MULTIPLE PHOTOSLA VIE APRÈS... LA MORT
FUNÉRAILLES EN PAYS SÉRÈRE
Les anciens avaient une façon à eux de se faire enterrer. C’était à coup de tam-tams, de chants, de danses, de rires, de festivités, de pleurs jusqu’à la dernière demeure du défunt. Avec l’islamisation, les choses ont commencé à changer, mais dans ce village qu’est Ngollar Sérère, se trouvant dans le Diobass, des vieux et vieilles résistent toujours et tiennent à être enterrés comme leurs grands parents.
Ce mercredi 24 septembre 2014 à 17 heures, la matriarche rend l’âme. Noumakha Faye avait plus de 100 ans. Mais n’a jamais eu de trous de mémoire, ou de réels problèmes de santé. "Le jour de sa mort, elle a discuté avec les gens, disant qu’elle voulait de nouvelles tresses ; elle se sentait fatiguée, mais nous croyions que c’était juste dû à la vieillesse. A un moment donné, elle a demandé à tout le monde de la laisser se reposer. A notre retour, elle était partie définitivement pour l’au-delà", raconte son petit-fils. Cette femme âgée était un symbole dans ce village. C’est elle qui était la gardienne de la structure, qui s’occupait de l’initiation des femmes. Très active dans les funérailles des défunts païens, elle tenait à ce que ses funérailles soient grandioses. Et ce fut le cas. Morte le 24 septembre à 17 h, elle n’a été enterrée que le lendemain à pareille heure. N’eût été la pluie, la cérémonie allait durer plus longtemps que cela.
Comment font-ils pour conserver le corps pendant autant de temps sans qu’il ne se décompose ? Une question à laquelle Youssou Faye, un grand représentant de ce genre de cérémonie, répond : "nous avons nos secrets, et nous mettons quelque chose sur le corps pour éviter qu’il ne se décompose. En plus, la petite taille de la défunte et sa bonne santé aidant, nous y parvenons". Mais il est arrivé une fois
dans ce village qu’est Ngollar "qu’un corps qui a fait 24 heures à cause des festivités funéraires ait commencé à se décomposer et à sentir mauvais. Personne ne pouvait l’approcher ; seuls les fils de la défunte ont osé soulever le cadavre de leur mère pour l’enterrer dignement", se rappelle-t-il.
Les rites funéraires
L’idée de la croyance à la survie après la mort est très ancrée dans la culture sérère. Mais le droit à cette survie dépend de l’exécution correcte des rites funéraires. Parmi ceux-ci, il y a les rites douloureux et les rites joyeux. La mort d’un dignitaire sérère est annoncée par un coup de fusil, une manière de glorifier le défunt dans sa lutte contre la maladie. Ce coup de fusil est suivi de lamentations. Parmi les femmes, de véritables pleureuses déploient autour de la case une véritable poésie aux thèmes variés. Ces lamentations sont des formes de témoignages sur la vie du disparu, afin de faciliter sa résurrection.
Les rites douloureux et les rites joyeux se mêlent en pays sérère. On pleure puis on rit. Au milieu des cris entrecoupés des récitals de pleureuses, pointent les chants des initiés, le son du tam-tam en hommage à celui qui vient de s’éteindre. Sous l’hommage rendu par le grand griot du village ou sous le rythme endiablé du tam-tam, le défunt qui est une personnalité mystique du village peut gémir ou remuer un pied. C’est le moment possible de la résurrection, en déduisent les anciens. En somme, pour les rites joyeux, le sacrifice des bœufs, les libations, les échanges de cadeaux et les retrouvailles sont observés. A chaque phase du rituel, le tam-tam développe un thème. C’est cet instrument qui annonce aux villages voisins le décès et souhaite un bon repos au défunt.
Après ce rituel, le tam-tam évoque les activités du défunt, agriculture, élevage, pêche ou chasse. Viennent ensuite les rythmes de la danse des braves, de la danse des initiés, de la danse des femmes initiées, de levée de la dépouille et d’arrivée à la nouvelle demeure.
L’enterrement
L’enterrement en pays sérère rassemble une grande foule. "La danse et la procession s’accompagnent de chants, de lamentations où il est souligné avec force l’impression de vide laissée par le défunt, le soutien social et affectif qu’il représentait", nous raconte l’historien Mbakou Faye. Durant la procession, il y a des arrêts par moment pour qu’on effectue l’éloge funèbre et qu’on exécute la danse des initiés circoncis. Au cours de la procession, le corps du défunt a tendance à s’alourdir, à tel point que personne n’arrive à le porter. Quand cela arrive, c’est que "c’est le défunt qui formule avec insistance la requête de voir faire son éloge funèbre. Il faut qu’on témoigne de sa vie d’hommes et de prouesses qu’il a pu accomplir et si le témoignage n’est pas assez éloquent pour qu’il en soit satisfait, la dépouille posée à terre ne saurait être soulevée parce que son poids se sera décuplé", explique l’historien Faye.
Contrairement aux rites funéraires de la religion musulmane, les religions traditionnelles sérères admettent la participation de la femme à l’exécution des rites. Les pleureuses sérères initiées accompagnent le défunt jusqu’à sa dernière demeure. En pays sérère, la mise en terre du défunt ou de la défunte incombe aux hommes, mais la femme est présente dans l’exécution du rituel. "La dépouille mortelle s’arrête par moments et les femmes dansent tout autour. De même, autour de la tombe, elles rendront le dernier hommage aux disparus par la danse", à en croire notre historien.
La mise en terre
La dépouille fait quatre fois le tour de la tombe pour un homme et trois fois pour une femme. Il s’agit là de saluer la nouvelle demeure. De l’eau est versée aux quatre points cardinaux de la tombe. L’eau est la base de toute nouvelle vie. Ensuite des hommes dotés de pouvoirs mystiques, désignés, descendent la dépouille dans la fosse. La position du défunt est un pan très important de la cérémonie. En effet, la tombe sérère est d’orientation est-ouest. La tête du défunt est à l’ouest, les pieds à l’est, le visage tourné vers le sud pour un homme et vers le nord pour une femme. Le défunt est d’habitude lourdement habillé, enveloppé dans une natte et est descendu dans la fosse. Cette natte sert de protection contre le bord nord de la fosse. Plusieurs bouts de bois sont rangés obliquement dans la fosse. Le tout couvert de palissade achève la chambre souterraine du défunt.
Les offrandes
Après l’enterrement, le sérère institue un culte aux pieds du mort. L’autel est formé d’un piquet soutenant une perche oblique, d’un canari troué et d’une pierre. Le service des offrandes n’est pas quotidien, mais annuel. Une fête des morts païens est célébrée chaque année. Le service journalier des offrandes n’est possible que pour un défunt qui a laissé un riche héritage, sinon, pour la plupart, on se contente du service annuel. L’ensemble des rites funéraires contribue à la survie du défunt dans l’au-delà. La danse, le chant rythmé, les lamentations expriment les prières adressées à Dieu en faveur du mort. Les offrandes participent à sa nourriture. Le manquement à ce rituel peut rendre le mort dangereux pour sa famille. "Ainsi, le défunt menaçait de peines, de troubles ceux qui ne prendraient pas ses charges au sérieux. Si au contraire ils veillent sur la fondation funéraire, il leur sera fait tout le bien possible", renseigne Mbakou Faye.
Après le départ de Noumakha, il n’en reste plus beaucoup
La vieille Noumakha n’est pas la dernière à croire en ces pratiques, mais il n’en reste plus beaucoup. Une quinzaine tout au plus. La plupart se sont reconvertis à l’islam. Interrogée, la vielle Yourane nous dit : "mes enfants voulaient que je me convertisse à l’islam, ce que j’ai catégoriquement refusé ; je crois en ces pratiques, et je les ai menacés en leur disant que si jamais je meurs et qu’ils ne respectent pas mes dernières volontés, je ne le leur pardonnerai jamais de la vie". Même son de cloche chez Diouma Faye qui pense dur comme fer que "plus la fête des funérailles est belle et enjouée, plus notre accueil dans l’au-delà sera belle et enjoué".
Noumakha est ainsi morte de sa belle mort. Son visage a été montré à tous ceux qui en avaient fait la demande, dans une case en paille. Quand le corps devait sortir de la maison, un gros bœuf a été amené, couché par terre et enveloppé de jolis pagnes tissés. Le corps traverse ensuite le bœuf. Ce dernier sera immolé avant que la défunte Noumakha Faye ne sorte définitivement de la maison dans laquelle elle a passé les plus belles années de sa vie. "En fait, ce ne sont pas tous les païens qui bénéficient du privilège de ce gros bœuf, mais ceux qui représentent quelque chose dans la société", confie un dignitaire. Comme une mariée qui doit rejoindre le domicile conjugal, la défunte a des objets de cuisine qui l’accompagnent aux cimetières.