace Afrique demande aux autorités sénégalaises et à l’ensemble des acteurs de mettre en place des mesures concrètes. Face à cette menace de disparition, l’organisation appelle les pêcheurs, les consommateurs et les décideurs politiques à se mobiliser et à agir pour éviter la disparition programmée du « thiof ». Pour cela, elle identifie des mesures urgentes de conservation devant être appliquées afin de stopper cette surexploitation des stocks. « Il faut une interdiction totale de pêcher le thiof dans leurs aires de reproduction et nourricerie. L’Etat doit intervenir dans la réglementation et reconsidérer la taille minimale de la capture des espèces », ajoute le chargé de campagne. Il préconise en outre « un moratoire sur son exportation et la création de réserves marines dans la zone économique exclusive sénégalaise ». L’Ong a pour ambition d’amener les chaînes de supermarchés à observer une pause dans la distribution de ce produit et les grands restaurants à ôter provisoirement ce poisson de leurs services. Selon Ahmed Diamé, les ambassades de France et d’Allemagne ont répondu à l’appel, en arrêtant de servir le « thiof » pendant leur dîner.
Il appelle la population à œuvrer pour la préservation de cette espèce. « Tant que la demande continue de croître, les pêcheurs deviennent de plus en plus têtus. Il est impératif d’éviter de pêcher le peu de thiof restant dans nos eaux, au profit des autres pays. Aidez-nous à préserver cette ressource précieuse », implore-t-il. Car, selon lui, la préservation du « thiof » doit être l’affaire de tous ceux qui sont soucieux de la santé de nos océans. « Nous appelons les pêcheurs, les consommateurs et les décideurs politiques à se mobiliser et à agir pour éviter la disparition programmée du thiof », indique Ahmed Diamé.
L’aquaculture à la rescousse
L’état critique des ressources halieutiques a conduit le gouvernement du Sénégal à s’engager résolument dans le développement de l’aquaculture. La mise en œuvre de cette politique aquacole intervient au moment où la production de poisson de mer connaît un déclin. Contrairement aux autres espèces, le mérou ou « thiof » n’est pas herbivore mais plutôt carnivore. Il se nourrit de la farine de poisson. Ce qui montre que son élévation nécessite de capturer et tuer des poissons. Au moment où la production est jugée insatisfaisante. Amy Collé Gaye Sène, ingénieure à l’Agence nationale de l’aquaculture (Ana), est d’avis qu’il est possible de faire de l’aquaculture avec le poisson carnivore. « Comme il y a un surplus de production de sardinelle ou « yabooy », on rassemble les quantités qui risquent de pourrir dans les plages et marchés, pour les emmener aux usines de transformation en farine. On va essayer également de les habituer à vivre autrement avec la composition d’un aliment artificiel à base de soja, de riz, etc. », explique Mme Sène, avouant que ce n’est qu’un projet en cours. Mais cette option n’est pas partagée par Massall Fall du Centre de recherches océanographiques de Dakar-Thiaroye (Crodt). Selon qui le Sénégal a essayé l’élevage aquacole du « thiof », mais l’expérience s’est soldée par un cuisant échec. « Ça marche pour les espèces herbivores et non pour le thiof qui est carnivore. Et puis, pour préserver le stock, il est anormal de les nourrir d’autres poissons. Cette pratique aura un impact négatif sur la santé des populations », dit-il.