LA MER NOURRICIÈRE DE YOFF
ACTIVITÉS HALIEUTIQUES
Elle nourrit Yoff. Dans ce village lébou, la pêche supporte pratiquement l’économie de la commune. Même si elle fait face à des impairs qui assombrissent son avenir à cause de l’absence d’infrastructures et de la désorganisation du secteur. Alors que des pêcheurs quittent plusieurs contrées du pays pour trouver ici leur pain quotidien.
A Dakar, la mer est nourricière pour plusieurs villes. La commune de Yoff, située au nord-ouest de la capitale sénégalaise, vibre au rythme de la pêche qui entretient la plupart des concessions qui étrennent leur luxe le long de la plage.
Fondé en 1432, peuplé majoritairement de Lébous, ce village est l’un des ports de pêche traditionnels les plus importants du Sénégal. La pêche et ses activités annexes constituent la base de l’économie yoffoise.
D’après les chiffres du Conseil local de la pêche artisanale, l’exploitation des ressources halieutiques de la commune est chiffrée à 11 milliards sur les 200 que rapporte la pêche au Sénégal.
A Yoff, la pêche est essentiellement artisanale même si elle se modernise de plus en plus. Malgré les moyens techniques limités et la pêche industrielle effectuée au large par les chalutiers modernes, la production annuelle de la pêche de Yoff avoisine toujours les 40 mille tonnes. Les espèces débarquées sont des pélagiques et des démersales. Mais la variété dépend «des saisons» : sardinelle, voilier, thon, espadon, dentée aux gros yeux, pageot, lotte, etc.
Les pêcheurs, opérant au niveau au niveau du village, sont d’un nombre variable selon les saisons. Du fait du système d’émigration des pêcheurs et du nombre de pêcheurs occasionnels pendant les vacances (élèves et étudiants), il s’avère très difficile de disposer des chiffres exacts, selon Abdoulaye Seck, coordonnateur du Clpa / Dakar-ouest.
D’après le Système d’information populaire pour les collectivités locales (Sipe au Sénégal), le nombre de pêcheurs oscille entre 2 000 et 3 500. Les quartiers de Tonghor et Ndénatte regroupent le plus de pêcheurs suivis de Ndeungagne, Mbenguène et Ngaparou.
La pêche rapporte 11 à 12 milliards par an
Ces pêcheurs sont, non seulement des autochtones, mais aussi des immigrants d’origine saint-louisienne (Guet-Ndar), de Kayar, de Thiaroye ou de la Petite-Côte. Assis dans la cour de la municipalité de Yoff dont il est membre du Conseil et vice-président de la Commission pêche, Abdoulaye Seck alias Laye Barési laisse apparaître sa passion en évoquant les questions liées à la pêche.
Il explique le processus d’exploitation du poisson au niveau de la commune. «Lorsque les pêcheurs reviennent de la moisson, les poissons sont achetés par les mareyeurs qui vont les garder dans les usines, mais les produits sont aussi vendus aux femmes qui les exportent au marché central pour la revente ou au niveau du marché local», explique M. Seck. Il évalue la valeur marchande des ressources halieutiques entre 11 et 12 milliards de F Cfa par an.
En ce jour frisquet, l’aube se desserre de la longue nuit. Cela permet à l’armée de ménagères de monter à l’assaut de cette journée naissante. Dans la zone «Bana-Bana», elles bravent la fraîcheur de la météo dakaroise qui affiche presque 20 degrés. Il est 8 heures du matin. Ces commerçantes de poissons attendent le pointage des pirogues parties à la chasse.
«On attend les pirogues. Ces temps, il y a du poisson surtout la sardinelle. Actuellement, nous rendons grâce à Dieu, car notre chiffre d’affaires est revu à la hausse», se réjouit une dame fixant les yeux sur la mer. Ses lèvres tremblent sous la fraîcheur. On discute chaleureusement.
Ensuite, c’est la ruée lorsque les premières pirogues apparaissent au large des côtes. Munies de bassines, ces «Bana-Bana» se jouent des coudes pour faire main basse sur les ressources halieutiques récoltées par les pêcheurs. Certaines d’entre elles plus dégourdies ne manquent pas d’attendre les piroguiers à même l’intérieur de la rive nonobstant l’eau glaciale de la mer.
Après l’accostage, les marchandages vont bon train entre pêcheurs et acheteurs. «Vends- moi cette caisse de yaboye (sardinelle) à 3 000 francs», sollicite une quinqua emmitouflée dans un grand boubou bleu et blanc assorti d’un jacket noir et d’un foulard au cou.
« 3 000 ? Non, je ne peux pas. Après tout ce que j’ai enduré. Je suis parti à 23 heures pour revenir à cette heure (9 heures). Non, je peux te diminuer maintenant 1 000 francs dans les 5 000 francs. Paie-moi, 4 000 francs et prends la», rétorque sèchement Khadim, un jeune pêcheur.
Le marché est conclu. A Yoff ces scènes sont quotidiennes. En effet, ce village est le premier quai de débarquement avec 21 mille tonnes de produits de mer. Même s’il n’a pas de chiffres à dévoiler, Abdoulaye Seck souligne que beaucoup des milliers de yoffois trouvent leur compte dans le grand bleu.
Pas de quai, ni d’agrément pour exporter ses ressources
A côté de cette rentabilité de la pêche se dresse le manque d’infrastructures pour tirer profit de cette exploitation. En première ligne, l’inexistence de quai de pêche constitue un manque à gagner énorme pour les acteurs de la pêche au niveau de Yoff. Depuis 1996, année de l’érection du village en commune, les différentes équipes municipales qui se sont succédé ont promis aux administrés la construction d’un quai de pêche. Que nenni !
«Yoff ne bénéficie pas trop de la rentabilité de la pêche à cause du manque d’infrastructures qui frappe l’activité halieutique», mentionne le vice-président de la Commission pêche de la mairie de Yoff. Voix gonflée de regret, Abdoulaye Seck s’en explique : «Parfois, le poisson ne coûte pas cher. Mais les Yoffois ne peuvent pas l’acheter, car les moyens de conservation leur font défaut. Au cas échéant, les pêcheurs pourront conserver leurs biens. Mais ils sont obligés de le vendre après le débarquement parce que les poissons risquent de pourrir entre leurs mains.»
Ne disposant pas d’agrément, Yoff ne peut pas exporter ses ressources. «Pour que Yoff puisse exporter son poisson, il lui faut emprunter l’agrément de Ouakam. Avec tout ce que Yoff représente dans l’acticité de pêche, elle ne doit plus emprunter, elle doit avoir un agrément», soutient mordicus M. Seck.
Il faut dire que l’absence de quai ralentit les activités économiques de Yoff. En marge d’une séance de nettoyage sur la plage de Yoff initiée par l’équipe municipale le 14 avril dernier, le même Abdou laye Seck interpellait le maire d’alors, Oumou Khaïry Guèye Seck, en ces termes peu protocolaires :
«Certes, vous avez beaucoup fait pour notre commune, mais vous (Oumou Khaïry Guèye Seck) nous avez oubliés, nous les acteurs de la pêche. Pour l’Etat, je n’en parle pas. Les autorités se trompent d’interlocuteur en ce qui concerne la pêche. Les vrais acteurs sont ceux qui sont toujours et vivent de la mer. On n’a pas de quai de pêche ni d’usine de glace pour conserver nos poissons.»
Les assurances du ministre Oumar Guèye
Durant toute la campagne électorale, Abdoulaye Diouf Sarr, l’actuel édile de la commune, a fait de ce quai de pêche une de ses promesses majeures. Abdoulaye Seck s’en rappelle : «On dit que la pose de la première pierre se fera ce mois-ci, mais on attend de voir. Pour l’instant, nous magnifions les actions de la mairie en ce sens.»
Avant cela, le gouvernement, par l’intermédiaire de son ministre de la Pêche et de l’Economie maritime, avait fait une sortie pour donner des assurances aux acteurs du secteur de Yoff.
Lors d’une visite de certains sites d’infrastructures de pêche de la région de Dakar, notamment Soumbédioune, Ouakam, Yoff et Hann le 18 septembre dernier, Oumar Guèye jurait la main sur le cœur que le quai de Yoff verra le jour dans les plus brefs délais :
«Le gouvernement va prendre toutes les dispositions nécessaires pour faire en sorte que ce quai de pêche voie le jour suivant les normes internationales et que le complexe frigorifique fonctionne pour l’intérêt des populations, notamment des pêcheurs et mareyeurs de Yoff.»
Assurant sa bonne foi, le ministre ajoutait : «J’ai demandé que dès lundi (22 septembre 2014) qu’on me sorte le dossier et croyez-moi, ce projet verra très bientôt le jour, y compris la marche du complexe frigorifique.»
Pour Abdoulaye Seck, la construction de ce quai vient à son heure : «Actuellement, on s’achemine vers la période de l’abondance d’un poisson communément appelé ‘’Talaar’’. Si le quai voit le jour, ce sera bénéfique pour l’ensemble de la population yoffoise.»
800 pirogues recensées
En termes de nombre, 800 pirogues sont répertoriées par le Clpa au niveau de Yoff. En termes d’emplois, Abdoulaye Seck précise que l’Ong Comfish mène une enquête pour déterminer le chiffre exact. Quoi qu’il en soit, Laye Barési souligne que la pêche mobilise des milliers de personnes.
«A Yoff, si la pêche marche et se développe, elle ira dans le même sens», estime-il en sollicitant l’organisation immédiate du secteur. Actuellement, les autorités sont en train de réduire le nombre de pirogues qui circulent au large des côtes. De fait, les pêcheurs ne sont pas les seuls propriétaires des barques.
Dans cette activité, les hommes d’affaires s’y introduisent en forgeant des pirogues qu’ils confient à d’autres professionnels de la mer afin d’élargir leur business. L’Etat, en collaboration avec la Banque mondiale, est en train de voir comment réduire le nombre de pirogues en leur imposant l’obtention d’un permis ou une licence de pêche.
La pollution des usines décriée
Au-delà de l’absence d’un quai, la pollution des usines est un mal qui entrave la marche de l’activité de pêche. D’ailleurs, M. Seck signale une pollution à grande échelle dans une structure de conservation de poisson qui souille la mer. Furieux, Il met à nu les pratiques peu orthodoxes de ladite société situé à l’extrémité du littoral de Yoff, à Tonghor.
«Ils prennent un tuyau qu’ils raccordent directement à la mer. Pourtant, le propriétaire de la société a des moyens d’épurer son usine ailleurs», souligne-t-on avec amertume. Il dénonce que des Yoffois soient utilisés pour accomplir «cette sale besogne qui se fait à 2 heures du matin».
Même si tout le monde le sait, cela s’accomplit sous les yeux des autorités.