MULTIPLE PHOTOSLE MAL DU SPORT SÉNÉGALAIS
Entretien avec Tidiane Kassé, directeur de publication de "Jour de Sport"
Absence de véritable politique sportive, non application des textes relatifs au sport, gestion non rationnelle des maigres ressources, ce sont les difficultés auxquelles est confronté le sport sénégalais. Pourtant, en soi, "le sport est un domaine économiquement porteur". Dans cette interview avec www.SenePlus.Com, Tidiane Kassé, le directeur de publication du quotidien sportif Waa Sport devenu depuis ce weekend Jour de Sport, analyse les politiques sportives du Sénégal d'Abdou Diouf à Macky Sall. Verdict : les régimes sont renvoyés dos à dos.
Quel regard portez-vous sur la politique sportive du Sénégal ?
D'Abdou Diouf à Macky Sall, je pense que les régimes n’ont pas développé une véritable politique sportive au Sénégal. Et quand je parle de politique sportive, c’est de mettre en place une architecture de textes de lois qui déterminent et qui organisent le sport. Le texte en vigueur aujourd’hui au Sénégal date de 1984. C’est la Charte du sport sénégalais. Mais c’est un texte qui malheureusement n’est pas appliqué depuis qu’il existe. Il y a deux ans, on a réfléchi en vue de doter le Sénégal d’un nouveau texte sur le sport. Ces textes ont également été déposés et jusqu’à présent on n’a pas eu de réponse. Qu’est-ce qu’ils veulent (les pouvoirs pubics, Ndlr) en faire ? Avoir des textes, c’est important mais passer à la phase d’application est aussi important.
Par rapport aux politiques sportives au Sénégal, je pense qu’on a plutôt des campagnes. Ce que j’appelle campagne c’est : «l’équipe nationale doit aller en coupe d’Afrique on y met énormément des moyens, on accompagne l’équipe nationale et à la fin du parcours, on se rend compte qu’on a fait échec». Il n’y a pas un cheminement qui montre ce qui doit être fait, passer par la formation, aller à la mastication, comment gérer la professionnalisation, etc.
Macky Sall avait promis une rupture même dans le domaine du sport. Il n'a pas été alors tenu parole ?
Pendant la campagne électorale de 2012, le Président Macky Sall avait promis un pour cent du budget national pour le sport. Ce pourcentage n’est pas encore atteint jusqu’à présent. Parfois on se rend compte que l’État met beaucoup d’argent dans le sport quand il y a des campagnes. Les dépenses ne sont pas faites de manière rationnelle. Le budget de la haute compétition est d'un milliard par année. Mais quand il y a des campagnes, des délégations de sport, avec les ressources additionnelles que l’État met sur la table, on dépasse de loin le milliard. Ces fonds ne sont pas gérés de manière rationnelle.
S’il était possible d’avoir un pour cent et de savoir que ce montant ira dans la construction des infrastructures, vers le développement d’une catégorie de sport et le renforcement du football professionnel, on peut savoir quelles sont les lignes directrices par lesquelles l’État veut développer le sport, mais jusqu’à présent on n’a pas atteint cet objectif. Il y a donc une déperdition énorme de moyens depuis les années 80 jusqu’à aujourd’hui.
Comment inverser la tendance ?
Je pense que réfléchir sur le sport sénégalais, c’est retourner sur des sentiers battus. Des travaux ont été faits à cette fin. Le football est rentré dans une phase de professionnalisation. Quand on mettra à nouveau les sportifs sénégalais autour d’une même table, ils trouveront des éléments pour développer le sport.
Des réflexions ont été menées. Il ne reste qu’à mettre en place des moyens et croire que le sport est un domaine économiquement porteur. On parle de Sénégal émergent, le sport peut jouer un rôle dans ce sens. La question est comment mettre tout cela en musique. Le sport, ce n’est pas appuyer seulement l’équipe nationale, pour des campagnes politiques, mais c’est développer réellement le sport pendant une période bien définie.
Pour construire le sport, ce n’est pas en un ou deux ans. Monter une équipe peut prendre dix années d’investissement, c’est commencer par la base. Ce n’est pas diable. Il y a assez de techniciens dans ce pays qui peuvent le faire. Ils ont produit des textes qui n’attendent que d’être appliqués pour une amélioration de la situation.
Qu’est-ce qui explique qui explique que le Sénégal, après avoir produit des documents jugés de grande qualité pour le développement du sport, pèche dans la mise en œuvre ?
Le sport au Sénégal est plus perçu non pas comme un domaine dans lequel on développe une politique mais dans lequel on investit pour en tirer des profits. Les différentes campagnes témoignent de cette réalité. Si l’État a la volonté de développer le sport sénégalais, il essaiera de voir comment organiser le secteur pour l’atteinte des objectifs.
Un exemple de manque d’application des textes, c’est le Navétane. Ce que je regrette dans la gestion du football est cette forme de "navétanisation" du football, une "navétanisation" dans le profil du dirigeant et dans le fonctionnement du foot sénégalais. Cela ne milite pas réellement pour un développement du foot. Le Navétane est une composante du football sénégalais. Ce n’est pas reconnu par la Fifa mais il est fortement présent dans la Fédération sénégalaise de football. Je pense qu’on aurait du limiter le Navétane dans le rôle qui est le sien et ne pas l’impliquer à ce niveau de responsabilité qui impacte de façon générale sur le foot.
C’est important le Navétane mais chaque chose à sa place. C’est un secteur qu’on ne maîtrise pas. Et, tel qu’il fonctionne, il pèse sur les performances du foot sénégalais. On ne maitrise pas le calendrier et faire la jonction entre le calendrier formel et le calendrier du Navétane, c’est souvent très difficile.
On n’a pas assez d’infrastructures pour autant de matches. Il y a énormément de choses sur lesquelles les gens devraient réellement réfléchir pour que chacun sache quels sont ses place et rôle. Il est nécessaire que soit mise en place une architecture qui donnera une meilleure lisibilité et une meilleure linéarité pour le développement du sport. Je peux reprocher cela à la Fédération sénégalaise du football. Ce n’est pas sortir le Navétane du football, mais il doit rester à sa place.