MULTIPLE PHOTOSLA REINE DE LA SOIE
Thiane Diagne, créatrice et directrice de la maison jour-j couture
Avec sa maîtrise en Sciences économiques et de gestion, Thiané Diagne pouvait prétendre à un poste de cadre dans le public ou le privé. Mais la Directrice de la maison de couture « Jour-J » a préféré se consacrer, avec bonheur, à sa passion : la mode.
La vie est ainsi faite. elle cache ces caprices qui vous mènent vers des chemins que vous ne vous étiez pas forcément tracés. il s'agit de ces changements brusques de trajectoire qui surviennent quand vous vous y attendez le moins mais qui, en définitive, vous conduisent vers ce qui fera votre fortune et votre renommée. C'est ce qui est arrivé à Thiané Diagne, couturière et propriétaire de la maison de couture « Jour-J ».
Cette quinqua, au fil des années, a fini de se coudre une belle étoffe de notoriété dans le monde de la mode sénégalaise, sous-régionale, voire internationale. Le poncif accroché dans sa boutique de prêt-à-porter où on la voit poser fièrement avec un trophée que lui a décerné l'onu, en est une illustration parfaite.
Et puis, ce n'est pas pour rien qu'au mois de juillet dernier, l'organisation internationale de la Francophonie (oif) lui a confié l'organisation d'une résidence de formation sous forme de classe de maître destiné à huit jeunes créateurs francophones pour la conception d'une collection spécifique composée de cinq tenues pendant deux semaines. C'est dire que la réputation de Thiané Diagne dépasse bien les frontières sénégalaises.
UNE MAÎTRISE EN POCHE
Titulaire d'une maîtrise en sciences économiques et de gestion à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar et alors qu'un cycle de Dea lui tendait les bras, la native de Dakar décide subitement de refermer cahiers et livres. Elle déserte les chemins de l'amphithéâtre et emprunte les sentiers qui mènent vers le monde des strass et des paillettes, de la sape et du show business. Ce virage à 90 ° peut paraître surprenant de prime abord, sauf que des signes avant-coureurs, il y en avait.
Même si, jusqu'à présent, certains de ses camarades ne s'expliquent pas toujours ce choix de carrière aussi tranchant qu'un coup de ciseaux. « en même temps qu'ils le pressentaient, certains de mes amis n'arrêtent pas de me demander, jusqu'à présent, ce qui m'a décidé à embrasser ce métier », raconte-t-elle avec un grand sourire qui laisse transparaître toute la joie de vivre qui habite cette dame dont la chanteuse Viviane Ndour a chanté et vanté les mérites.
L’étonnement des amis de Thiané est bien légitime. Sous nos cieux, d'habitude, le créneau de la coupe et de la couture, fait partie, avec la mécanique et la menuiserie, de l'un des points de chute des rebuts du système scolaire. Alors pour une « maîtrisarde », cela peut bien laisser pantois.
Pourtant, celle qui, plus tard, fera de la soie son tissu de prédilection, savait bien ce qu'elle faisait et ce qu'elle voulait. D'ailleurs, sa première machine à coudre, elle l'a payée avec sa première bourse d'étudiante. « Je l'avais laissée à la maison et à mes heures perdues, je faisais de la couture. J'ai toujours aimé ce métier. il m'arrivait de changer un peu les tenues que les tailleurs me faisaient durant les fêtes ».
Même son option d'aller à la Faculté des sciences économiques et de gestion était guidée par cette sourde et brûlante ambition de faire de la haute couture. « Quand j'ai eu mon bac, on m'a orientée en Physique-chimie mais je ne voulais pas y aller donc j'ai tout fait pour qu'on m'amène à la Faseg parce que je m'étais dit que tôt ou tard, j'allais gérer mes propres affaires et pour cela, il fallait que j'aie une bonne base en gestion d'entreprise », confie l'ancienne du lycée kennedy.
Qu'importe si certains, au début, n'ont pas compris le choix de Thiané. Pour elle, s'était clair dans la tête qu'elle n'était pas faite pour devenir universitaire. et aujourd'hui, l'avenir lui a donné raison. Persuadée d'accomplir son inévitable destin ailleurs que dans un amphithéâtre, Thiané s'est imposée avec la hargne d'une ambitieuse. Entre ses mains, le tissu le plus sous-évalué, retrouve toute une valeur marchande.
Toute jeune, elle faisait des robes de poupées. A l'université, elle portait des tenues qu'elle confectionnait elle-même. Séduites, ses amies veulent s'habiller comme elle. La clientèle estudiantine afflue chez la dilettante. Les premières coupes ne sont pas un modèle de perfection. Trente ans plus tard, elle continue de rire de cette expérience : « Mes premières clientes étaient des amis et c'étaient mes cobayes », rit-elle aux éclats.
Mais Thiané aimait tellement ce métier que, ses examens de juin passés avec brio, elle refusait de se reposer. Ses camps de vacances ne sont ni les plages ni les soirées dansantes mais plutôt les ateliers de tailleur du quartier. « Même si je suis passionnée et que j'avais déjà quelques prédispositions, ce n'est pas un métier que l'on exerce comme ça du jour au lendemain. La formation est importante », dit-elle d'un ton modeste.
UNE SPÉCIALISTE DE LA SOIE
Après des années bizutage, Thiané se met finalement à son propre compte, à partir de 1992, en ouvrant un petit atelier de couture dans la concession familiale sise au scat urbam. « Je faisais, à l'époque, plus dans le prêt-à-porter que dans la couture », précise-t-elle. Cinq ans plus tard, face à l'afflux de ses clients et l'étroitesse de son petit atelier, Thiané migre d'abord à la sicap liberté 3 puis au sacré-Cœur où sa boutique, « Jour-J » trône majestueusement en bordure du décor de la circulation automobile rapide.
Aujourd’hui, c'est le lieu de convergence de toutes celles qui veulent bien paraître le jour de leur mariage. Et pourtant, que ce fut difficile au début ! « il fallait tout faire pour se faire une place. C'est pourquoi j'ai passé beaucoup de temps à créer pour faire la différence, d'apporter du nouveau, pousser les gens à venir vers moi ».
Aujourd’hui, au sénégal, quand on parle de la soie et de haute couture, les esprits se tournent vers Thiané Diagne. Ce tissu est la véritable signature des collections « Jour-J ». Elle a jeté son dévolu sur cette étoffe du fait de son « caractère universel », de sa « fluidité », de « l'élégance » qu'elle donne aux tenues. « Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais dès le premier contact avec ce tissu, je l'ai aimé et adopté. Son rendu est exceptionnel. Quand on travaille sur une matière et qu'elle nous donne tout ce qu'on veut, il n'y a pas de raison de ne pas l'aimer », dit-elle de la soie.
Auparavant, elle a participé à de nombreux séminaires-ateliers notamment avec l'académie de mode de Paris à son passage au Sénégal, pour renforcer ses capacités. En bonne perfectionniste, elle n'a jamais rechigné à apprendre.
Toute nouvelle expérience ne fait que l'enrichir. « J'ai participé à beaucoup d'autres séminaires et ateliers parce que ma conviction est qu'on n'apprend jamais assez, il y a toujours des choses à découvrir », philosophe celle qui a été très tôt convaincue qu'elle était prédestinée à la couture.
Son don, elle a dû donc le ciseler, le modeler et remodeler avant de rencontrer le succès. Dans cette quête de reconnaissance, elle a fait des Diouma Dieng Diakhaté, Collé Ardo Sow et elhadji kébé, ses références. Des couturiers qui ont déjà hissé haut l'étendard du Sénégal à l'international et à qui elle ne cessera jamais de rendre hommage. « Ces personnalités sont une fierté pour moi, c'est pourquoi quand je fais mes événements, j'essaie de les mettre au-devant de la scène. Elles ont beaucoup fait pour vendre la destination du Sénégal », témoigne-t-elle.
Apparemment, Thiané Diagne n'est pas de ceux qui pilonnent la vieille garde au nom d'une concurrence de mauvais aloi. Seules les grandes âmes savent faire preuve d'une telle marque de gratitude. Se rapprocher des anciens et se nourrir de leur expérience, voilà ce que Thiané Diagne conseille à la nouvelle génération de couturiers trop pressés et happés par les lumières évanescentes d'un succès souvent éphémère. « Les jeunes créateurs doivent côtoyer et profiter de l'expérience des grands couturiers.
Malheureusement, aujourd'hui, au Sénégal, les gens ouvrent des maisons de couture sans être couturier, ni styliste, ni modéliste. or, il faut aller à la source, découvrir le métier, et essayer de se former. Aujourd’hui, un jeune qui n'est pas formé ne peut pas aller loin », martèle-t-elle.