''LA TRAQUE DES BIENS MAL ACQUIS N'EST PAS UN ACHARNEMENT''
SERIGNE MBACKÉ NDIAYE, PORTE-PAROLE DE WADE
Sous les feux de la rampe, depuis quelques jours, après ses rencontres avec le Khalife général des mourides et le Président Macky Sall, qui continuent de susciter moult commentaires, Serigne Mbacké Ndiaye, porte-parole de Me Wade, parle. Et c’est pour faire, dans cette interview-vérité, des révélations croustillantes, sur fond de règlement de comptes.
Depuis quelque temps, vous êtes au devant de l’actualité, avec des audiences qui intriguent, notamment avec le Khalife des mourides et le Président Macky Sall. Qu’est-ce qui fait courir Serigne Mbacké Ndiaye ?
Pour ce qui est de l’audience avec le Khalife général des mourides, je suis avant tout un talibé. J'ai profité de cette occasion pour lui transmettre les salutations et les remerciements de mon frère et ami, Karim Wade, qui m'avait demandé, spécialement, de dire au marabout, qu'il le remerciait pour les prières et pour toute l'attention. Pendant la Tabaski, le marabout lui avait envoyé un bélier. Et il m'avait demandé, aussi, de dire au marabout, qu'il reste un talibé. Etre un talibé, c'est obéir aux «Ndigëls» de son marabout. J'étais chargé de transmettre ce message au Khalife général des mourides qui m'a reçu, dans la plus grande discrétion. Voilà ce qui explique mon déplacement sur Touba. Ce que je fais de manière régulière. Mais, vous savez, quand il y a un contexte particulier et une coïncidence d'un certain nombre de faits, naturellement, les gens sont en droit de spéculer. Je les comprends parfaitement.
Qu’en est-il de l’audience avec le Président Macky Sall qui a fait couler beaucoup de salive?
En ce qui concerne le président de la République, c'est moi-même qui ai sollicité une audience que le chef de l'Etat a bien voulu diligenter. Je profite de l'occasion pour l'en remercier. Parce que, je sais - même s'il ne me l'a pas dit - qu'il y a des milliers de demandes venant d'horizons divers qui dorment sur son bureau. Donc, s'il a eu l'amabilité de me recevoir, très rapidement, je dois véritablement lui en être reconnaissant. Je remercie, également, mon ami, Madiambal Diagne, qui en est à l'origine. Parce que, c'est à lui que j'avais parlé. Vous savez, par expérience, moi, je me suis dit que, devant certaines situations, il faut toujours utiliser les canaux officieux et non officiels. J'ai appris ça aux côtés du Président Wade. Je me rappelle que, quand il s'était agi de faire face à la situation en Guinée, il m'a plusieurs fois envoyé sur le terrain. Je l'ai précédé en Guinée. J'ai discuté avec certaines autorités et des populations locales, avant son arrivée. Il m'avait demandé, dans le même contexte, d'aller au Maroc, rencontrer le Président Dadis Camara. C'est pour dire que les canaux officieux ont leur importance. J'ai utilisé ce canal-là de Madiambal.
Pourquoi Madiambal Diagne?
Parce que, dans le passé, nous avions eu à collaborer, alors que nous étions au gouvernement. Et nous avions eu à gérer des dossiers extrêmement importants. Je me rappelle, la première audience que le Président Wade avait accordée au bureau du Cdeps. C'était avec Madiambal que nous l'avions négociée. Je me rappelle, également, quand Malick Noël Seck avait été condamné, il avait fait une intervention décisive. Etant donné, aussi, que je sais les rapports qu'il y a entre le Président Macky Sall et Madiambal Diagne, je me suis dit : «Pourquoi pas». J'aurais pu utiliser d'autres créneaux. Je prends l'exemple d’Alioune Tine avec qui j'ai également de bonnes relations. Mais, il a eu, dans le passé, des relations heurtées avec certains du Pds. C'est la raison pour laquelle, je me suis dit : «Peutêtre que, Alioune Tine ne serait pas la meilleure porte d'entrée». Même si lui, aussi, on a eu à gérer des dossiers extrêmement importants. Bref, j'ai demandé à être reçu par le Président, qui m'a reçu, le dimanche, dans la nuit. Nous avons discuté en toute amitié. Ce n'est pas quelqu'un qu'on me présente. Nous nous connaissons bien. Nous avons échangé sur toutes les questions que j'avais à lui soumettre. Et je dois dire que j'ai trouvé auprès de lui une oreille attentive. Il m'a bien écouté. Il a écouté les conseils, les suggestions que je lui ai faites. Mais également les critiques que j'ai eu à faire sur le fonctionnement du pays. Et c'est ça qui est remarquable. Je suis sorti du Palais très satisfait. Parce qu'il n'est pas donné à tout un chacun d'accéder au président de la République, mais surtout que ce dernier accepte de vous écouter. J'ai eu ce privilège-là, et je m'en réjouis.
D'aucuns disent que l'objectif de vos démarches est de faire baisser la tension sociale, avec à la clé la libération de Karim Wade et ses codétenus...
Vous savez, je ne peux pas révéler la teneur des discussions que j'ai eues avec le président de la République. C'est le premier des Sénégalais, c'est une institution. Donc, vous comprendrez parfaitement que je ne puisse pas révéler ce que nous nous sommes dit. Maintenant, si une audience que le Président m'accorde, peut faire baisser la tension, mais j'applaudirais des deux mains. Et je pense que c'est quelque part un des résultats inattendus que j'ai eus. En me rendant à la Présidence de la République, je ne pouvais pas imaginer que les résultats seraient ce qu'ils sont, aujourd'hui. Depuis que cette audience a été annoncée, mon téléphone ne cesse de sonner. Tous les messages que je reçois, sont des messages de satisfaction. On me dit : «Oui, il faut que les gens se parlent». Je n'ai pas dit pourquoi je suis allé le voir.
Dans la tête de beaucoup de Sénégalais, il s'agissait de travailler à baisser la tension. L'un dans l'autre, c'est un résultat auquel nous avons abouti. Et pour moi, c'est une excellente chose. Il faudrait continuer sur cette lancée-là. Les réactions que j'ai eues, et qui viennent de partout, me confortent dans l'idée, selon laquelle, il faut absolument que la classe politique discute pour éviter ce qui se passe dans d'autres pays. Vous savez, à un moment donné, le Mali était considéré comme un pays de démocratie très avancée, un pays stable, où il n'y avait aucun risque de conflit. Mais, vous avez vu ce qui s'est passé. Et dans notre pays, je pense qu'il faudrait que la classe politique prenne, de plus en plus, conscience de ses responsabilités. Si, pour une raison ou une autre - je ne le souhaite pas - une situation explosive se produit dans notre pays, personne ne peut prévoir ce qui peut se passer. Dans d'autres pays, ce sont des groupes religieux qui se sont emparés du pouvoir. Tout le monde a vu ce que cela a donné. Au Sénégal, nous avons également la présence de ces groupes. Il ne faut pas qu’on se voile la face. Il faut que nous regardions la réalité en face. Nous avons nos chefs religieux qui sont des régulateurs sociaux, mais ça ne suffit pas. Quelle que soit l’adversité qu’il y a entre nous, nous devons savoir qu’il y a un pas à ne pas franchir.
Est-ce vrai que vous étiez porteur d’un message de Me Wade ?
Il ne savait même pas que j’allais voir le Président Macky Sall. C’est à ma sortie d’audience que je l’ai appelé pour l’informer. Il m’a donné des conseils, et nous avons continué à en discuter. Je suis quelqu’un qui aime prendre des initiatives. J’essaie d’aller toujours dans le bon sens. Quand un responsable ne prend pas d’initiatives, quand on est dans l’immobilisme, on ne mérite pas d’être responsable. En toute chose, il faut qu’il y ait des précurseurs. L’année dernière, j’ai créé, au niveau du Pds, avec des frères et soeurs du parti, un courant de pensée. Quand je l’ai fait, il y a eu une levée de boucliers. Qu’est-ce qui s’est passé après ? Combien de responsables du Pds sont venus dire qu’ils ont créé des courants de pensée ? C’est mon tempérament de prendre des initiatives. Je ne veux pas rester dans le cadre de cet ordre établi. Ce sont les initiatives qui font bouger le monde.
Qu’avez-vous retenu de cette audience avec le Président Macky Sall ?
D’abord, cette volonté de rassembler le maximum de Sénégalais autour de lui.
Quand je dis lui, je parle de l’Institution qu’il incarne. L’autre chose que j’ai pu déceler, c’est cette volonté du Président d’être à l’écoute des Sénégalais, surtout des opposants. Par exemple, quand je suis arrivé, il m’a taquiné, en me disant : «Le théoricien du Pds». J’ai senti également cette volonté d’apaiser autant que possible le climat social.
Avez-vous abordé avec lui l’affaire de la traque des biens mal acquis ?
On ne peut pas ne pas en parler. Ce que j’ai retenu sur cette question, c’est cette déclaration du Président qui dit que c’est un exemple qui s’adresse à tous. C’est la raison pour laquelle, il m’a dit qu’il a créé l’Ofnac, pour que, même ceux qui sont avec lui, sachent qu’il n’hésitera pas à taper sur eux, s’ils commettent des fautes.
Est-ce que, dans vos discussions avec le Président Sall, vous avez senti cet acharnement -dont on fait état - contre certains de vos frères de parti, notamment Karim Wade ?
En toute honnêteté, après avoir discuté avec lui, j’ai le sentiment qu’il n’y a pas eu d’acharnement. C’est ma conviction. Il a eu à m’informer d’un certain nombre d’actes qu’il a eu à poser. Je ne peux pas entrer dans les détails. Mais, j’ai eu l’impression qu’il y a beaucoup de choses qui se sont passées ans ce dossier-là, à l’insu du Président. Vu sa manière d’aborder certaines questions, je me suis dit que, s’il était à l’origine de certaines choses, il n’aurait pas eu cette réaction- là. Moi, je ne peux pas être à l’origine de l’arrestation de Monsieur X, et par la suite avoir un comportement qui montre que ce dossier aurait pu être géré d’une autre manière. Il y a eu une volonté de certains dignitaires du régime de se donner une certaine popularité.
Est-ce à dire que ceux qui parlent d’une animosité entre le Président Sall et Karim Wade font fausse route…
Il n’y a aucune animosité entre eux. Au soir du 25 mars 2012, Karim a eu à me dire : «Je vais te surprendre, parce que je suis heureux que Macky Sall soit élu». Lundi, il y a moins d’une semaine, nous sommes revenus sur cette question-là, il a tenu les mêmes propos. Je me disais que, après avoir été incarcéré par le régime de Macky Sall, depuis plusieurs mois, sa position allait évoluer sur cette question précise. Ce n’est pas le cas. Et en discutant avec le président de la République, également, j’ai senti qu’il avait à peu près les mêmes sentiments visà- vis de Karim, mais surtout vis-à-vis du Président Wade. Et ce qui conforte cette thèse-là, c’est sa sortie sur Tv5, où il disait qu’il a beaucoup d’affection pour le Président Wade qui, de son côté, dit : «Oui, Macky est non seulement mon successeur, mais c’est aussi mon fils. Je veux qu’il fasse plus et mieux. ‘Nit sa dom rek ngay bëg mu gën la’». Les sentiments sont là. On ne peut pas, comme le disait, d’ailleurs, le Président Macky Sall, effacer 19 ans de sa vie politique. Il a passé 19 ans avec le Pds.
Que pensez-vous de la médiation pénale que le régime n’exclut pas dans le dossier de la traque des biens mal acquis ?
Moi, personnellement, je pense qu’un homme politique qui accepte la médiation pénale, il est mort politiquement. Il se tire une balle dans le pied. Parce que, ça veut dire qu’il a volé. Si on n’a pas volé, on n’a pas besoin de faire une médiation pénale. C’est très clair. Pour les responsables Pds que nous sommes, il est hors de question de faire une médiation pénale. Moi, l’enseignement que je tire de tout ça, c’est que, de plus en plus, les masques tombent. Je sens qu’il y a des gens qui travaillent 24 heures sur 24 pour arriver à la libération de notre frère Karim Wade. Mais, il y en a d’autres qui ne sont pas animés de cette volonté de se battre pour la libération de Karim.
Qui sont ces gens-là ?
Je ne citerai pas des personnes. Mais, je constate. Un parti politique doit avoir les moyens de son combat. Et l’intelligence veut, qu’à un moment donné, vous fassiez une analyse pour dire : «Voilà ce que je veux faire. Voilà l’adversaire qui est en face de moi. Quels sont les moyens dont je dispose pour arriver à bout de cet adversaire-là». En faisant cette analyse, tu te dis : «Qu’est-ce que je peux faire ? Comment je peux faire, pour libérer ceux qui sont arrêtés injustement? ». Mais, je pense que le soutien à Karim Wade et autres détenus, ce n’est pas seulement de se réunir en Comité directeur et de sortir des communiqués. Ce n’est pas seulement un lundi sur quatre d’aller lui rendre visite à Rebeuss, pendant dix minutes, avant de rentrer dormir. Chacun doit prendre des initiatives et se battre pour leur libération, si nous sommes véritablement sincères dans ce que nous disons.
En dénonçant le manque d’engagement de certains de vos frères de parti, ne posez-vous pas là, la problématique de la succession de Me Wade ?
Quelqu’un peut ne pas mouiller le maillot pour diverses raisons. Je ne peux pas connaître les raisons et les motivations. Moi, je me veux un homme sérieux. Je veux toujours garder cette crédibilité qui consiste à ne dire que des choses que je peux prouver. Pour moi, le plus important, c’est de se battre pour la libération de ces frères de parti. Vous ne le faites pas, vous êtes libre de ne pas le faire, mais collez la paix à ceux qui le font. Je pense que c’est un minimum. Pour le reste, si je vois des gens s’agiter autour de cette audience, mais ça me fait rire. Moi, en allant à cette audience, je n’ai demandé l’avis et l’autorisation de qui que ce soit. C’est mon initiative personnelle. Avant de partir, j’ai appelé trois responsables du parti, Oumar Sarr, Madické et Samuel que je n’ai pas eu. Samuel, je l’ai eu à ma sortie d’audience. Je ne leur ai pas dit où j’allais. Je leur ai seulement dit que j’allais à une rencontre importante. Nous ne sommes pas dans un parti bolchévique, nous sommes dans un parti démocratique, où les gens sont libres de prendre des initiatives. Quand le Président Macky Sall a demandé à organiser des concertations sur l’Acte III de la décentralisation, le Pds avait dit : «Non. Nous n’y participerons pas». Mais, il y a des frères et des soeurs du parti qui y sont allés. Moi, je les ai compris et soutenus. Et personne ne peut m’empêcher, demain, de retourner voir Macky Sall. La seule personne qui peut me dire : «Fais ou ne fais pas», c’est le Président Wade.