LA PRESSE SÉNÉGALAISE MARCHE-T-ELLE SUR LA TÊTE ?
RUMEURS DE LA NAISSANCE D’UN NOUVEL ENFANT POUR LE COUPLE PRÉSIDENTIEL

Jeudi dernier, avec une incroyable assurance, la presse sénégalaise, du moins, une bonne partie des organes, a annoncé l‘agrandissement du cercle de la progéniture du président Macky Sall. La naissance d’un nouvel enfant dont personne n’a dit s’il était garçon ou fille, devait être célébrée ce jeudi, jour habituel de la tenue du conseil des ministres.
Que n’a-t-on pas entendu ou lu ? L’info “people” barrait la “une” de prestigieux tabloids. Dans les radios, les taverniers de service s’en donnaient à coeur joie, tournant et détournant le scoop dans tous les sens. Certains se proclamaient invités et pressés de goûter aux succulents repas qui leur seraient servis avec générosité.
D’autres guignols tropicaux avec force de pastiches de brocardes, souvent mal inspirées, raillaient un fait inédit : pour la première fois un président en exercice donnait au pays un bébé citoyen. On raconte même qu’une artiste de renom très habituée des planchers des sitcoms, s’est rendue le matin tôt au Palais de l’Avenue Roume, parée de ses plus beaux atours pour assister à l’évènement de l’année : la célèbration de la naissence du nouvel héritier du président de la Republique et de la généreuse Marième Faye, son épouse.
Des appels ont également fusé de plusieurs chancelleries et de pays étrangers pour féciliter le couple presidentiel de ce cadeau providentiel. Un bébé qui avait toutes chances de venir au monde avec une cuillère d’or dans la bouche. Interloqué et abasourdi, le president a dû se fendre d’un démenti discret pour arrêter l’afflux massif de congratulations sans objet.
Imaginons avec quelle gêne accueillait-il poliment ses bons procédés ajoutant chaque fois “merci, mais...”. On peut deviner la suite : “les journalistes comme d’habitude, racontent des histoires”. La dame a dû souvent se tâter le nombril, se pincer le bras et regarder incrédule dans son couffin pour s’assurer qu’elle n’a pas mis au monde un enfant. Elle l’aurait tout de même bien senti, non ?
Comme une tablette de chocolat
On serait en avril que le poisson eût été de bon goût. Mais ne s’agit-il pas en définitive plutôt d’une inadmissible faute professionnelle, voire une forfaiture passée par pertes et profits. L’information est tout simplement fausse. Il semble bien que le ventre de la Première dame est aussi plat qu’une tablette de chocolat et qu’un tel heureux événement ne soit pas survenu dans la vie du couple présidentiel à cette période.
Les journalistes de SenePlus qui ont accompagné Mme Sall la semaine d’avant dans la ville de Fatick sont les premiers surpris d’entendre une telle sornette amplifiée à coups de décibels et étalée pleine page par la très sérieuse presse sénégalaise.
Buzz sur le net
Ainsi, nombre de rédactions ont fait les pleines gorges de cette info qui a buzzé dans le Net avec une rapidité extraordinaire. Elles n’ont même pas eu l’humilité de présenter des excuses pour cette grave déconvenue. Il y a bel et bien un manquement grave à la pratique journalistique qui traduit une insouciance et une incurie inqualifiables.
Comment un journaliste peut-il livrer une information non vérifiée, tirée d’aucune source sérieuse, la commenter et s’en gausser avec aisance et volupté ? Et continuer tranquillement son travail sans coup férir ? Où étaient les rédacteurs en chef pour empêcher cette débauche de bêtises en prônant la plus élémentaire règle : la vérification par le principe de la triangulation des sources, pour rappel : les sources officielles, officieuses et désintéressées ?
Erreur ou manipulation
Inutile d’épiloguer sur l’origine de l’information. Elle peut provenir d’une rumeur, d’une manipulation ou d’une erreur de personne amplifiée par les communicateurs de ‘’grand’place’’, à qui on peut pardonner l’ignorance ou le manque d’éthique sociale ?
Mais il est incompréhensible que les directeurs de publication n’aient pas songé à feuilleter leur carnet d’adresses pour débusquer un proche du président, de sa femme ou de la clinique pour s’assurer de la véracité de la survenance.
Il y a quelques années, la même presse avait annoncé la mort du président Mamadou Dia avant que sa famille ne se résolve à démentir la fausse nouvelle. L’homme d’État ne disparaîtra que bien des années après. Idem, avec le le défunt Khalife général des Tidianes Serigne Mansour Sy, donné pour mort, alors qu’au même moment il recevait des disciples. A chaque fois, la presse prend un bon coup sur la crédibilité. Mais rien n’y fait. Elle se masse le coup, boit sa honte, mais ne bat pas sa coulpe.
Le réflexe informel demeure et perdure et son image se dégrade en même que la profession de journalistes trustés par des bonimenteurs et des saltimbanques sans rigueur, sans éthique professionnelle. Les structures de régulation de la presse et d’encadrement éthiques ont raté là une occasion de rappeler ce qui devait être chaque jour le viatique du journaliste et la morale de l’éditeur : le devoir d’informer juste et vrai.
Le plus grave se situe certainement dans l’erreur d’appréciation d’une telle information et sa valeur sociale. Les journalistes tentés par l’information ‘’People’’ ont oublié ou ne savent pas que la naissance d’un fils d’un président en exercice est un évènement aussi ordinaire que celle pour n’importe quel autre enfant. On n’est pas dans le cas de figure du cas de la princesse Kate et du prince William dont la progéniture est l’héritière naturelle du trône. Le Sénégal n’est pas un royaume. Et le fils ou la fille du Président Macky n’est pas un prince ou une princesse.
La vitesse et l’empressement avec lesquels ce dérapage professionnel a été enterré ne peut cacher l’indignation de ceux qui lisent, écoutent, regardent et surfent dans la presse. Celle aussi de ceux pour qui le métier de journaliste est très respectable. Pour autant que ceux qui prétendent l’incarner, le respectent…
Alors que le Code de presse nouvelle version s’apprête à être voté par les députés, il y a là matière à réfléchir sur le devenir du métier de journaliste. Et de s’en inquiéter vraiment… Fort heureusement tous les organes de presse, ne sont pas tombés dans le panneau. Il y a encore des mohicans qui s’accrochent aux piliers du temple.