LA RÉFORME DES INSTITUTIONS, PRÉALABLE A L’ÉMERGENCE ÉCONOMIQUE
Quand il s’était agi dans l’entre-deux tours de la présidentielle de 2012, de mobiliser toutes les énergies pour se défaire de “l’hydre wadiste”, le candidat Macky n’avait pas hésité, une seconde, à aller rendre une visite de courtoisie des plus attentionnées au doyen Amadou Mahtar Mbow. Cela lui vaudra d’ailleurs le soutien précieux du Comité national de pilotage des Assises nationales qui, face à la volonté clairement manifestée du challenger de Wade d’endosser les conclusions de leurs travaux, en appellera «à toutes les parties prenantes et à l’ensemble du peuple sénégalais à se mobiliser autour du candidat Macky SALL».
C’est pourquoi beaucoup de Sénégalais continuent encore de s’interroger sur la pertinence et/ou l’opportunité de la mise en place de cette CNRI, d’autant que la quasi-totalité des partis et mouvements de la nouvelle mouvance présidentielle avaient avalisé la charte de gouvernance démocratique et les principales conclusions des Assises nationales.
Certes, le nouveau président, qui aurait eu la franchise d’annoncer très tôt et publiquement ses réserves sur certaines dispositions issues des Assises nationales, les taira pudiquement durant l’entre-deux tours (habileté politique ou calcul politicien ?), le temps de se saisir du gouvernail présidentiel.
Après sa brillante victoire du 25 mars 2012, le président Sall, grâce aux précieuses voix de ses alliés, voyait sa marge de manœuvre considérablement élargie et faisait face à de vénérables et respectables leaders, tout heureux d’avoir réglé son compte à leur vieil et opiniâtre adversaire libéral, au point de verser dans une naïveté affligeante.
En effet, subjugués par le fameux et alléchant slogan : «Gagner ensemble et gouverner ensemble», les alliés de Macky firent mine de ne pas voir qu’il avait désigné un homme politique au ministère de l’Intérieur, n’envisageait nullement de supprimer le Sénat, encore moins de se défaire de sa casquette de secrétaire général de l’Apr, autant d’actes en porte-à-faux avec les exigences citoyennes contenues dans les conclusions des Assises nationales.
Il est vrai qu’entretemps, la méga-coalition Bennoo Bokk Yakaar, affaiblie par les rivalités stériles et funestes entre ses principales composantes sur la question de la candidature unique, avait renoncé à des accords programmatiques- si minimes fussent-ils- avec le nouveau Président, qui semblait donc bénéficier d’un blanc-seing que rien ne justifiait à priori.
“A quelque chose, malheur est bon !”
Les conclusions des Assises nationales, que certains détracteurs présentaient comme des “lubies de gauchistes illuminés” allaient recevoir une nouvelle crédibilité et une onction scientifique grâce au caractère institutionnel conféré par les décrets présidentiels à la Commission nationale de réforme des institutions, ainsi qu’à la reconduction et au renforcement d’une démarche méthodologique reposant sur des procédures éprouvées en matière d’enquêtes qualitatives et de recherches socio-anthropologiques.
En outre, le budget mis à disposition, la collaboration avec des organisations telles que l’Oncav et la Plateforme des acteurs non étatiques allaient permettre à l’équipe de la CNRI de réussir un maillage complet de toute l’étendue du territoire national (y compris la diaspora) et une consolidation de qualité du processus participatif.
Les conclusions issues de panels citoyens organisés autour de guides d’entretien, sur la base d’échantillons représentatifs seront soumises à des porteurs d’enjeux, pour en tester non pas la validité mais plutôt l’acceptabilité, dans une quête exaltante mais ardue de consensus national, en coopération étroite avec la presse, les partis politiques, les organisations de la société civile et les familles religieuses.
Au finish, même si les conclusions issues des Assises nationales et celles produites par la CNRI présentent beaucoup de similitudes, elles sont loin d’être identiques et on peut même noter des régressions, sous certains rapports. Il ne pouvait en être autrement, en raison d’une plus grande prise en compte des opinions des populations rurales et de l’élargissement de la catégorie des porteurs d’enjeux à des décideurs proches de la galaxie présidentielle.
Tapage médiatique
Dans la dernière période, la scène politique sénégalaise a connu, une agitation intense, marquée par un tapage médiatique des plus assourdissants autour du Plan Sénégal émergent, du Club de Paris et du voyage officiel en Chine du Président, autant d'initiatives dont il est attendu des retombées économiques importantes.
Avant cela, dès après les législatives, le régime de Macky s’était engagé dans la traque aux biens supposés mal acquis et la réforme de la décentralisation plus communément désignée sous le vocable d’Acte 3 de la décentralisation. Il y a aussi eu des mesures sociales comme les accords syndicaux visant une pacification des secteurs sociaux en ébullition, les bourses familiales, la couverture-maladie universelle et la baisse des loyers répondant à une nécessité politique de régler les urgences sociales et de satisfaire l’inextinguible soif de changement des Sénégalais.
On pouvait également noter le souci réaffirmé du nouveau président de procéder à une réforme de l’État, de moderniser l’Administration comme le montre l’audit de la Fonction publique qui vient de s’achever, autant de jalons pour assurer aux citoyens le droit d’accès à l’information sur le fonctionnement de l’administration et la gestion des affaires publiques.
A ne considérer que les deux exemples les plus caractéristiques, on note que les lenteurs procédurières dans la traque aux biens mal acquis, montées en épingle par certains secteurs de la presse et les organisations des droits de l’homme ainsi que la levée de boucliers qui a accompagné l’adoption de l’Acte 3 de la décentralisation auraient pu être évitées si ces initiatives s’étaient inscrites dans une dynamique globale d’amélioration de la gouvernance démocratique avec davantage de concertation et moins d’esprit partisan, ce que seule une véritable refondation institutionnelle devrait permettre de réaliser. C’est précisément tout le sens du travail confié à la CNRI.
Force est de constater, cependant, que depuis bientôt deux ans, la vie politique nationale reste dominée par une forte propension à user d’effets d’annonce dans la perspective des prochaines joutes électorales, que ce soit les locales de cette année ou la présidentielle de 2017.
C’est donc au milieu de ce tumulte folklorique et électoraliste autour du Plan Sénégal Émergent, que fut organisée, en quatrième vitesse, le 13 février 2014, à la veille d’un long périple présidentiel, la cérémonie de remise du rapport de la CNRI au président de la République. Presque 17 mois, jour pour, s’étaient écoulés depuis ce 14 septembre 2012, date à laquelle, le chef de l’État avait annoncé son intention, lors de la Journée des Institutions, de mettre en place une CNRI.
Il avait encore fallu attendre le mois de mai 2013 pour que soient publiés les deux décrets présidentiels instituant la Commission et nommant son Président, en l’occurrence, le Amadou Mahtar Mbow. Enfin, la remise du rapport final, qui devait intervenir en décembre 2013 connaîtra presque deux mois de retard.
Autant dire que le régime du président Macky Sall, qui prenait tout son temps, avait entretemps eu le temps de changer, par trois fois, de politique économique (stratégie économique du Yoonu Yokkute ; stratégie nationale de développement économique et sociale ; Plan Sénégal Émergent) et de faire adopter l’Acte 3 de la décentralisation par une Assemblée aux ordres et ne semblait pas accorder à la refondation institutionnelle toute l’importance qu’elle méritait.
C’est pourquoi certains observateurs le soupçonnaient fortement d’avoir voulu faire de la CNRI un instrument pour ranger dans les "tiroirs présidentiels" des questions, qui étaient au centre de la défiance populaire vis-à-vis de Wade : celles de l’émergence citoyenne et de la refondation institutionnelle.
Inéluctabilité des reformes institutionnelles
Malgré tout, et comme le laissaient fortement présager les douze années du règne chaotique qui ont suivi la victoire du PDS et de ses alliés en 2000, le peuple sénégalais, après les alternances réussies de 2000 et 2012, aspire encore et toujours, sur un fond d’exigence de satisfaction de l'incontournable demande sociale, à l’instauration d’une culture de reddition des comptes, au suivi-évaluation des politiques publiques, au renforcement de la décentralisation et de la démocratie locale.
Il y a également que les citoyens sénégalais, grâce au remarquable rôle de veille des organisations de défense des droits de l’Homme sont devenus plus exigeants en matière de droits et libertés fondamentaux. Y ont contribué également les multiples bavures policières, les abus en matière de garde à vue et les interdictions arbitraires de manifestations publiques. C'est ce qui justifie la volonté réaffirmée des Sénégalais exprimée lors Assises nationales d’instituer une charte des Libertés et de la Démocratie.
Un des plus graves préjudices qu’aura causé le pouvoir wadiste aux traditions républicaines de notre pays a été le bouleversement de l’architecture de l’Administration sénégalaise rendue de plus en plus informelle. C’est ainsi que des corps comme ceux des administrateurs civils, magistrats, corps de contrôle, fonctionnaires du cadastre ont vu une amélioration spectaculaire de leurs statuts ou primes occultes de la part d’autorités désireuses de faire oublier leurs tripatouillages, frasques et scandales récurrents sur les questions foncières, le découpage administratif, le processus électoral, la gestion des deniers publics et les questions de sécurité publique.
Jamais, autant que durant les deux mandats de Wade, l’exécution de la loi des finances n’aura subi les caprices du premier magistrat de la Nation, donnant lieu à un accroissement de la dette intérieure, des dépassements budgétaires et un recours exagéré aux marchés de gré à gré.
La prééminence de l’Institution présidentielle sur le Parlement et le pouvoir (ou autorité) judiciaire a été renforcée par la Constitution de 2001. Elle a été à l’origine d’une instabilité institutionnelle quasi-caricaturale, avec le record mondial de remaniements ministériels, l’accentuation de la fonction de chambre d’enregistrement du Parlement (unicaméral ou bicaméral) et une impunité des plus révoltantes pour l’entourage présidentiel et certains membres des forces de sécurité. Tout cela a donné lieu à la glorieuse journée du 23 juin 2011 et aux révoltes citoyennes pré-électorales ayant contribué de manière décisive à la défaite de Wade.
On ne peut donc qu’être sidéré devant les déclarations de doctes professeurs, qui estiment que «le Sénégal n’est pas dans une situation de crise, de rupture ou de révolution nécessitant une refondation de l’État et de l’ordre constitutionnel».
Il n’est pas alors exagéré de parler de tentative de récupération d’une révolution (citoyenne) par la nouvelle majorité au pouvoir !
Les responsables de l’APR et leurs alliés de Bennoo Bokk Yakaar doivent faire abstraction des préoccupations politiciennes et électoralistes et baser la communication gouvernementale non sur la création d'un imaginaire collectif et populiste mais sur le vécu quotidien des citoyens sénégalais.
Ils doivent enfin comprendre, que plus que les milliards des partenaires techniques et financiers c’est la mobilisation des énergies populaires par l’émergence citoyenne à travers une véritable refondation institutionnelle, qui est une condition sine qua non de l’émergence économique !
Pour que vive le référendum sur les réformes institutionnelles !