LA RÉPUBLIQUE DOUCHÉE
PAR TOUTATIS
Revoilà que la horde furieuse des plumitifs de Rome vient, une fois de plus, de se ruer hargneusement, toutes plumes dehors, vers le petit village gaulois niché au cœur du Baol. Pour dompter, dans un ultime assaut médiatique, ses irréductibles peuplades, coupables, pour eux, d’avoir brûlé leur dieu de la République. Puis, suprême affront, de refuser à César, le Royaume de leurs cieux. Rendant insolemment à leur Dieu ce qui fut cru être à César, et à Dieu, César lui-même et tout son Empire qui, pour ces frustes, étaient à Dieu.
SAPRISTI
Pourquoi donc cette colère de la Légion romaine contre Touba ?
En réalité, la deuxième Alternance devait être l’occasion, si longtemps rêvée, de verser enfin, sur l’autel de Dêmos, le sang encore fumant du Dieu jaloux. De trancher, sur le rêche billot du Panthéon des Institutions laïques, l’ultime tête de l’Hydre mouride, fraîchement incinérée aux urnes citoyennes. Les laïus romancés du citoyen ordinaire ; le jet, désormais aisé, des chefs dans la fosse aux lions ; les cantiques litaniques sur la fin des privilèges et autres élégies sur la mort du ndigël ; tout cela conforta Rome sur la victoire.
Les auspices avaient vu juste. Leurs oracles avaient pénétré les livres sibyllins. Toute la Gaule, ainsi, fut conquise. Alléluia ! Toute la Gaule ? Oui, toute, Caesar. Toute, oui, sauf le plus gros village de ton empire. Aussi le ministre de Rome est-il venu, a-t-il vu le Calife et a vécu ses brûlures. La guerre des dieux n’était donc pas finie.
AVE CÉSAR, MORITURI TE SALUTANT...
Dangote et les daaras, la parité et le statut, Touba et El Pistoléro, tout montra qu’elle ne faisait que commencer. Et que l’écho du chant des résistants, entonné par la lyre honnie du Barde poilu, risquait bien de couvrir le hâtif chœur triomphal des Vestales et leurs Aubades sépulcrales. Extrême, fut la frustration. Ire profonde et sourde de ne pouvoir trancher, une bonne fois, à jamais, dans la Cité, l’infinitude de têtes «régénerescentes» de l’Hydre de Dieu.
Ô rage, ô sinistre fardeau de Sisyphe ! Il fallait donc, pour les prêtresses de la République, ses proconsuls et leurs magistrats, pousser l’empereur à prendre la mouche et à briser, enfin, le fruste village Toubois et ses Mourides barbares. En le traitant de royal coq mouillé. En titillant, avec des cris effarouchés d’orfraie en transe («A moi, la République !»), sa sensible fibre républicaine.
Par des coups de boutoirs d’éditaureaux sur le Donjon impérial, force brûlots catapultés par-dessus le pont-levis de Roume. Embrasant, attisant, tisonnant, fourrageant, âprement, pour qu’enfin le feu prenne. En le suspectant aussi, et surtout, malgré tout son impérium, de s’être ignominieusement couché, rampant, son dieu avec, pour téter la potion magique des druides de Touba. Touba, encore Touba, toujours Touba. Mais, par Dieu, pour- quoi donc Touba ?
PARBLEU
Pour une raison très simple : Touba est devenue la plaque tournante de l’islam au Sénégal. La dernière citadelle qui, silencieusement, irrévérencieusement, fièrement, résiste à Rome ; qui ose encore défier ouvertement, violemment, l’empire et ses sublimes naqasaqandanguités. Le dernier rempart. Ce, malgré les douves subrepticement creusées sous ses murailles par ses faux moines. Une forteresse du petit prince que même les tartares wahhabites, autres conquérants non moins hardis, tentaient, eux aussi, de prendre.
De l’intérieur, eux. Loups cruels, drapés de naïfs chaperons blanc moutonneux, attendant, pour asséner le coup fatal, de profiter des craquelles du monastère, laissées béantes par les tartuffes du sanctuaire. Le mot d’ordre, partout, fut le même. Il faut marcher sur Touba, l’enflammer. Légionnaires et centurions, cep de vigne sur le cœur, en position. La guerre de Touba aura bien lieu.
Si Touba tombe, oui, tout le royaume des cieux leur tombera sur la tête. Pourtant, étonnamment, longtemps avant, le fondateur l’avait auguré. En demandant au Dieu Unique d’en faire un rempart pour ses valeurs. De sorte que le cœur de ses ennemis, à jamais, restasse meurtris de dépit. Et cela, et César, et les prêtres, et les tartares, ne semblaient en avoir cure.
DIANTRE
Le temple de Rome, pourtant, bruissait, de plus en plus, de bruits étranges. Des Gaulois de Rome racontaient, en effet, et sous le boisseau, que les prêtresses de Rome n’invoquaient, en réalité, les déesses Justice et Etat de droit que certains jours. Que le céleste credo de la République, le saint bréviaire citoyen, n’étaient évoqués, récités que parcimonieusement.
Quand il s’agissait surtout de chasser les moines fiers, de la cité vers leurs austères monastères. Ou de brûler leurs superstitions païennes sur le bûcher de la laïcité. Mais qu’elles feignaient de l’oublier les autres jours.
Lorsqu’il s’agissait, par exemple, pour les prêtresses de la presse de payer la dîme au Trésor public. Réclamant même à César - ô suprême forfaiture ! - d’éponger royalement leur dette fiscale au Peuple. En contrepartie de papyrus fort laudatifs et volontairement oublieux des dérives de Rome et de César. Laissant la Plèbe, sans pain, aux jeux. Et au cirque démocratique. Funeste poudre aux yeux du Peuple, pauvre Peuple, qui, quelques fois, de guerre lasse, est même tenté d’y croire. Hélas ! Mille fois, hélas !
L’on raconte aussi, sous un autre boisseau, qu’au Capitole, la rigueur de la divine loi y était sélectivement requise. C’est ce qui se dit. Les Assises pour les pyromanes (ce qui se comprend), surtout gaulois et leurs ancêtres (ce qui se comprend davantage), mais pas pour les ouailles de la République. Tels ces honorables légats qui, à Matam, tirent à feu sur le gibier des foules ou, à Ogo, les prennent en otages. Ni d’ailleurs pour les casseurs du bien public, à Grand-Yoff ou au Plateau, ni les syndicats en feu ni les étudiants pyromanes.
Les insultes de Bara sont un outrage, les injures de Cissé un hommage. Le Western burlesque du Pistoléro, wanted alive et dégainant plus vite que son ombre, ne saurait, en effet, souffrir des sauvages vendettas du Far West. L’on ne réclame pas, non plus, la tête du scribe fraternel qui a rendu public les injures, non, l’on veut plutôt dépénaliser son délit. C’est bien un confrère, donc de la confrérie.
Mais l’on ne se gênera pas de réclamer, urbi et orbi, celles qu’il a enflammées. Ils les verraient bien, d’ailleurs, ces têtes, tiens !, de ciguë imbibées, tranchées par l’horrible Bellone, puis servies au maléfique Orcus, et livrées, pour en faire des torches humaines, à son cruel cerbère des enfers. C’est vrai que la loi doit être là, et dure, pour tout le monde. Dura lex, sed lex, disaient- ils. Mais elle devait surtout l’être pour un monde. Le monde des moines. C’est donc pour cette Gens du Temple, brûler la République que de brûler la maison d’un honorable qui se déshonore.
Certes. Car la loi du talion n’a pas droit de cité dans la cité. Certes. Mais ce n’est aucunement la brûler, pour les prêtres de César, et étrangement, que de voir César préférer sa curie à la Plèbe, mettre sa fratrie au-dessus de la patrie, sombrer dans la funeste gabegie électorale, faire allégeance à la France et se coucher aux pieds de Navarre, absoudre des transhumances casserolées sous les marronniers. Non, ça c’était les privilèges du Roi. Et les vestales étaient désormais pour le Roi. Anciennes conjurées, longue vie au Roi, était devenu leur triste cri de ralliement. Les voies de la République étaient assurément, à Rome, impénétrables...
ALEA JACTA ES !
Il se dit aussi que, dans le Domus Augustana, les anciens croisés de la République, ces preux du Peuple, ayant combattu, dans le passé, sous le soleil brûlant du 23 juin, au nom du dieu démocrate, avaient désormais troqué leur harnais et leurs carquois ensanglantés contre des baldaquins dorés et des chars patriciens étincelants. C’est ce qui se dit. Et que, du Peuple dont ils portaient, antan, la robe d’avocat, ils en étaient devenus, sans rien dire à Thémis, étrangement étrangers. Ayant retourné cette robe éculée, troquée contre la toge veloutée de procureur du Roi. Nouveaux adeptes des terres de la République brûlées ?
Il se susurre même que les festins gargantuesques de la Curie des Madiambus, bien qu’elle ne se nommât plus, depuis belle lurette, Diagnetourix, y sont désormais quotidiens. Le très ancien héritage d’anticléricalisme atavique des nouveaux Voltaires, légataires de l’irrévérence des Lumières envers la religion et les religieux - où le signe ultime de la libre-pensée fut d’insulter Dieu et ses Prophètes - semblait même se diluer dans le banal amour du lucre. Jamais reniement républicain, depuis l’Enéide et Auguste, des plaines du Latium et du Palatin, aux flancs du Tibre, ne fut plus spectaculaire. L’Empire reconnaîtra bien les siens, me disais-je, aussi.
D’où la question que se posait désormais, au Forum, la Plèbe. N’était-ce pas un problème plus global d’éthique et d’ascèse de leurs chefs ? Plus prompts à manipuler les institutions républicaines dans le sens de leurs propres intérêts, qu’un problème spécifique au hameau de Touba ? A quelle République, sacrebleu, devaient-ils se vouer ?
Soudain, de cette foule, dont le vénérable Horace disait, dédaigneuse- ment : «Odi profanum vulgus et arceo», surgit un sombre Hérault, en guenilles Ndiakhass, tignasse au vent, sébile à la main, pour crier, du parvis du Forum, au Grand prêtre du Capitole et à la foule interdite, massée devant le Colisée :
«Une République, Messires, c’est plus que ça. Ça devrait être plus que cela. La République, Monseigneur, permettez, n’est pas un dogme tombé, on ne sait trop comment, du ciel des dieux grecs, qu’il nous faille adorer, tête baissée. Les yeux fermés. Ce n’était pas, non plus, un principe théorique aux mains d’une oligarchie qui n’en invoque les valeurs que lorsque cela l’arrange. Girouettes patriciennes qui n’hésitent jamais à fouler insidieusement au pied ces mêmes valeurs, au gré du vent de leurs intérêts. Si la plupart de vos sujets, Sires, ne croient plus en cette chimère, était- ce faute d’avoir eu des modèles parmi vous qui êtes censés incarner cette mythique République ? Comment se faisait-il que, jusqu’à nos jours, cette République et cette démocratie dont vous vous targuez si bruyamment n’aient réussi à nous sortir de l’ornière de la misère et laissent cette belle vitrine au bas de l’échelle des nations ? Que donc le premier d’entre vous, prêtres ou sodalités, qui n’ait jamais péché contre ce dieu, ose me jeter le premier boomerang...»
L’insensé toisait le forum. Son verbe, haut, d’impertinence, remuait Rome.
«A bas la République !»
Le cœur de César brulait. Toute sa basse cour avec. La voix caverneuse du Tribun, derechef, tonna dans le vide sidéré des arènes. Le Sénat était suspendu.
«A bas votre République ! Une République, Messires, ça doit être l’émanation directe du Peuple réel, de nous-mêmes, et une expression politique, sociale et culturelle de l’intérêt général. Qu’on se le tienne pour dit. L’on ne pourra jamais construire une véritable République chez nous, une République créée par et pour nous autres citoyens, en jetant notre foi et nos croyances à Mbeubeuss. Le jour où le génie de notre Peuple réussira à brûler cette parodie de République, grossier plâtrage sans art, greffe informe et biscornue, rejetée par notre corps social, adorée par une infime minorité de bonnes gens se targuant pompeusement d’avoir lu Montesquieu et les Grecs. Pour inventer sa propre République, bâtie sur son propre projet de société, sur les valeurs cardinales auxquelles il se reconnaît, sur ses propres visions et sentiments. Une République, en un mot, qui battra à notre pouls. Ce jour- là, l’on verra que l’énergie fantastique déployée, dans le passé, pour bâtir des villes et des divines bâtisses, nous permettra, dans l’avenir, de bâtir des usines et des universités.»
CÉSAR SE TORRÉFIAIT
«Que nous importe, Romains, vos rancœurs et vos emportements ? Que nous importe votre dédain ? Ne nous avez-vous pas depuis toujours, nous Gaulois, honnis et condescendus ? Cela nous a-t-il empêchés de cheminer ? Comment pourrions-nous, d’ailleurs, comprendre que les modèles politiques dont vous prétendez vous inspirer puissent envisager de créer leur 3e, 4e, 5e République, alors que la vôtre, plus d’un demi-siècle après ses indépendances, persiste inconsidérément à ne jamais envisager sa refondation ? Une refondation qui devrait même, vu les circonstances d’inappropriation dont nous en héritâmes, aller beaucoup plus profondément, plus courageusement, dans le tréfonds de notre histoire, de notre vécu, pour, à notre système politique, trouver ses propres racines socioculturelles.
Pour construire cette future République, dont nous tous rêvons, il nous faudra d’abord oser interroger la formulation actuelle de votre République qui, dans l’esprit d’une partie des élites, est presqu’élevée au rang de dogme. Tant que le paradigme de cette nécessaire refondation, qui va beaucoup plus loin que de simples Assises ou refondations techniques des institutions, ne sera pas accepté et discuté par notre intelligentsia, sans aucune condescendance ou dogmatisme, nous continuerons à assister à ce dialogue de sourd.
Le jour où cette étape sera franchie, l’on pourra voir ensemble comment s’accorder de façon consensuelle et inclusive sur les valeurs culturelles cardinales qui unissent l’essentiel de notre Nation. Nous pourrons ainsi élaborer notre propre acception de la laïcité qui, tout en protégeant la liberté de culte et l’équilibre des confessions, intégrera harmonieusement la dimension religieuse dans l’espace public utile et dans ses logiques de constructions.
Au lieu de tenter de l’en exclure artificiellement, comme le firent, avant vous, les nations où la religion fut historiquement perçue comme aliénante. Alors que, chez nous, elle fut depuis toujours, au contraire, libératrice et intégratrice. L’on pourra ensuite définir un projet de société ambitieux, bâti sur nos propres forces motrices endogènes, et sur nos identités réelles.
Penser, sur ces bases, à l’élaboration d’un système éducatif qui nous ressemble ; un système économique plus cohérent et plus efficace ; utiliser nos langues pour penser et créer ; renégocier, sur des bases plus saines, dans l’intérêt général, le contrat social entre pouvoir religieux et temporel ; réformer courageusement nos communautés religieuses, pour les débarrasser de leurs carences et en exploiter le substrat ; tirer profit de nos potentialités culturelles et dispositions psychologiques pour créer d’autres Khelcom ; inventer des statuts spéciaux adaptés, capables d’intégrer nos diversités dans notre unité ; combattre efficacement la déliquescence des mœurs et de nos valeurs qui tue notre Nation. Mais en attendant ce jour heureux, permettez-moi, Messires, de brûler le dieu, votre dieu, de la République.»
Joignant le geste à la parole, le Baye-Fall Gaulois, soudain, son lourd chapelet au cou, alluma, en chantant avec le Peuple, sous les yeux indignés de César et de ses Prêtres, une flamme qui, depuis ce jour, continue de briller dans le noir de l’antique cité. Comme pour rappeler à Rome qu’un dieu que l’on brûle ne saurait être la divinité éternelle digne d’être adorée par son Peuple.
«Actum est de republica !», fut le dernier cri de César, chancelant sous le coup fatal, «Toi aussi, mon Peuple ?», avant de sombrer dans le brasier.
Une République était morte, vive la République !
Akassa, César !
Note : Pour, de cet édit-eau impromptu, versé sur la flamme des récents éditos pyromanes et autres édi-taureaux béliers, goûter certaines gauloiseries et romanijades anachroniques, il eut naturellement fallu, tout jeune, goûter à la potion d’Astérix et de Spirou. Si si, je sais, je ne nous sous- entends pas, nous qui eûmes la chance d’être tombés dedans, tous petits...