LA SOCIÉTÉ CIVILE VEILLE AU GRAIN
RÉDUCTION DU MANDAT PRÉSIDENTIEL DE 7 À 5 ANS
La promesse faite par le chef de l'État sénégalais de ramener son mandat de 7 à 5 ans et d'organiser un référendum au mois de mai 2016, déchaîne des passions. Des membres de la société civile encouragent Macky Sall à respecter la parole donnée.
Le chef de l'État sénégalais, Macky Sall qui a fait le choix déterminant de réduire son mandat présidentiel de 7 à 5 ans, semble se heurter à des objections de quelques membres de son parti. Certains, à l'image du député Moustapha Cissé Lô ou encore du porte-parole du gouvernement, Oumar Youm, l'encouragent à une volte-face.
Pour des membres de la société civile, le chef de l'État n'a pas intérêt à dévier de sa trajectoire. Il risque de signer son arrêt de mort dans le cœur des Sénégalais si jamais il ne respecte pas ses engagements vis-à-vis d'un peuple souverain.
Pour autant, le débat n'emballe pas, pour l'heure, toutes les forces vives de la nation, qui disent s'attendre à un débat de contenu. Et pour cause, "c'est Macky Sall qui doit se prononcer et non Benno Bokk Yaakaar, encore moins la coalition Macky 2012. C'est lui qui a pris cette décision de façon souveraine", croient savoir des membres de la société civile, interpellés sur la question par EnQuête.
Mais pour sa part, le secrétaire général de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'Homme (Raddho) en appelle au respect des règles du jeu démocratique. "Nous n'accepterons aucune initiative visant à changer ces règles du jeu. Ce sera vraiment dangereux pour le président Sall, si jamais il arrivait à se dédire. Car c'est lui qui a pris cet engagement devant le peuple, il est tenu de le respecter", pense Aboubacry Mbodji.
Qui poursuit : "Si on s'était mobilisé contre le régime de Wade, c'était à cause du "wax waxeet". La parole d'un président est sacrée, Macky Sall risque le même sort que Wade si jamais il arrivait à se dédire. Nous avons refusé cela à Wade, nous ne l'accepterons pas pour Macky. C'est devenu notre jurisprudence, car ce genre d'attitude porte atteinte à la crédibilité de nos institutions."
Pour certains affiliés de la société civile, s'il a été question de dire non à une forfaiture de Wade, la donne a beaucoup changé, les contextes ne sont pas les mêmes. Ils encouragent, pour autant, Macky Sall à respecter la souveraineté populaire même s'il a eu l'initiative de passer d'un septennat à un quinquennat.
"Nous ne devons pas créer des tensions"
Dans ce débat, le responsable de la Sidh, M. Mamadou Diallo livre sa position. "Nous ne sommes pas dans le même contexte. C'était beaucoup plus grave avec l'ancien chef de l'État sénégalais, Me Abdoulaye Wade. Il était question à l'époque d'un tripatouillage de la constitution qui visait une dévolution monarchique. Wade voulait forcer un troisième mandat, le peuple a dit non, soutenu par les forces vives de la nation. Dès lors, Le leader de la Société internationale pour les droits de l'Homme (Sidh) trouve illogique de présager un soulèvement populaire vu qu'il n'est pas question de manquement à des obligations constitutionnelles".
Toutefois, il tient à rajouter : "Quand un président de la République qui incarne une institution fait des promesses à la population, il doit trouver les voies et les moyens de les réaliser, même si ses partisans ne sont pas d'accord. C'est un débat avant-gardiste."
Pour d'autres membres de la société civile, l'urgence pour l'heure est que Macky Sall livre le contenu du référendum qui vise la révision de la constitution, avec des réformes institutionnelles en vue. "Nous ne devons pas créer des tensions. Le chef de l'État a pris des engagements, attendons de voir". La réaction est d'un influent leader de la société civile, un avis partagé par d'autres. Tous consentent à souligner qu'il faut élargir ce référendum à d'autres questions liées à la constitution.
A ce propos, le chef de la Sidh, Mamadou Diallo, de s'interroger sur la pertinence du référendum s'il doit uniquement se focaliser sur le mandat présidentiel. "Elle souffre d'objectivité, car pourquoi vouloir mobiliser des milliards de Fcfa pour ce référendum si c'est pour ce point précis ? Nous avons contracté beaucoup de dettes pour atteindre les objectifs du Plan Sénégal émergent (Pse). Macky Sall doit exprimer explicitement sa volonté, le peuple saura apprécier ; un référendum coûte cher, à moins qu'il ne prévoit des réformes institutionnelles."
Dans le même élan, le secrétaire général de la Raddho, Aboubacry Mbodj salue la volonté du président de la République de soumettre cette décision au peuple par voie référendaire au lieu d'opter pour la voie parlementaire, en raison d'une Assemblée nationale qui se caractérise par sa majorité mécanique.
Mais à l'image de ses pairs, il pense que ce quatrième référendum, organisé au Sénégal, doit prendre en considération, les propositions de réformes faites par la commission nationale de réforme des institutions. Entre autres, il ne sera plus question pour le ministre de la Justice de même que pour le président de la République de siéger au sein du Conseil supérieur de la magistrature, ce, en vue de procéder à des séparations du pouvoir et d'éviter qu'il y ait une mainmise de l'exécutif sur le judiciaire.
"Le président peut certes nommer des magistrats mais les autres devront être désignés par leurs pairs. Il sera aussi question d'élargir le conseil supérieur de la magistrature à d'autres. Qu'une fois que le président de la République sera élu, qu'il démissionne de son parti. Il est le président de tous les Sénégalais. Ainsi il ne sera plus pris en otage par son parti. Le référendum doit aussi aborder la question du financement des partis politiques", préconise le responsable de la Radho.
Des propositions de réforme qui agréent des alliés de la société civile qui estiment que Macky Sall s'inscrit dans l'optique de privilégier les intérêts de la nation à ceux de son parti.
"C'est ce qui explique toute cette agitation. Car pour certains apéristes, le pouvoir est un lieu de jouissance. Ils tiennent à ce que Macky Sall reste encore deux ans au pouvoir alors que celui-ci montre de plus en plus un détachement envers sa formation politique, qui manifeste du conservatisme. Le chef de l'Apr semble plus progressiste que les membres de son parti", analyse sous le sceau de l'anonymat un haut responsable de la société civile.