LA TERRE PROMISE DES MIGRANTS AGRICOLES
Les terres neuves

Dans les années 70, une migration dirigée des Sérères vers le Sénégal oriental fut organisée par le président Léopold Sédar Senghor pour décongestionner l’ancien bassin arachidier. Ainsi, la Société des terres neuves (Stn) vit le jour. Entre 1972 et 1982, 901 familles furent installées pour exploiter les terres arables de l’Est du Sénégal. Les premières années connaîtront un grand succès. Les rendements étaient multipliés par quatre ou plus par rapport aux terres dégradées du Sine. L’argent coulait à flot et en abondance pendant la traite arachidière. 43 ans après, que reste-t-il des Terres neuves ? Rien que des souvenirs des gens du terroir de cette période faste.
Maintenant, il est en terre conquise. Ancien colon Sérère, venu du Sine pour exploiter les terres fertiles du Sénégal oriental, le vieux Samba Guèye est devenu un notable dans le Niani. Il est chef de village de Darou Salam 2, autrefois appelé village 1, au temps du projet des Terres neuves. Apparemment colosse pendant sa jeunesse, l’homme a aujourd’hui des traits tirés. Le visage décharné par les épreuves de la vie.
Il est sur son déclin après avoir remué la terre pendant plusieurs décennies pour en extraire la graine précieuse. Son village est presque coupé du reste du Sénégal. La piste qui y mène est dans un état piteux. Elle est cahoteuse. N’eut été l’expérience de notre chauffeur Balla Thiam, qui est aussi dans son royaume d’enfance, notre véhicule allait s’embourber. Les flaques d’eau de pluie jalonnent le chemin.
Mais l’ancien camionneur embraye parfois, débraye, accélère, ralentit, fait un tête-à-queue pour contourner les obstacles. Dans le passé, M. Thiam a roulé sa bosse un peu partout dans plusieurs localités situées dans cette zone à la recherche de bois de chauffe qu’il transportait vers Dakar pour le commercialiser. Il est donc en terrain connu.
Après une quinzaine de kilomètres de course dans la brousse, voilà enfin Darou Salam 2 ou village 1. La presque totalité des habitations est constituée de cases en paille, construites avec de l’argile.
Pourtant membre d’une ethnie réputée très peu mobile spontanément, Samba Guèye a quitté son Sine natal en 1974, dans une migration dirigée et organisée par les pouvoirs publics d’alors, pour venir exploiter les terres arables de l’est du Sénégal. Le pays Sérère (le Sine) portait les densités rurales les plus fortes du pays. Les surfaces cultivables étaient devenues insuffisantes dans cette partie du Sénégal.
Cette surpopulation a aussi entrainé une dégradation du système agraire traditionnel dans le Sine. « Les Terres neuves est un projet du président Léopold Sédar Senghor. Dans les années 70, avec les cycles de sécheresse, les terres n’étaient plus fertiles dans l’ancien bassin arachidier, que constituaient les régions de Kaolack, Diourbel, Louga et Fatick. Il y avait aussi un surpeuplement par rapport aux ressources foncières disponibles pour l’agriculture.
Ce qui faisait qu’à chaque approche d’hivernage, il y avait tout le temps des batailles rangées pour le contrôle des terres. Constatant que le Sénégal oriental était une région très vaste et moins peuplée et les sols étaient très fertiles, le régime socialiste d’alors, aidé par la Banque mondiale (Bm), a créé la Société des terres neuves (Stn). Il s’agissait de prendre des paysans dans l’ancien bassin arachidier, surtout ceux de Fatick et de Diourbel pour les installer dans le Sénégal oriental », explique Serigne Dieng, technicien en horticulture et ancien magasinier de la Stn.
En quittant sa région natale pour migrer vers les Terres neuves, Samba Guèye était avec ses deux parents, aujourd’hui tous décédés. Sa première femme et ses enfants qui sont nés dans le Sine, étaient aussi du voyage. Au bout de deux ans, ses frères sont venus le rejoindre dans les Terres neuves. La maison était devenue trop petite pour accueillir toute sa famille.
Il fonda ainsi une nouvelle maison dans un autre village qui s’appelle Koukou. « Après deux à trois ans, je me suis rendu compte qu’il était difficile de faire la navette entre les deux villages. J’ai ainsi décidé de céder l’autre maison à mon oncle », relate nostalgiquement le chef de village de Darou Salam 2.
Avant de poursuivre : « Nous étions venus uniquement pour cultiver la terre. La première année, c’est la Stn qui gérait presque tout : le vivre, le matériel agricole, les semences, etc. Au début de l’hivernage de l’année 1974, chaque colon a eu droit à une paire de bœufs. On avait également donné à chaque père de famille de quoi acheter un âne », se remémore Samba Gueye.
S’APPROPRIER LES TERRES
A cette période, se confie le chef de village, « il y avait des intrants en qualité et en quantité ». Chaque père de famille avait 1,5 tonne de semences et son épouse, 500 kg. On divisait l’hectare en quatre portions. On cultivait le coton sur un quart et le reste était destiné à la culture arachidière. Il y avait beaucoup de rendements à l’époque. Nous avions des encadreurs avec nous dans les champs pendant les cinq premières années. C’est dix ans après que les récoltes ont commencé à connaître une baisse », raconte-t-il.
Aujourd’hui, dit-il, il n’y a presque plus de rendement dans les Terres neuves. L’engrais ne suffit plus et arrive tardivement. « Cette année, dans mon village, chaque carré n’a eu droit qu’à un sac d’engrais. Nous avons aussi un problème de terre. Les dix hectares qu’on nous avait octroyés au début ne suffisent plus. La famille s’est élargie. Nous voulons que les autorités déclassent la forêt de « GuentKhaay » pour que nous puissions augmenter nos surfaces arables », plaide-t-il.
Le chef de village de Darou Salam 2 craint aussi qu’ils soient dépossédées de leurs terres avec la communalisation intégrale. « Les terres que le projet de la Stn nous avait données sont des titres fonciers. Lorsque nous venions ici, nous étions comme des soldats en mission. Aujourd’hui, les choses ont changé. Les nouvelles communes veulent s’approprier les terres », dit-il.
Maintenant, poursuitil, un chef de village n’a plus le droit d’octroyer des parcelles à usage d’habitation comme il le faisait auparavant. Le village fait partie de la commune de Ndame. La majorité de ses habitants vient de Diakhao Sine, Ngoye, Bambey, Mbadane, Niakhar.
A une quinzaine de kilomètre de Darou Salam 2, Keur Daouda laisse aussi paraître ses cases. Mais que d’obstacles à franchir avant d’y arriver. La piste qui relie les deux hameaux est presque morte. Le chemin parsemé d’embuches. Le chablis barre de temps en temps la route, obligeant le chauffeur à user de son expérience pour se remettre sur le chemin. Des champs à perte de vue meublent le décor.
Le gazouillement des oiseaux nichés dans des halliers visibles de part et d’autre de la route rythment le trajet. Ce village est aussi fondé en 1974 avec 50 chefs de carré. Ses habitants viennent, pour la plupart, de Ngayokhème dans la région de Fatick. « Dans le Sine, il y avait un manque notoire de terres. La population augmentait. C’est ainsi que le président Senghor a eu l’idée de nous déplacer dans le Sénégal oriental qui était plus spacieux », relève Ngamby Ndiaye, petit frère du chef de village de Keur Daouda. Avant cela, souligne-t-il, en 1972, les villages de Diaglé et Darou Fall étaient déjà fondés.
« Pendant cette période, tout allait bien, contrairement à nos jours. Nous n’avons plus l’encadrement que nous avions à l’époque des Terres neuves. Parfois, nous avons même l’impression qu’on nous a oubliés. Nous étions bien formés et les récoltes étaient abondantes. Rien ne nous manquait. Nous cultivions peu et nous récoltions beaucoup », se rappelle nostalgiquement Ngamby Ndiaye.
2, 5 À 3 TONNES À L’HECTARE
A l’en croire, pour un hectare, ils récoltaient entre 2,5 et 3 tonnes d’arachide. Avec un hectare de mil cultivé, ils pouvaient vivre pendant toute l’année. « Actuellement, avec un hectare, nous ne pouvons même pas dépasser 800 kilogrammes d’arachide. Nous sommes sans formation. L’engrais arrive tardivement, souvent, au moment où nous n’avons plus d’argent pour en acheter. Nous sommes même en train de gâter la forêt. Nous défrichons beaucoup d’espace mais les rendements restent faibles », regrette M. Ndiaye.
Pour lui, ce sont les projets comme 4 R (renforcer la Résilience des communautés) et le Programme alimentaire mondial (Pam) qui leur viennent en secours pendant la période de soudure du fait des mauvaises récoltes. « Nous n’avons pas de problème de terre jusquelà. Mais maintenant avec l’Acte 3 de la décentralisation, les mairies commencent à nous créer des problèmes », estime le vieux Ngamby Ndiaye. Le village n’a ni une bonne route, ni de l’électricité mais ses habitants sont enthousiastes. Il n’y a aucun problème social, selon le petit frère du chef de village, ni entre eux, tous des Sérères venus du même village, ni avec les populations trouvées dans la zone.
Modou Ndiaye, chef de village de Keur Daouda est aussi témoin de toute l’histoire des Terres neuves. Pour lui, les rendements ont beaucoup chuté, mais les conditions de vie sont aujourd’hui meilleures dans le village.
« Il y avait beaucoup de difficultés au départ. Nous n’avions pas d’eau. Nous faisions des kilomètres pour aller puiser le liquide précieux. Il y avait que cinq charrettes dans tout le village. Il y avait même parfois des difficultés à écouler notre production. Mais ce problème a été vite réglé », témoigne le chef du village.
Maintenant, note-t-il, la difficulté est liée au retard des intrants et à l’absence d’électricité dans le village. De son côté, Thièllem Ndiaye dit être nostalgique de son village d’origine. « Si j’avais la possibilité de retourner dans mon village, j’allais le faire », déclare le colon Sérère. Le village de Keur Daouda fait partie de la commune de Méréto, ancienne capitale des Terres neuves.