LA TRANSHUMANCE : DE L'HOMME… A L'ANIMAL
La transhumance instrumentalise les hommes ou femmes politiques en quête de prébendes, de promotion politique, voire de parapluie pour les prédateurs de biens publics...
La transhumance, du latin trans (de l'autre côté) et humus (la terre, le pays), est la migration périodique d'une part du bétail (bovidés, cervidés, équidés et ovins) de la plaine vers la montagne ou de la montagne vers la plaine, d'autre part des abeilles d'une région florale à une autre, et ce en fonction des conditions climatiques et donc de la saison.
Ramenée à la réalité humaine et à l'échelle politique, ce vocable, selon Le Petit Larousse illustré (2012) renvoie à ceci : «Adjectif, qui effectue une transhumance ; *nom, Sénégal, personne qui quitte son parti d'origine pour adhérer à un autre, généralement au pouvoir». Tout dans l'expression bestialise les transhumants et les sanctionne, parce qu'elle est chargée d'une image très négative, celle du troupeau qui ne se déplace que pour rechercher des pâturages plus verts. Il y a, comme qui dirait, quelque chose à la fois de tragique et de dramatique dans ce que cette notion suggère.
La transhumance sonne ainsi comme une dénégation de ce qui fonde notre humanité. Et la tragédie se mêle au drame, en ce que la métaphore du «bétail à la recherche des prairies vertes» renvoie à ce que l’homme a de plus bas : son instinct. Elle rabaisse l’humain au stade d’animal qui est à l’écoute de son ventre, de ses désirs… Mody Niang, dans l’une de ses célèbres contributions compare les transhumants à des «mbaam-xuux (des cochons, des porcs), ces tristes individus suivent leur seul instinct d’assouvir leur faim et leur soif de prébendes» ; « des hommes et des femmes qui, comme poussés par une force invisible, courent inlassablement derrière le lucre et sont de tous les râteliers». Il cite, dans ce texte, un autre Sénégalais du nom de Mor Diop qui a fait publier une contribution dans «Le Quotidien» du samedi 27 novembre 2004 et dans laquelle il dresse un sévère réquisitoire contre les transhumants : «(…) Ils se reconnaissent en ces trois caractéristiques : leur langue contredit leur cœur, leur cœur contredit leurs actes et leur apparence leur for intérieur. Le pire des hommes est celui qui présente deux visages et tient un double langage.»
Ces personnes singulières qui abandonnent leur formation pour rallier le parti adverse (au pouvoir, surtout) trahissent donc leur cause, leur mission, pour parler comme Mamadou Yaya Wane, leader du Parti indépendant et démocratique (Pid). Et en langage militaire, on pourrait les comparer à des «déserteurs passibles du poteau d’exécution en temps de guerre», dit-il. Les responsables de la Coalition «Macky 2012» avaient comparé, lors d’une conférence de presse, les «transhumants » de Macky Sall aux «déchets toxiques»
Le transhumant a ainsi réussi le tour de passe-passe de faire du Minotaure une bête des surfaces et non des profondeurs. De cette homme ou femme s’est exilée la raison qui lui faisait entrevoir la lisière entre les intérêts personnels et l’intérêt général, entre le cynisme débridé et l’éthique.
D’ailleurs, n’est-ce pas trop demander à un «animal» politique qui prétend que la morale n’a rien à voir avec ce qui les concerne. Ces politiciens dévoilent la politique dans son cynisme, ses procédés, ils sont plutôt guidés par leur moralité ou immoralité. Certes, la politique n’est pas la morale, mais elle a une morale. Elle ne doit pas être envisagée en dehors de l’éthique de responsabilité. C’est en cela que nous rejoignons l’idée de Myriam Revault d’Allonnes, Philosophe, professeur des universités à l’Ecole pratique des hautes études, qui affirme que la question n’a de sens que si l’on écarte d’abord l’opposition simpliste entre la politique, soumise au pragmatisme et aux calculs politiciens, et les exigences de la «conscience morale». Elle pense que le problème des rapports entre la morale et la politique est ailleurs. Et que s’il faut penser une morale de la politique, elle doit être élaborée au sein des exigences de l’action : «La «moralisation» de la vie publique, qui nous paraît si nécessaire aujourd’hui, ne signifie pas qu’il faut donner à la politique le «supplément d’âme» qui lui fait défaut. Ce qui est en cause, c’est l’idée du bien commun », souligne la philosophe.
Pour les plus machiavéliques, la transhumance politique n’a rien de répréhensible au regard des règles qui gouvernent la vie démocratique. Elle serait la manifestation de la liberté reconnue à chaque citoyen, de créer un parti, d’adhérer à un parti ou de le quitter. Mais tout le monde sait qu’elle pose, malgré tout, des problèmes d’ordre éthique, moral et juridique.
La transhumance instrumentalise les hommes ou femmes politiques en quête de prébendes, de promotion politique, voire de parapluie pour les prédateurs de biens publics. Elle constitue ainsi un fléau pour la démocratie dans la mesure où c’est une pratique qui cherche aussi à affaiblir les oppositions en livrant leurs principaux animateurs à la majorité au pouvoir. Du coup, les «bergers politiques» (préposés aux débauchages) rompent les équilibres et fragilisent les contrepoids nécessaires à la démocratie. Moralité, les transhumants sont balancés entre reniements et revirements. Ils sont, pour ainsi dire, condamnés à l’errance, aux con-voyages qui en font des «nomades» politiques. Ces transhumants sont téléguidés, dans leur marche infatigable et déshumanisante, par des logiques clientélistes secrétées par un système politique fondé, pour parler comme le Pr Ibrahima Thioub, «sur la rétribution des soutiens mercenaires dans un contexte où l’Etat joue un rôle central dans la distribution des ressources économiques avec un ancrage historique fort dans une culture de prédation».
Mais ne lâchons pas la proie pour l’ombre. La transhumance n’est qu’une toute petite manifestation de la déliquescence des valeurs qui constituaient le ciment de notre société.
REACTIONS…REACTIONS….REACTIONS…
La classe politique condamne
Ils sont unanimes à condamner la transhumance politique. Les responsables politiques de l’Alliance pour le progrès (Afp), de la Ligue démocratique (Ld) et du parti démocratique sénégalais (Pds) parlent de perversion de la politique, d’insulte aux valeurs d’éthique et de la morale et de reniement des convictions qui doivent sous-tendre l’engagement politique qui est au service des intérêts de la population.
OUSMANE BADIANE, CHARGE DES ELECTIONS A LA LD - «LA TRANSHUMANCE EST CONDAMNABLE»
La transhumance politique, quel que soit l’angle sous lequel on la prend, est condamnable. La politique, c’est avant tout l’attachement à des valeurs dont l’éthique. Or, la transhumance c’est ni plus ni moins qu’une perversion de la politique qui est défense de la cité, autrement dit des intérêts des populations. Dans ce cas, l’homme politique doit servir de modèle, notamment à nos jeunes qui manquent aujourd’hui de repères. Malheureusement le milieu politique est dominé par la recherche effrénée de l’avoir, des prébendes. Et ceux qui sont habitués à ce comportement de recherche de l’argent facile, dès qu’ils perdent le pouvoir, sont désorientés. Ils vont vite fuir le camp des perdants pour rejoindre celui des gagnants. Résultat des courses, ces transhumants sont en train d’adorer aujourd’hui ce qu’ils ont brûlé hier. Ces transhumants, qu’est-ce qu’ils n’ont pas fait pour combattre l’ actuel président de la République quand ce dernier était encore dans les rangs du parti démocratique sénégalais (Pds). En tout cas, ce n’est pas un bon signe à la jeunesse, lorsque des gens supposés traîner des casseroles se retrouvent dans le camp du président de la République. Les hommes politiques sont plus en vue, comparés au Sénégalais lambda, parce qu’ils sont médiatisés ; ils occupent l’espace public, par conséquent ils doivent avoir un comportement exemplaire. Nous sommes des hommes de gauche qui croient aux valeurs de justice sociale, d’équité et nous sommes attachés à l’éthique politique. Et vous comprenez aisément pourquoi on ne saurait cautionner la transhumance.
MODOU FADA DIAGNE, COMITE DIRECTEUR DU PDS - «C’EST MANQUER DE COURTOISIE ET DE RESPECT AUX ELECTEURS»
La transhumance politique, telle qu’elle est pratiquée dans notre pays, discrédite la classe politique et les hommes politiques. Ceux qui «transhument» ne quittent pas leur parti ou camp à cause des divergences programmatiques ou idéologiques, mais pour goûter aux délices du pouvoir. De ce point de vue, la transhumance politique est amorale. Je peux comprendre que des partis aillent ensemble aux élections, gagner et gouverner ; que des partis s’allient pour faire face à la situation difficile du pays, comme ce fut le cas en 2000 ; que des formations politiques se retrouvent pour une cause nationale. Mais par contre ce qui est incompréhensible ce sont ces gens qui ont leur parti, participent aux élections et quelques mois après se trouvent dans le camp de celui qu’ils ont combattu : c’est manquer de courtoisie et de respect aux électeurs.
DR MALICK DIOP, PORTE-PAROLE DE L’AFP - «ILS TRANSHUMENT AU GRE DE LEURS INTERETS»
Le terme de «transhumance » appartient au jargon de l’élevage ; c’est quand les animaux quittent les prairies sèches pour rejoindre les prairies humides. Les gens qui transhument le font au gré de leurs intérêts, tordant ainsi le cou au principe de l’engagement politique lié à la conviction dans le cadre de la gestion de la cité. L’essence d’un parti, c’est la démocratie. Ce qui veut dire que des opinions divergentes peuvent s’y exprimer ou s’y affronter. Et lorsque l’opinion majoritaire l’emporte, on doit l’accepter et continuer à exprimer ses points de vue. Les divergences de points de vue au sein d’un parti ne doivent pas justifier la transhumance, c’est un argument facile. Ceux qui prétendent que les transhumants massifient le parti se trompent lourdement. Au contraire, combien de personnes ayant des convictions se détournent du parti du fait de l’arrivée des transhumants ? En plus que représentent les acteurs politiques par rapport à la masse des électeurs apolitiques ? Ceci pour dire qu’un parti politique a tout à perdre avec la transhumance politique.