LA PLAIDOIRIE D'AÏSSATA TALL
"Violation" de l’article 26 des statuts du Ps - Les Verts ne sont pas prêts - Le rapport de Tanor non disponible - Clin d’œil à l’alignement de Niasse - Nécessité de "modernité" et de "transparence"
C’est une «Lettre aux Socialistes», mais aussi aux Sénégalais. En choisissant de s’adresser à ses camarades par voie de presse, la candidate au secrétariat général du Ps prend à témoin le Peuple et défie Tanor sur la transparence, la modernité et la légitimité. Le Quotidien décode les interrogations de Aïssata Tall Sall.
Une plaidoirie. C’est la forme de cette lettre que l’adversaire de Ousmane Tanor Dieng au poste de secrétaire général du Parti socialiste a choisie. Aïssata Tall Sall semble vouloir imposer le débat, même s’il y a deux candidats cette fois-ci, pour que l’on ne retienne pas un autre «congrès sans débat».
Elle veut y pousser Tanor et parle de «violation» de l’article 26 des statuts du Ps qui exige la présentation d’un rapport «traitant des questions de politique générale, de doctrine et de la vie du parti» et qui «devront être communiquées aux structures de base au moins un mois avant la tenue du Congrès».
«Or, souligne-t-elle, à ce jour, ce rapport n’est pas parvenu aux instances qui doivent se prononcer politiquement et librement là-dessus.» Pour Me Sall, «toutes ces questions et appréhensions démontrent à suffisance que nous ne sommes pas prêts, sauf à tenir et organiser un Congrès partiel, juste convoqué pour élire un Secrétaire général».
Elle conclut : «Il est toutefois dommage que la non communication du rapport du secrétaire général (...) ne permette pas aux militants de base de se prononcer sur une question aussi vitale qui engage leur identité de Socialistes et fonde leur engagement politique.»
Mais l’avocate socialiste axe sa défense aussi sur ce qui justifie sa candidature et qu’elle considère comme «une grande part d’interrogations à ce jour insatisfaites».
Pour elle, le processus de renouvellement des instances de base engagé «depuis fort longtemps devait impérativement être achevé avant le congrès».
Mieux, elle ajoute : «Nous devions donner du temps à ce temps-là, car il n’est pas moins important que celui du congrès. Pourtant, tel n’est pas le cas.»
Légitimité et transparence
Aïssata Tall Sall va au congrès, mais s’interroge sur la légitimité d’un congrès qui «écarte» nombre de coordinations, structures fondamentales de notre organisation politique, «non renouvelées» et des Unions départementales et régionales qui «ne sont pas encore mises en place».
Entre les lignes, il y a là une réponse à Tanor qui déclarait que «la partie qui veut que le congrès se tienne est 3 à 4 fois plus nombreuse que l’autre».
«Peut-on penser que lorsqu’une quarantaine de personnes demandent la tenue du congrès sur plus de cinq cent présents, qu’une majorité s’est dégagée pour y consentir ? Et que pense cette foule silencieuse de plus de 450 personnes ?» renvoie-t-elle à son adversaire.
Dans tous les cas, l’on ne devrait pas être surpris qu’il y ait des contestations post-congrès, lorsque la patronne des Socialistes de Saint-Louis et de Podor se demande si toutes ces remarques peuvent «légitimer l’élection du secrétaire général et celle de toutes les autres instances de décision (Bureau politique, Comité central et Conseil national)».
L’exclusion de ces structures serait, pour elle, «un manquement grave».
Aïssata Tall Sall se met dans la peau du candidat qui incarne la «modernité» et la «transparence» dans le fonctionnement du Ps.
Et il faut dire que les comptes du parti n’en sont pas moins sombres puisqu’elle propose la publication annuelle de ceux-ci auprès des organes comme la Cour des comptes et le ministère de l’Intérieur. «Le débat surréaliste sur la vente supposée (et finalement non avérée) d’une parcelle de la Maison du parti nous a instruits sur l’acuité et l’importance pour nous de régler définitivement une telle question», dit-elle.
Il y a là aussi un clin d’œil au cas Niasse qui a confondu ses ambitions à celles du Président Sall. Mais pour Aïssata Tall Sall, l’identité politique qui «différencie (le Ps) des autres fait que nous ne pouvons accepter de nous dissoudre comme morceau sucre dans l’eau, dans le flou des coalitions, surtout celle au pouvoir».
L'INTÉGRALITÉ DE LA LETTRE D'AISSATA TALL SALL
«Par delà leurs différences, les socialistes ont la conviction profonde qu’il est possible de construire une nouvelle étape dans la longue marche de leur parti»
François Mitterrand, Congrès d’Epinay 13 Juin 1971
Mes Chers Camarades,
Au moment où je m’adresse à vous par cette voie épistolaire, notre parti s’achemine inexorablement vers son Congrès.
Le 15ème de sa longue existence, jalonnée de moments historiques faits de ruptures difficiles et d’avancées incontestables, mais toujours dans une démocratie vivement exprimée et soucieuse d’intégrer à toutes les étapes, la parole et la pensée des militants qu’ont été nos parents et grands parents et que nous sommes aujourd’hui.
C’est que le Congrès n’est pas qu’une simple occurrence dans la vie d’un parti. Même lorsqu’il revêt le qualificatif d’ordinaire, il est toujours un moment magique, de rencontres, d’interrogations, voire de remises en cause, embrassant ainsi la marche du temps politique.
Pour nous socialistes, il est surtout le parachèvement d’un processus démocratique de légitimation de nos instances de la base au sommet, celle de nos dirigeants, parmi lesquels notre leader premier. C’est donc dire que le Congrès n’est pas plus important que les procédures qui le précèdent et qui nous y amènent.
Si j’ai choisi, en ces moments historiques de porter ma parole jusqu’au fond du Sénégal où se trouvent nos coordinations, soucieuses de notre Parti, de son existence et de son devenir, c’est que, en moi et en la militante que je suis, demeure une grande part d’interrogations à ce jour insatisfaites. Ces interrogations légitimes tiennent en trois points autour de notre Parti et de sa réalité politique, de notre projet socialiste dans l’actualité et l’universalité de son message, de notre pays auquel nous sommes tous tant attachés.
Pour ce qui est de Notre Parti, dire qu’il est celui de Senghor, pour nous en glorifier et nous en arrêter à porter ce lourd et glorieux héritage serait aussi futile qu’embrasser le vent. C’est vrai, le Parti Socialiste est bien celui de Senghor : celui que, avec une poignée de camarades, en un jour d’hivernage lourd d’interrogations et d’incertitudes, il a porté sur les fonts baptismaux, justement parce qu’il voulait, mais surtout parce qu’il devait rompre d’avec une certaine pensée qui ne rencontrait plus sa conviction.
Que notre immense gratitude et notre engagement à tenir et renforcer l’héritage, récompensent le courage des grands précurseurs qu’ont été Léopold Senghor, Jaraaf Saidou Ibrahima NDaw, Mamadou Dia, Maître Léon Boissier Palun, André Guillabert, Amadou Loum Cissé Dia, Pierre Edouard Diatta et tant d’autres qui les ont suivi dans cette grande aventure historique.
Ainsi, comme nous l’ont enseigné ces illustres devanciers, engager les ruptures lorsqu’elles sont nécessaires est donc la raison d’être, ou à tout le moins, le viatique de notre Parti. Sommes-nous en ce temps précis dans cette perspective ?
Oui nous y sommes !
Or, le processus de renouvellement de nos instances de base engagée – je le concède – depuis fort longtemps, devait impérativement être achevé avant le Congrès. Nous devions donner du temps à ce temps là car il n’est pas moins important que celui du Congrès.
Pourtant tel n’est pas le cas !
Est-il imaginable, parce que simplement non conforme à nos textes, que nombre de coordinations, structures fondamentales de notre organisation politique, soient écartées du Congrès pour n’avoir pas été renouvelées ?
Quid des Unions Départementales et Régionales qui à ce jour ne sont pas encore mises en place ? (J’ai frissonné à entendre un jeune camarade lors de notre Comité Central du 14 Mai, proposer la mise sous tutelle de ces nombreuses structures !)
Qui alors, dans ces circonstances, légitimera l’élection du Secrétaire Général et celle de toutes les autres instances de décision (Bureau Politique – Comité Central et Conseil National ?)
De la tenue du Congrès, aucune structure ne devra être exclue ! Si nous le faisions, il s’agira au mieux pour nous de commettre un manquement grave.
Au pire, nous serions coupables d’une faute inexcusable. Mais il y a mieux !
Avons-nous régulièrement convoqué ce Congrès lorsque l’on sait que le Comité Central et non pas le Bureau Politique est seul habilité à le faire ?
Peut-on penser que lorsqu’une quarantaine de personnes demandent la tenue du Congrès sur plus de cinq cent présents, qu’une majorité s’est dégagée pour y consentir ?
Et que pense cette foule silencieuse de plus de 450 personnes ?
N’aurions-nous pas dû valider cette importante décision par un vote régulier de l’instance ? Voilà pour ce qui est de la forme et elle est fondamentale s’agissant du respect de nos textes. De surcroit est-il acceptable de tenir ce Congrès en violant nos propres textes, particulièrement celui de l’article 26 de nos Statuts qui indique :
«Le Parti Socialiste se réunit tous les quatre ans en congrès ordinaire. Le Secrétaire Général du Parti y présente un rapport traitant des questions de politique général, de doctrine et de la vie du Parti. Des rapports plus spécifiques peuvent être présentés à la demande du Comité Central. Les rapports devront être communiqués aux structures de base au moins un mois avant la tenue du Congrès »
Or, à ce jour, ce rapport n’est pas parvenu aux instances qui doivent se prononcer politiquement et librement là-dessus.
Pourtant, c’est bien par ce moyen que les militants engagent le débat et se prononcent sur le sujet du Congrès et la vie du Parti.
Ainsi, loin d’un simple formalisme, il s’agit là de permettre aux différentes coordinations de s’approprier du débat, de le porter, en contrant les idées proposées ou en les enrichissant. Voilà pourquoi, ce moment est l’un des plus démocratiques du Congrès, pour ne pas dire son essence et sa justification, car pour une fois, le militant dispose de la parole et du choix.
Toutes ces questions et appréhensions démontrent à suffisance que nous ne sommes pas prêts, sauf à tenir et organiser un Congrès partiel juste convoqué pour élire un Secrétaire Général.
Or, il ne s’agit pas que d’élire un Secrétaire Général !
Plus que de cela, il est question plutôt de nous interroger sur nous mêmes, sur le fonctionnement de notre Parti, son exigence de modernité et de transparence, tant dans son fonctionnement, sa structuration que dans sa prise de décision.
Pour être le Parti de Senghor, le Parti Socialiste ne devrait-il par exemple, prendre l’initiative historique de publier annuellement ses comptes auprès des organes habilités à les recevoir ? (Cour des Comptes - Ministère de l’Intérieur)
Le débat surréaliste sur la vente supposée (et finalement non avérée) d’une parcelle de la Maison du Parti nous a instruits sur l’acuité et l’importance pour nous de régler définitivement une telle question.
Mais soyons justes !
Ousmane Tanor DIENG a contribué largement à l’ouverture du Parti, à sa consolidation après notre défaite de 2000, à sa résilience et a amorcé sa modernisation.
La création de Vision Socialiste, le Réseau des Universitaires Socialistes, l’organisation des primaires, l’élection du Secrétaire Général au bulletin secret, c’est de lui et de son temps !
Nous lui en savons gré comme nous lui savons gré d’avoir, dans les moments de doute et de découragement, tenu la barre avec courage.
Jamais ne s’effaceront de notre mémoire, ces moments de combats épiques portés par un chef volontaire entouré d’une équipe solidaire et généreuse.
Mais nous pouvons et devons aller au-delà (nous en ferons la proposition car il sera fastidieux d’énumérer dans le cadre de cette adresse, notre projet de modernisation du Parti)
L’essentiel pour nous est de comprendre et d’être convaincus que le Parti de Senghor ne saurait être celui du passé, car l’actualité et la modernité du message des Pères fondateurs doit nous pousser à être encore plus audacieux et aller de l’avant
Nous nous devons autant de l’être que la pertinence de notre projet politique nous y invite.
Car en vérité, nous sommes des socialistes !
Mais, il ne suffit pas de l’affirmer !
Plus que cela, il faut oser l’être !
L’être par les idées et l’être par le vécu et les actes.
Nous devons ainsi toujours tenir l’actualité du projet socialiste et réaffirmer devant cette scène politique où l’embrouillamini tient le haut du pavé, notre identité politique.
Celle là même qui nous différencie des autres et, qui fait que nous ne pouvons accepter de nous dissoudre comme morceau sucre dans l’eau, dans le flou des coalitions, surtout celle au pouvoir, sans marquer notre territoire entre le possible et l’impossible, l’acceptable et l’inacceptable.
Nous devons partout porter les idées et les valeurs du socialisme.
Il est heureux que le thème du 15ème Congrès s’intitule « Valeurs socialistes face au défi de notre époque.
Il est toutefois dommage que la non communication du rapport du Secrétaire Général (en violation de l’article 26 des Statuts précité) ne permette pas aux militants de base de se prononcer sur une question aussi vitale qui engage leur identité de socialistes et fonde leur engagement politique !
Voilà ce que ce Congrès rate !
Un débat fondamental, essentiel, qui, porté par des hommes et des femmes libres, parce que militants, aurait pu enrichir, au-delà des nos espérances, cette remise en cause perpétuelle dans laquelle s’inscrit l’idée socialiste dans la permanence de son message.
Comme le disait François Mitterrand, alors opposant, que « chaque citoyen se sente prince en son royaume » et le Parti Socialiste sera un empire d’audaces et d’idées librement et généreusement exprimées.
Plus prosaïquement, la victoire de Benno Bok Yaakar en Mars 2012 ne doit pas, pour le Parti Socialiste, clore un élan mais bien ouvrir un nouveau combat.
Celui promethénien d’un enjeu politique et intellectuel qui nous réconcilie avec le débat d’idées. Je le sais, en ces temps de désaffection politique et d’apathie générale, cela peut paraître utopique, mais au moment où nous prétendons mobiliser des milliers de militants pour tenir le Congrès, il serait décevant, pour ne pas dire médiocre, de nous contenter juste de quelques moments de retrouvailles festives.
Car, plus qu’au choix des hommes, finalement secondaire pour ceux qui, comme moi croient à l’ouverture collective, c’est à l’élaboration de notre projet et à son application concrète que nous devons associer les militants socialistes.
En vérité, c’est parce qu’il ne s’agit pas de nous, mais de notre pays.
Nous socialistes, portons toujours en bandoulière l’idée que notre Parti est né et créé pour servir le Sénégal.
Ma conviction profonde est que le Sénégal a besoin du Parti Socialiste, d’un Parti Socialiste ouvert, rénové, généreux et fidèle à ses idées.
Nous devons, dans l’opposition comme au pouvoir, seul ou en coalition, nous mettre au service de notre pays.
Les grandes interrogations qui le secouent ne peuvent nous laisser indifférents.
Renouer avec le débat fécond sur notre système institutionnel (et l’acte 3 de la Décentralisation nous a rappelé l’urgence et l’importance de débattre), sur notre économie (que vaut-elle aujourd’hui à l’aune du projet de transformation sociale dont nous sommes porteurs ? ) sur les questions sociétales (la difficile mise en application de la parité nous y a pleinement installés) et tant d’autres sujets enfouis dans nos consciences et qui nous rendent éveillés à l’idée que notre part de réflexion y est attendue.
Le socialisme de la liberté, celui du débat fécond, enfoui dans nos esprits et nos consciences ne demande qu’à renaître.
Rendre le Parti Socialiste au Sénégal et le mettre à son entière disposition, c’est restituer à notre pays son bien commun, j’allais dire, son bien naturel.
Si nous le faisons, nous n’aurons pas seulement rendez-vous avec un Congrès, nous aurons d’abord rendez-vous avec nous mêmes et avec notre pays.
Pour moi, c’est bien là l’essence d’un engagement militant et la noblesse de la politique.
Avec mes sentiments socialistes,