LA SOLUTION À LA TRANSHUMANCE
La vie politique sénégalaise est actuellement minée par une honteuse pratique, si honteuse que le dictionnaire Le Petit Larousse illustré, édition 2012, en a fait, comme nous le signale le brillant chroniqueur politique Mody Niang, une spécificité sénégalaise.
Quand on fustige le manque d’éthique des politiciens, quand la population marque de plus en plus son indifférence, son désintérêt voire un certain mépris pour la politique politicienne, quand être politicien est devenu au Sénégal synonyme de «menteur», d’«hypocrite», de «traître», «de sans vergogne », c’est surtout eu égard à cette scandaleuse pratique de reniement de leur parti d’hier et de leur conviction de toujours pour rejoindre, avec tambour et trompette, le parti du président de la République…
Cette pratique est devenue de nos jours, depuis l’accession au pouvoir d’un certain Maître Abdoulaye Wade, la chose la plus commune dans l’espace politique sénégalais, une réalité si honteusement banalisée, encouragée du reste en cela par tout président de la République chef de parti, que cela ne semble même plus faire scandale, du moins pour la plupart des politiciens.
Même si, selon l’ancien directeur du Cesti, Birahim Moussa Guèye (Bmg), la transhumance ne date pas d’aujourd’hui, c’est devenu tout de même au Sénégal une pratique récurrente, si courante et tellement «normale» de changer de camp, de retourner sa veste, de quitter le navire, que cela passe le plus souvent inaperçu.
C’est quasiment une mode de voir des politiciens migrer sans vergogne d’un parti à un autre, mais toujours en partance là où l’herbe est la plus grasse, surtout chaque fois qu’advient une alternance politique, qui est l’occasion de bouleversements et de changements importants dans les partis.
Barça ou barsakh, ce n’est pas seulement le cri de désespoir de tous ces jeunes qui périssent dans les pirogues pour rallier un monde qu’ils pensent meilleur que celui qu’ils quittent, mais c’est aussi celui de tous ces transhumants qui renient et fustigent sans état d’âme et sans vergogne aucune toutes leurs anciennes convictions pour rallier le parti politique de leur adversaire et concurrent d’hier devenu aujourd’hui président de la République.
Quelle solution ?
Supposons que le pouvoir du président de la République soit limité à un seul mandat non renouvelable de 6 ans, donc sans que ne pèse sur ses épaules la contrainte pour lui d’une réélection, la transhumance des politiciens ne serait-elle pas alors grandement réduite de même que la prolifération des groupuscules de partis politiques ?
En effet, les transhumants et les leaders de ces minuscules partis politiques n’existent que pour « racoler », que pour se « vendre » au plus offrant qui n’est nul autre que le grand manitou qui régit la cité. Nous savons tous que les politiciens ne se bousculeraient certes pas pour s’allier avec le président de la République s’ils avaient l’absolue certitude qu’il ne bénéficie que d’un seul et unique mandat sans aucune possibilité d’être réélu.
C’est donc, indubitablement, le système politique en vigueur qui favorise et conditionne cette réalité-là, de transhumance et son corolaire logique de massification du parti au pouvoir.
Ce système démontre au fond combien la pratique politique reste, au Sénégal, davantage sous l’emprise de positionnements et d’intérêts personnels qu’elle n’est orientée vers l’intérêt national. Combien de sacrifices, de trahisons, de fourberies, de coalitions, d’unions, de rassemblements et autres ne sont-ils pas mis en oeuvre, avec force moyens financiers, par le président de la République chef de parti pour en arriver à cette fin-là, qui semble prendre le pas sur toutes les autres : la massification du parti ?
En effet, cet objectif est à la source de toutes les ruses et de toutes les stratégies politiques de capture de voix et c’est cela qui, au fond, explique non seulement la transhumance, mais aussi toute la surenchère de médiocrité qui est liée au «concept» si prisé de tous les médiocres : «avoir une base», par lequel on peut prétendre à des postes de ministres, de conseillers du président et autres postures de commandement ou de gestionnaires dans l’administration centrale.
Si le président chef de parti cautionne cette pratique honnie de tous, c’est pour la seule et unique raison qu’il y trouve son compte. Les transhumants contribueraient à gonfler le nombre d’électeurs à son profit pour le faire réélire. N’étant plus ni chef ni membre de parti politique, n’ayant plus à briguer un second mandat, le président se soucierait-il d’une quelconque massification de parti ? Il est évident que cette préoccupation de tous les instants et cette hantise de massification cesseraient et ce serait bien fini aussi toutes les dépenses colossales puisées dans les caisses de l’État au détriment des populations, pour gagner à sa cause des leaders de parti.
Il existe donc bien une solution à la transhumance. La solution serait l’adoption de ma proposition, une vraie rupture qui constituerait une véritable révolution politique et civique qui bouleverserait les moeurs politiques aussi bien au Sénégal qu’en Afrique : un seul mandat pour le président de la République qui ne serait plus membre d’un quelconque parti politique, quel qu’il soit. L’attrait des transhumants pour le président cesserait. Pas de sucre, pas de mouches ! Comme du reste celui-ci aussi n’aurait plus besoin d’eux.
C’est pour discuter de cette importante question que le Laboratoire de l’imaginaire organise demain mercredi 30 avril 2014 au Centre Lebret, avenue Cheikh Anta Diop, à 15 heures, une table ronde sur La transhumance au Sénégal : causes, conséquences et remèdes. C’est une contribution et un combat civiques.
À cette occasion, le Directeur du Laboratoire de l’imaginaire, le Pr Ibrahima Sow, procédera au lancement de son dernier ouvrage qui porte le titre : Appel à la révolution politique et civique au Sénégal : Un seul mandat et zéro parti politique pour le président de la République.
Cet ouvrage apporte, entre autres indiscutables bienfaits, une solution politique dirimante à la transhumance.
Pr Ibrahima Sow
Directeur du Laboratoire de l’imaginaire
IFAN Cheikh Anta Diop