LA MORT EN CHIFFRES
AVORTEMENT CLANDESTIN ET INFANTICIDE
L’interruption spontanée ou provoquée de la grossesse est en train de tuer un nombre impressionnant de femmes au moment où d’autres croupissent en prison pour le délit d’infanticide. L’avortement est responsable de 38% de l’emprisonnement des femmes et du nombre chaque jour plus important des cas d’infanticide. En l’espace de 5 mois, 32 corps de bébé ont été retrouvés dans les ordures de Mbeubeuss.
Défini, au plan médical, comme l’interruption spontanée ou provoquée de la grossesse, avec expulsion complète ou partielle du produit de conception avant que le fœtus soit viable (c’est-à-dire avant la fin du 6e mois de grossesse, soit moins de 22 semaines d’aménorrhée), l’I.V.G. est en train de tuer un nombre impressionnant de femmes au moment où d’autres vivent une angoisse carcérale en cas de grossesse dite “scandaleuse”.
Au moment où celles qui sont aisées financièrement s’arrogent le droit de disposer de leur maternité, en procédant à des ivg dans les cliniques et autres établissements de santé, d’autres finissent leur aventure en prison. Dans ce lot, il en est qui perdent la vie alors que d’autres traînent des séquelles à vie.
32 corps de bébés dans les ordures de Mbeubeuss
Selon des statistiques d’un rapport semestriel 2013, disponible au niveau du réseau siggil jigéén, la prison des femmes de Liberté 6 avait enregistré, au cours de cette courte période, 9 cas d’infanticide et 7 cas d’avortement.
Au moment où la prison des femmes de Saint-Louis accueillait 6 cas d’infanticide contre 2 cas pour la prison des femmes de Thiès, 3 cas d’infanticide et un cas d’avortement pour la prison des femmes de Ziguinchor et 3 cas d’infanticide pour la prison de Matam.
Par ailleurs, selon d’autres chiffres, 32 corps de bébé ont été retrouvés en 5 mois dans les ordures de Mbeubeuss. Une situation effarante qui révèle le désastre causé par une grossesse non désirée.
Les statistiques de la direction de l’administration pénitentiaire sont aussi parlantes. Elles indiquent que l’avortement est responsable de 38% des emprisonnements des femmes. Pire encore, l’infanticide représente 25% (le quart) des affaires jugées aux Assises, selon l’Agence Nationale de la Démographie et des Statistiques (ANDS).
Dans une étude intitulée “Femmes en prison au Sénégal : Du statut de victime au statut de bourreau”, Katy Sène Mbaye, praticien hospitalier, alertait sur un véritable fléau social.
L’étude a porté sur “50 femmes détenues, 41 à la prison de Rufisque pour femmes et 9 à la maison centrale d'arrêt et de correction de Dakar où elles sont isolées dans un quartier qui leur est propre”.
Et selon Katy Sène Mbaye, 30% des femmes ont été incarcérées pour infanticide contre 18% pour vol et 20% pour défaut de carnet sanitaire.
Dans un mémoire de maîtrise en date de 2009-2010, portant sur “l’avortement au Sénégal, analyse des textes et de la jurisprudence”, Mamadou Saidou Mballo indique que “la cause fondamentale de l’infanticide est la mise au monde d’un enfant non désiré. Les femmes qui commettent cet acte ignoble auraient préféré expulser le fœtus au lieu de le porter pendant neuf mois dans leur ventre pour le jeter dans une fosse”.
L’avortement clandestin, une hécatombe
Faut-il laisser les jeunes filles à leur propre sort ou leur permettre d’avorter dans des conditions optimales? Une question difficile à trancher. Mais pour Daouda Diop, spécialiste en Genre, vu que l’avortement clandestin constitue une véritable hécatombe, les autorités n’ont plus le droit de fermer les yeux.
Il tient à préciser que le bilan macabre est devenu des plus hideux au fil des ans. Le pays a enregistré en 2010, 68 cas d’avortement et d’infanticide, 86 cas en 2011, 39 cas en 2012 et rien que pour le premier semestre de 2013, 40 cas ont été recensés. Des chiffres qui ne sont pas exhaustifs.
Mais la remarque de Daouda Diop semble percutante aux yeux de certains. “Ce qui est le plus alarmant, le plus préoccupant et le plus choquant au Sénégal, c’est que les moins de 35 ans font plus de 65% de la population totale du pays avec une majorité constituée de filles qui, avec les garçons de la même génération, voire avec des hommes adultes confirmés et des “sages” attitrés comme tels, s’adonneront aux relations sexuelles, qu’on le dise ou non, malgré les “xutba” auxquels il est loin d’être avéré que la majorité des “xutbakat” adhère en pratique.
Aussi les grossesses continueront de se produire et de provoquer des avortements mortels et/ou à séquelles incurables à nos filles et à nos sœurs ; nous les hommes qui n’en mourront jamais et n’en subiront jamais une condamnation, la société retient toujours que “l’homme, le garçon est un guerrier, la fille, la femme, une garce”.
Pour Daouda Diop, se réfugier derrière des textes religieux pour condamner les féministes n’honore pas leurs auteurs. Et pour cause, “il est facile pour nous les hommes d’être toujours totalement contre l’avortement brandissant nos bouts de Coran, sans l’actualiser avec le fait que le Saint Coran est foncièrement juste pour une religion de justice sociale où chaque fautive et fautif est condamné(e) à son juste mérite”.
Fatou Kiné Camara: Que les hommes laissent les filles en paix !
La juriste Fatou Kiné Camara est d’avis qu’il faut dans les mosquées apprendre aux hommes à se tenir tranquilles ; “qu’ils cessent de violer nos filles. Ils doivent laisser les mineures en paix. S’ils veulent que les mœurs changent, les hommes doivent cesser d’abuser sexuellement des jeunes filles . On a enregistré dans notre boutique de droit de la Médina, 64 cas de viols en un laps de temps.
“Au lieu de les accuser de baliser la voie au libertinage sexuel”, Fatou Kiné Camara estime plutôt que “c’est en éduquant les hommes et les femmes qu’on peut redresser les mœurs. Ce n’est pas en mettant les victimes en prison que la société va changer, on ne fait que les enfoncer dans l’injustice”.
Des cas traités par la boutique de droit de l’Ajs
Pour éviter que leur projet ne crée les germes d’une déperdition sexuelle, les organisations de femmes soulignent que des mesures d’accompagnement seront mises en œuvre. “Nous n’accepterons pas qu’il soit un concept fourre-tout. Nous allons encadrer techniquement et juridiquement cette loi. Une femme peut être victime de viol et garder son bébé si elle le désire. Selon le protocole de Maputo, les femmes doivent bénéficier du droit de disposer de leur fécondité, mais nous serons toujours en phase avec nos réalités socioculturelles.
C’est une question de santé publique qui est en jeu. On ne veut plus que les femmes meurent en donnant la vie, car on s’est rendu compte que chaque année, c’est un bateau le joola de femmes enceintes qui coule”, confie Amy Sakho, la chargée de communication de l’Ajs et par ailleurs coordonnatrice de la boutique de droit au niveau de Pikine. Et de déplorer qu’on continue à enregistrer 5 décès de femme par jour dans notre pays.
Pour la juriste Amy Sakho, on ne doit plus imposer une maternité à ces jeunes filles ou femmes victimes de viol ou d’inceste, ou encore ces femmes qui ne méritent pas de mourir alors que leur vie pouvait être sauvée.
Elle en veut pour preuve l’exemple de D. D, une jeune élève de 10 ans, violée par un voisin et qui a fini par contracter une grossesse. L’intervention de l’Association des juristes sénégalaises pour mettre un terme à cette grossesse non désirée s’est avérée vaine.
Le juge n’a pas accepté que la fille se sépare de ce fardeau. La fille décède quelques semaines après avoir accouché par césarienne. “Elle disait à chaque personne qui venait lui rendre visite : si vous voulez un bébé prenez le mien. Je veux retourner à l’école”, révèle la chargée de communication de l’Ajs.
Des histoires qui serrent le cœur font légion. F. S. A est une jeune fille qui a tenté l’avortement suite à un viol, mais ce fut sans succès. Selon les explications des juristes sénégalaises, elle a dissimulé la grossesse jusqu’à terme, avant de chercher à éliminer le nouveau-né. Dénoncée par des voisins, elle est cueillie par les forces de l’ordre. Elle a été mise sous mandat de dépôt et inculpée pour infanticide. Elle sera jugée lors de la prochaine session de la Cour d’assises.
Dr Serigne Diaw, professeur à l’université de Pire: “Ma fille de 9 ans a été violée, l’auteur a été relâché faute de preuves”
Le Dr Serigne Diaw est l’imam de la mosquée des Parcelles Assainies. Il fait partie des “champions religieux” qui ont réussi, grâce à un argumentaire solide, à convaincre les différents khalifes généraux. Il porte la voix des femmes en détresse pour avoir saisi le bien fondé de leur combat .
“Ma fille de 9 ans a été violée par un voisin, un homme de 64 ans” lâche-t-il au détour d’un entretien téléphonique avec une voix lourde d’émotion.
Et ce sont les associations de femmes qui vont plus loin dans les explications, dans cette triste affaire où le présumé bourreau a été relâché faute de preuves. Et pourtant, souligne Amy Sakho, “c’est moi qui ai géré ce dossier de la fille qui a été abusée sexuellement par un voisin qui porte ses 64 hivernages. C’est une tante de la victime qui l’a surpris sur la fille qui a alerté les parents. Mais malheureusement, le témoin s’est dédit à la barre. Le juge n’a pas voulu se fier au certificat médical fourni et l’auteur a été relaxé...”
Aujourd’hui, avec un cœur lourd de chagrin, Dr Serigne Diaw milite pour la cause des femmes. Il juge que ce projet offre une importante opportunité aux victimes pour se libérer d’une angoisse carcérale.
Non sans émettre une mise en garde : l’islam tolère l’avortement médicalisé s’il est pratiqué dans les 120 jours. Si ce délai est dépassé, même si la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste, personne n’a le droit d’y mettre un terme, l’auteur est passible de sanction.”
Meurtri par l’épisode qui a affecté psychologiquement sa petite fille de 9 ans, l’imam n’en pense pas moins qu’il faut établir des garde-fous. “La religion musulmane bannit la prostitution et l’adultère. Si jamais elle venait à être votée, cette loi ne doit pas être exploitée à d’autres fins par des filles malintentionnées. Elle ne doit pas encourager le libertinage sexuel de même que les avortements tous azimuts. Elle ne doit être un recours qu’après qu’un médecin a attesté qu’il y a réellement eu viol.”
Conséquences d’un avortement clandestin
Si l’association des femmes médecins s’est associée dans le combat des mouvements dits féministes, c’est parce que l’avortement clandestin est en train de faire des ravages. En tentant d’interrompre une grossesse non désirée, les femmes s’exposent à la mort mais également à l’hémorragie (environ 56% des complications) provoquée par la rétention de débris ovulaires ou avortement incomplet, ou des lésions traumatiques des voies génitales.
Les complications médicales ne s’arrêtent pas là. Elles ont pour noms : perforations utérines, perforations intestinales, déchirures vaginales et cervicales, infections localisées ou généralisées (septicémies), troubles urologiques, gynécologiques, des infections à répétitions, des troubles psychologiques, le tétanos, l’intoxication médicamenteuse, douleurs pelviennes chroniques invalidantes.
Toutes ces complications peuvent nécessiter des interventions chirurgicales lourdes, en particulier l’hystérectomie ou ablation de l’utérus, la stérilité, avec leurs lots d’exclusion sociale, de problèmes conjugaux et familiaux.”