La vie de galère des instrumentistes sénégalais
Ils sont derrière tout succès d’un chanteur. A l’arrière de la scène, pendant que le lead vocal pousse la chansonnette, eux sortent de merveilleuses notes de leurs différents instruments musicaux pour enrober harmonieusement les paroles. Ces instrumentistes sont des personnes sans qui le chanteur ne serait rien. En raison du rôle fondamental qu’ils jouent dans tout orchestre, on a tendance à croire que ces orfèvres du son vivent dans l’opulence. Ou, en tout cas, qu’ils sont dans de bonnes conditions financières. Grave erreur ! Derrière beaucoup de formations musicales se cachent des drames poignants avec des instrumentistes qui quémandent presque pour survivre.
Le Témoin s’est intéressé à la vie de misère de ces musiciens de l’ombre.
. « Tout le monde sait que les musiciens, en général, ne gagnent pas beaucoup d’argent avec leurs prestations au Sénégal. Ainsi, voyager devient une occasion en or pour mieux s’en sortir et c’est la meilleure façon de gagner en notoriété et de nouer des contacts. C’est dans ce cadre que le dernier album d’Omar Pène a été fait par d’autres musiciens, même s’ils ont repris nos compositions… Personnellement, je ne suis pas venu au «Super Diamono» pour apprendre, mais pour donner de moi-même, de mon temps et de mon savoir. Quand on s’investit comme ça, on a besoin d’une certaine reconnaissance en retour. C’est un problème d’éthique, de cohérence dans la démarche. J’ai mûrement réfléchi, ce n’est pas une décision que j’ai prise sur un coup de tête. »
C’est ainsi que Doudou Konaré, le virevoltant soliste du Super Diamono, s’expliquait sur sa séparation avec Oumar Pène après plus de 17 ans de compagnonnage. Le fond du problème demeure, comme partout ailleurs, d’ordre financier. Le lead vocal qui engrange de substantiels revenus pendant que les instrumentistes tirent le diable par la queue face à un quotidien difficile.
L’histoire de la musique sénégalaise reste d’ailleurs jalonnée par ces vécus qui empoisonnent la vie des grandes formations musicales avec souvent des départs qui se font dans la douleur. Des chanteurs comme Thione Seck, Fallou Dieng ou Alioune Mbaye Nder ont payé le plus lourd tribut à ces départs. En effet, ils ont été plus souvent victimes que leurs autres collègues de la défection de leurs musiciens qui prennent la tangente au cours de tournées européennes ou américaines.
Des instrumentistes qui prennent la malle pour, expliquent-ils la plupart du temps, « trouver mieux que la galère que nous vivons au Sénégal ». Pour la petite histoire, c’est lors d’une tournée avec Thione Seck aux Etats –Unis que Baba Hamdy avait faussé compagnie à l’orchestre pour se fondre dans la nature avant revenir quelques années plus tard au Sénégal et monter ses propres affaires. En effet, rares sont les instrumentistes qui peuvent vivre de leur art dans les orchestres sénégalais.
Si certains, conscients de leurs droits, parviennent à s’assurer une vie sans gros soucis financiers, d’autres, par contre, mènent une vie de galère. C’est d’ailleurs la situation de la majorité des instrumentistes sénégalais qui sont obligés de recourir au travail au noir pour survivre. D’autres ont préféré quitter le pays pour d’autres horizons. C’est le cas de l’excellent batteur du Super Diamono Lappa Diagne ou du bassiste Bob Sène. Des piliers de cet orchestre qui ont décidé, du jour au lendemain, d’abandonner la barque pour mener leur propre chemin.
Au sein de la plus grande formation musicale du pays, en l’occurrence le Super Etoile, des histoires de ce genre ont traversé la vie de cet orchestre avec de grands ciseleurs qui ont fini leur vie dans une misère totale à l’image du guitariste Daouda Gassama, du chanteur Badou Ndiaye et tant d’autres pendant que d’autres eurent une vie moins pénible, mais sont restés dans le pétrin après un long compagnonnage avec leur formation d’origine.
Aujourd’hui avec la présence de Youssou Ndour dans le gouvernement de M. Abdoul Mbaye où il occupe les fonctions de ministre du Tourisme, les meilleurs dans cette formation ont préféré prendre leurs distances pour s’occuper de leur propre carrière. Au lieu d’attendre sagement leur lead vocal, ils ont pris leur destin en mains. C’est le cas de Habib Faye et Jimmy Mbaye, qui ont des projets personnels sans compter le « tamakat » Assane Thiam.
Les autres, moins lotis que les musiciens du « Super Etoile » — qui, eux, sont choyés — vivotent au gré des rares prestations de leurs orchestres s’ils ne jouent pas aux requins. C’est ainsi qu’en privé, certains se confient sur leur dure situation, obligés qu’ils sont de rester au pays et privés de tournées internationales. Des voyages qui leur permettaient d’arrondir leurs fins du mois. Et ils ne sont pas les seuls.
Dans d’autres formations de moindre envergure, des drames poignants se jouent puisque, quand le lead vocal ne joue pas, les instrumentistes sont réduits à se tourner les pouces et ne gagnent presque rien. C’est le cas de l’orchestre de Fallou Dieng qui ne joue presque plus ou très rarement en live. Conséquence, ses musiciens sont obligés de chercher ailleurs une pitance. Interrogé par nos soins, le manager d’un grand musicien reconnait la situation difficile des instrumentistes avant de lâcher péniblement : « Ils galèrent tous ! ». Et pendant que ces architectes de la musique vivotent, les lead vocaux mènent un train de vie digne des stars qu’ils sont. Belles bagnoles, belles maisons et belles femmes.
Guissé Pène, secrétaire général de l’Association des métiers de la musique du Sénégal (Ams) reconnait cette réalité, mais juge que tout repose sur le statut de l’artiste. Et sa sentence est sans appel : « le problème éternel qui demeure reste le statut de l’artiste, tant qu’il n'est pas réglé, les instrumentistes demeureront toujours des demandeurs, ils ne sont en fait que des prestataires de service qui n’appartiennent pas aux orchestre dans lesquels ils jouent, il faut aller dans ce sens ». Vivement donc ce statut de l’artiste censé sortir les acteurs culturels en général, et les instrumentistes en particulier, de la précarité !